L’enjeu de la réflexion philosophique est de conduire sur les chemins de la sagesse. Mais comment définir la sagesse? Existe-t-il de vraies et de fausses sagesses ? Ces questions-qui s’inscrivent dans une démarche philosophique authentique- méritent d’être confrontées à la sagesse chrétienne, à travers quelques thèmes et concepts, et à la Vierge Marie- qui est vénérée dans les Litanies comme ‘Siège de la Sagesse’.
Les Pères apologètes (1er et 2ème siècles), confrontés à toutes sortes de courants philosophiques et désireux de trouver la vraie sagesse, exposent la voie du Christ et la présentent comme la vraie philosophie, celle qui mène à une vie droite et qui répond à la question de la vérité. Si Socrate a été mis à mort au motif d’impiété, le Christ aussi. Si Socrate a recherché la vérité, le Christ, lui, dit qu’il est venu pour rendre témoignage à la vérité, et il est la Vérité. Présenter le Christ comme le vrai philosophe a ainsi de solides fondements dans l’Écriture. Cependant, limiter la mission du Christ à l’enseignement d’une sagesse serait mutiler le message chrétien.
Plusieurs livres, dans la Bible, appartiennent à ce courant très fécond qu’on appelle les écrits sapientiaux. Ces écrits sont issus du milieu royal et des scribes qui, au service du Roi, non seulement enregistrent les actes juridiques et administratifs de Rois et gardent la mémoire de leurs règnes, mais recueillent la sagesse des anciens, des nations et de ces sages qui méditent sur l’œuvre de Dieu. Dans la Bible, la sagesse est d’abord le savoir-faire : savoir-faire des artisans qui maîtrisent les techniques, la connaissance des matériaux, les gestes, qui permettent de faire des œuvres solides, belles et pratiques. Ensuite, des artisans, on passe à l’Artisan suprême, Dieu, qui, dans sa création, montre la parfaite maîtrise de tout, de sorte que tout ce qu’il fait est rempli de sagesse. L’homme apparaît comme celui qui peut troubler cette œuvre parfaite, par manque de sagesse, de sorte que l’acquisition de la sagesse devient le but fondamental de celui qui veut servir Dieu et l’honorer. En cherchant à acquérir la sagesse, l’homme rencontre nécessairement la Loi. Cette sagesse aux yeux de tous les hommes donne aux hommes la connaissance des moyens de faire de leur vie un bel ouvrage. Progressivement, la Sagesse divine en vient, dans ce courant sapiential, à être personnifiée : elle est tellement indissociable de Dieu qu’elle finit par devenir un attribut, plus même, une définition de Dieu, préparant le terrain pour le christianisme.
Dans l’Évangile, Jésus lui-même s’identifie à la Sagesse, comme dans cette parole : « La Reine de Saba est venue des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon » (Lc 11,31). La Sagesse divine (Sainte Sagesse) finit par être identifiée à Jésus-Christ, Verbe de Dieu, ou à l’Esprit Saint. Le Christ dit, dans l’Évangile : « La Sagesse a été justifiée par ses œuvres » (Mt 11,19), autrement dit : les œuvres que j’accomplis témoignent que je suis le Fils de Dieu. De même, saint Jean commence son Évangile par ce prologue si célèbre dont les premiers mots peuvent réjouir les philosophes (ou les exaspérer) : « Au commencement était le Logos, … et le Logos s’est fait chair. » (Jn 1,1-14) Ainsi identifier le Christ et la Sagesse est tout sauf contraire à l’Évangile. Dans 1 Cor. 2: 7, saint Paul parle ainsi de la Sagesse de Dieu :
« 7nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire, 8sagesse qu'aucun des chefs de ce siècle n'a connue, car, s'ils l'eussent connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de gloire.… »
La Vierge Marie a porté en son sein, puis enfanté le Christ, la Sagesse divine devenue chair. Elle est d’ailleurs vénérée dans les Litanies comme ‘Siège de la Sagesse’ Sedes Sapientiae[1], en référence au Trône de Salomon sur lequel le Christ s’assiéra lors de son retour glorieux.
Dès l’époque romane, on représentait en effet la Vierge à l’Enfant assise sur un trône, tenant un Jésus adulte en taille réduite sur ses genoux. Ce type de Vierge à l’Enfant se nomme ‘Siège de la Sagesse’. Cette représentation est une interprétation typologique du Livre des Rois, dans lequel on décrit le trône de Salomon (I Rois 10 : 18–20, répété en II Chroniques 9: 17–19).
Il est ainsi fréquent d’associer la Sainte Vierge au trône de Salomon : ce trône est décrit comme celui où Jésus s’assiéra. Dans le Speculum humanae salvationis (Miroir du salut humain, datant du XIVès) il est écrit :
« Sur le trône du vrai Salomon est la très Sainte Vierge Marie,
Sur laquelle est assis Jésus-Christ, la vraie sagesse. »
La Madone de Lucques de Van Eyck représenté ci-dessus illustre cette tradition, le trône étant sculpté de lions d’or, comme il est décrit dans II Chroniques 9: 17–19:
« 17 Le roi fit un grand trône d'ivoire, et le couvrit d'or pur.18 Ce trône avait six degrés, et un marchepied d'or attenant au trône; il y avait des bras de chaque côté du siège; deux lions étaient près des bras,
19 et douze lions sur les six degrés de part et d'autre. Il ne s'est rien fait de pareil pour aucun royaume. »
Saint Paul, dans 1 Cor. 2: 6, oppose la sagesse du monde et la sagesse de Dieu :
« 6Cependant, c'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis; « 7nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire, 8sagesse qu'aucun des chefs de ce siècle n'a connue, car, s'ils l'eussent connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de gloire.… »
Dans la Bible, il y a aussi toute une polémique sur ces fausses sagesses qui, au lieu de mener à la vie, conduisent à la mort. Le Pharaon, dont le cœur endurci refuse de laisser partir les Hébreux a, sur sa tiare, un aureus, un cobra, qui est censé être signe de sa sagesse, d’une sagesse susurrée à l’oreille du Pharaon et qui le guide dans toutes ses décisions. Or c’est précisément ce même serpent qui, dans le chapitre 3 de la Genèse, amène l’homme et la femme à pêcher. Jésus, dans l’Évangile de Jean dira du diable qu’il est menteur et homicide depuis la fondation du monde. Cette fausse sagesse, mensongère, qui mène à la mort, est précisément ce dont on doit se garder. Dans un souci d’ouverture au dialogue, il est légitime de s’intéresser aux différentes approches philosophiques qui ne sont pas forcément ces fausses sagesses contre lesquelles il nous faut nous prémunir. La démarche des philosophes étant la quête de la sagesse- philosophie veut dire l’amour de la sagesse-, il est intéressant d’examiner le rapport entre la philosophie, quête de sagesse, et la Vierge Marie, qui « gardait toutes ces paroles et les méditait en son cœur », elle qui a porté en son sein et engendré Celui qui est la Sagesse.
Entrons donc dans cette quête de sagesse, par différents points de vue…
Un dialogue s’établit entre la philosophie, quête de sagesse, et la Vierge Marie, qui l’a pratiquée pendant toute sa vie. Cette confrontation fructueuse, qui s’appuie sur différents thèmes : la philosophie du visage, avec E. Levinas, philosophe juif ; la philosophie du don, en laissant parler des sociologues et philosophes contemporains, la question de la chair et la philosophie de la connaissance, vaste débat qui oppose des penseurs tels qu'Aristote et saint Thomas à d'autres penseurs tels qu’ Avicenne ou Heidegger, et que Rémi Brague (prix Ratzinger) nous aide à comprendre; ; la place de l’homme dans l’échelle des êtres et la philosophie du corps, mise en lumière par le pape Jean-Paul II –lui-même philosophe et théologien-) . Toutes ces questions nous permettent de poser la question de la vérité et de voir comment Marie est la Mère de Celui qui est la Sagesse, et Mère de miséricorde. Enfin, les derniers articles ouvrent une autre perspective : à l’amour de la sagesse peut en effet répondre la sagesse de l’amour , grâce à une brève présentation d’écrits de sainte Thérèse de Lisieux, docteur de l’amour.
Père O.Rolland et équipe de MDN