L'archimandrite Sophrony résume l'enseignement de Saint Silouane :
A chaque passion correspond une image qui lui est propre, appartenant au monde créé.
Si l'image n'est pas accueillie, la passion, incapable de se développer, ne pourra finalement que mourir.
L'intellect, faculté éminemment active, s'oppose aux fluctuations mentales de la raison discursive, à savoir l'attention.
A la différence de certains ascètes étrangers à notre tradition, l'ascète ne considère pas comme illusoire l'existence à laquelle il renonce. Son détachement n'est pas non plus un envol cers les sphères purement intelligibles et désincarnées, car une telle attitude débouche, tôt ou tard, de nouveau sur un mode imaginaire.
Non, ce détachement procède de l'ATTIRANCE que nous fait éprouver pour lui le Dieu vivant.
Un croyant humble et simple se libère du pouvoir de l'imagination par une aspiration totale à vivre selon la volonté de Dieu. Cela est à la fois si simple et si « caché aux sages et aux intelligents » qu'il est impossible de le communiquer par la parole.
Comment discerner si l'expérience spirituelle est située sur le plan de l'imagination, de la philosophie ou du panthéisme ? Par l'amour des ennemis.
Le bienheureux starets Silouane affirmait catégoriquement que le seul critère, dans l'ordre soumis à notre contrôle logique, n'est autre que l'amour des ennemis. Il disait :
« Le Seigneur est humble et doux. Il aime sa créature ; là où est l'Esprit du Seigneur, là règne infailliblement l'humble amour des ennemis et la prière pour le monde. Et si tu n'as pas cet amour, demande-le, et le Seigneur qui a dit : 'Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez' (Mt 7, 7), te l'accordera. »
L'orgueil amplifie l'imagination, l'humilité la fait cesser. L'orgueil se gonfle pour créer son propre monde, l'humilité accepte la vie venant de Dieu.
Les contemplations divines sont accordées à l'homme, non point quand il s'efforce de les rechercher par lui-même, mais lorsque l'âme descend dans l'enfer de la pénitence et réalise qu'elle se trouve au-dessous de toute créature.
L'impassible est plein d'amour, de compassion, de participation, mais tout cela vient de Dieu qui agit en lui. On peut définir l'impassibilité comme « acquisition du Saint-Esprit », comme Christ vivant en nous. L'impassibilité est la lumière d'une vie nouvelle, faisant naître dans l'homme des sentiments nouveaux et saints, de nouvelles pensées divines, une nouvelle lumière de la connaissance éternelle.
Les saints Pères de l'Eglise définissent l'impassibilité comme « résurrection de l'âme avant la résurrection générale des morts » (Jean Climaque 29, 2).
Tant que l'homme n'a pas réalisé sa résurrection en Christ, tout en lui reste déformé par la crainte de la mort, donc par l'esclavage du péché (cf. Hé 2, 15).
Illusions à éviter
L'impassibilité n'est pas un au-delà du bien et du mal.
Nous avons dit au starets qu'il y a des gens qui considèrent l'impassibilité non pas comme amour de Dieu, mais comme une contemplation de l'être situé au-delà du bien et du mal, et qu'ils considèrent pareille contemplation comme supérieure à l'amour chrétien.
Le Starets répondit : « Cette doctrine vient de l'Ennemi, le Saint Esprit n'enseigne pas ainsi. »
Quant aux contemplations résultant d'une certaine contrainte imposée à l'intelligence, elles ne sont pas véritables, mais apparentes, il se produit dans l'âme un état qui rend difficile même la possibilité d'une intervention de la grâce et, par conséquent, de la vraie contemplation.
Ne pas confondre l'expérience de Dieu et celle du dépouillement.
Mais lorsqu'on s'abandonne à la pratique de l'oraison hésychaste sans le repentir requis et sans que la prière soit toute tendue vers Dieu, alors l'âme, dénudée de toute représentation, peut demeurer quelque temps dans les « ténèbres du dépouillement » sans voir Dieu, car Dieu n'est pas dans ces ténèbres.
Demeurant dans les ténèbres du dépouillement, l'esprit ressent une douceur et un repos d'un genre particulier ; si à ce moment il se retourne sur lui-même, il peut percevoir quelque chose qui ressemble à la lumière, mais qui n'est cependant pas encore la Lumière incréée de la Divinité, mais un attribut de l'esprit créé à l'image de Dieu.
Malheur à celui qui prend cette sagesse pour la connaissance du vrai Dieu, et cette contemplation pour une communion à la vie divine. Malheur, parce que dans ce cas la nuit du dépouillement, située au seuil de la véritable vision de Dieu, se transformera en un écran impénétrable et en un mur qui le séparera plus sûrement de Dieu que les ténèbres des passions grossières, les ténèbres des attaques démoniaques manifestes ou les ténèbres de la perte de la grâce et de l'abandon de Dieu.
Malheur parce que ce serait une erreur, une illusion, car Dieu n'est pas dans les ténèbres du dépouillement. Dieu se manifeste dans la Lumière et comme Lumière.
Normalement, la prière hésychaste doit avoir un contenu positif. En d'autres termes, elle doit procéder d'un sentiment de repentir et d'un élan vers Dieu.
N.B. Dans une telle spiritualité, la Mère de Dieu est une présence compatissante et stimulante, par son humilité, la pureté de sa prière, son élan vers Dieu, et sa vie dans le Saint Esprit.
Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, moine du mont Athos, Vie - Doctrine - Ecrits - Edition Présence, Belley, 1982, p. 101. 151-173. 177
Synthèse F. Breynaert