« Marie était parfaite et très belle, Joseph devait l’aimer passionnément. - Il est probable qu’ils avaient fait très jeunes vœu de virginité et de célibat, pensant hâter ainsi la venue du Messie. - Mariage et consécration, est-ce compatible ? » ...
Telles sont quelques unes des nombreuses réflexions suscitées par mes deux chroniques sur « le doute de Joseph » et sur « le mariage de Marie et Joseph » (1 ).
Je ne prétends pas clore le débat, et encore moins être le représentant autorisé de la pensée de l’Église. Sur la vie de Marie et de Joseph avant l’Annonciation, sur la nature du lien qu’ils avaient contracté auparavant, sur les modalités de leur vie commune ensuite, le témoignage du Nouveau Testament est très succinct, voire même inexistant. On sait seulement que Marie est « mariée » à Joseph, qu’ils n’habitent pas encore ensemble, que Joseph va être invité à « prendre chez lui Marie son épouse » (2).
Les évangiles apocryphes ont essayé de compléter ces informations, mais par définition leur témoignage n’engage pas la foi de l’Église, même s’il peut occasionnellement l’éclairer.
Il n’y a pas non plus de définition dogmatique sur ces sujets, en-dehors de l’essentiel : le mystère de l’Incarnation, qui affirme que l’enfant de Marie est le Verbe éternel qui s’est fait chair, et la virginité perpétuelle de Marie. Bref, il faut accepter de ne pas tout savoir.
Pour en savoir davantage, il faut accueillir dans la prière la lumière de l’Esprit Saint et s’instruire auprès des mystiques et des théologiens. Il faut aussi accepter des perceptions différentes du mystère.
Deux extrêmes dans lesquels ne pas tomber
Les deux premières lettres que je cite sont représentatives de deux extrêmes dans lesquels il me semble sage de ne pas tomber.
- D’un côté, il y a la tentation d’un faux mysticisme : on se représente Marie et Joseph comme des êtres qui ne sont pas vraiment de ce monde, ni de leur temps, et qui dès le départ s’engagent dans des voies spirituelles totalement inédites. Le vocabulaire des « vœux », en particulier, est à prendre avec précautions, car on y projette une forme et un contenu qui n’apparaîtront que plus tard dans l’histoire de l’Église.
- D’un autre côté, il y a la tentation d’un faux romantisme : on en reste à un niveau psychologique, totalement reconstruit d’ailleurs, et on projette sur le couple de Nazareth les émotions amoureuses qu’on peut connaître, et qui sont trop souvent empreintes de banalité, d’immaturité, et même d’impureté. Cela a été la source d’un malentendu avec des lecteurs. C’est vrai, j’ai repris à mon compte une idée toute simple et moderne : « Marie et Joseph s’aiment ». Mais j’ai contesté en même temps la traduction « romanesque » que l’on donne de cet amour. Dans mon esprit, ils sont unis par un lien profond, dans l’ordre de la charité théologale, de la communion, de la mission.
Leur unité de cœur et d’âme dépasse toute expérience humaine, car elle est enracinée dans le choix de Dieu et elle est toute orientée vers l’Enfant. Cela me donne l’occasion de critiquer vertement les images diffusées dans les milieux catholiques sous le titre « la Famille », qu’il s’agisse de statues ou d’icônes. La famille qu’on y voit n’a rien de sacré. Un homme et une femme plus ou moins enlacés, un enfant porté symétriquement par ses deux parents, cela trahit complètement le mystère de l’Incarnation et choque profondément nos frères orthodoxes. Dans leur rigueur théologique, ils prennent soin de mettre Joseph à distance de la Femme et de l’Enfant. Comment suggérer autrement qu’il n’est ni le concubin de Marie, ni le géniteur de Jésus ?
J’en arrive à la dernière question : n’est-il pas troublant et même contradictoire que Marie soit donnée en exemple à la fois aux personnes consacrées et aux personnes mariées ?
C’est vrai : dans toute la tradition spirituelle, Marie est contemplée comme le modèle et la Reine des vierges et des consacrés. Cela n’empêche pas une tradition plus récente de voir aussi en Marie et Joseph le modèle des époux ; la fête de la Famille a bien ce sens d’exemplarité. Cet apparent paradoxe confirme qu’il est impossible de réduire le mystère incomparable de Marie (et par conséquent de Joseph) à l’une ou l’autre de nos expériences. Ni d’un côté ni de l’autre nous n’avons à « copier » Marie.
En revanche nous avons tous beaucoup à apprendre auprès d’elle. Reine et mère, elle a le charisme d’inspirer et de former les disciples.
Quelle que soit leur vocation.
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(1 ) Famille Chrétienne n° 1249 et 1250.
(2) Luc 1,27 ; Matthieu 1,18 et 20.
Père Alain Bandelier