Pline l'Ancien et l'appellation « Esseni »
Pline l'Ancien (m79), dans son « Histoire naturelle », Naturalis Historia (V, 73), décrit les Esseni comme « une race unique (gens sola), étonnante plus que toutes les autres dans le monde entier. On n'y voit aucune femme ; elle a renoncé à toute activité amoureuse ; elle ne connaît pas l'usage de la monnaie ; elle est la compagne des palmiers, qui renaît[1] et s'y reforme par l'arrivée de nouveau venus ».
Pline rapproche ce qu'il découvre chez les Juifs de ce qu'il connaît chez les Grecs : les « Esseni » de Pline l'Ancien sont très probablement comparés à la confrérie grecque des prêtres du temple d'Artémis à Ephèse. Cette Artémis d'Ephèse, vindicative déesse vierge de la chasse, exigeait la virginité de ses prêtresses et de ses prêtres.
Ce que Pline l'Ancien ne pouvait pas comprendre, c'est la motivation qui animait ces hommes, Pline les imagine « fatigués de l'existence », sans soupçonner l'attente eschatologique qui habitait le monde Juif.
Ces « Esseni » ne sont pas pour autant le soit disant monastère de Qumrân :
Si ce monastère avait existé, Pline l'aurait mentionné ou aurait mentionné sa disparition (Pline écrit vers 77, soit 8 ans après la disparition supposé de cette communauté).
De plus, Pline situe Engaddi non pas au sud mais au-dessous des « Esseni » : Engaddi est en effet près du bord de la mer morte, sous le niveau de la mer, et il y a toute une région au-dessus. Tandis que Qumran est près du bord de la mer morte, au nord d'Engaddi.
Les Esséens palestiniens de Philon d'Alexandrie
Philon parle des « Essaïoï » dans Quod omnis probus liber sit (§ 75-91) quand il veut mettre en valeur la sainteté des sages juifs et il dit :
« Elle n'est pas non plus stérile en vertu la Palestine, qu'occupe une partie non négligeable de la nation très populeuse des Juifs. Certains d'entre eux, au nombre de plus de quatre mille, sont désignés là-bas du nom d'Esséens (Essaïoï) ; ce nom, à mon avis, quoiqu'il soit une forme incorrecte qui regard de la langue grecque, dérive du mot « sainteté », ce sont en effet, au plus haut point, des serviteurs de Dieu (therapeutoi theou), non point qu'ils sacrifient des animaux, lais en raison de la volonté qu'ils ont de rendre leurs dispositions intérieures dignes de la divinité. » Quod omnis probus liber sit (§ 75)
Ni ce texte ni la suite du texte ne présente les Esséens comme des célibataires. Et il est notable que les Esséens palestiniens de Philon ne sont pas mentionnés chez d'innombrables auteurs chrétiens qui parlent des origines du monachisme.
Cette notice de Philon n'a pas non plus de rapport avec les règles de la Communauté trouvées à Qumrân : pas de noviciat, pas d'eschatologie guerrière...
Simplement, ces Esséens vivent en petites communautés ou maisons, partageant la même bourse - alimentée par les gains journaliers - les repas et le vêtement, dans une grande solidarité (§ 79.86), dans une liberté « qui échappe à toute esclavage » (§ 88)
On peut comprendre ces communautés solidaires et pieuses dans le contexte social de l'époque : pour rembourser une dette, les pauvres pouvaient être amenés à se vendre eux-mêmes et devenir esclaves ; et s'ils étaient esclaves d'un païen, ils ne pouvaient plus pratiquer leur religion. En vue de garder la liberté, les pauvres s'organisaient en communautés solidaires (§ 88).
Les Thérapeutes d'Egypte selon Philon
Dans le traité « sur la vie contemplative », Philon ne parle pas d'Esséens (Essaïoï) mais de Thérapeutes et de Thérapeutrides (femmes), non plus en Palestine, mais en Egypte. Ce sont des anachorètes, qui vivent à proximité les uns des autres et se réunissent tous les sept jours écouter une lecture de la Bible et chanter des hymnes. Ces thérapeutrides « ont gardé leur chasteté et ce, sans y avoir été contraintes, comme certaines prêtresses grecques, mais de leur propre gré dans leur ardent désir de Sagesse [qu'elles aspirent]... à avoir comme compagnon de vie. »
Conclusion :
Esseni célibataires au-dessus d'Engaddi, Esséens en Palestine, Thérapeutes en Egypte, étaient des groupes divers faisant partie d'une vaste mouvance eschatologique et populaire.
Dans cette mouvance, il n'y avait pas uniquement des célibataires, ou des « monastères » ! Cependant, le célibat existait. Quand Jésus a fait allusion « aux eunuques en vue du Royaume des Cieux » (Mt 19, 12), il devait évoquer une réalité largement connue de l'auditoire, sans pour autant viser de manière étroite une communauté qui aurait été située à Qumrân.
Les manuscrits de Qumrân n'évoquent jamais le nom d'Esseni, ni d'Esséens, et ils ont une multitudes d'autres dénominations : hommes du partis (ou du conseil) ; pauvres (ebionim), humbles et pauvres (anawim), gardiens-observants de l'alliance (nozre), congrégation d'Israël, ou d'autres encore. Cette multiplication d'appellations reflète non pas un groupe mais une diversité, une diversité dont ne doit pas être exclue les zélotes, car ce sont des zélotes appelé sicaires par F. Josephe qui, résistant à Massada jusqu'en l'an 73, y avait apporté les manuscrits qu'on a dit être « esséniens ».
[1] La mention des palmiers pourrait être rapprochée du fait que cette race « renaît » parce que le mot grec phenix signifie à la fois palmier et Phenix, comme on le voit en Job 29, 18 (dans la Septante ou la vulgate) ou dans un poème de Lactance (Carmen de ave Phoenice).
Résumé par F. Breynaert de Edouard-Marie GALLEZ, Le messie et son prophète, Editions de Paris 2012. p. 41-112