Valerio Spada. Allégorie du Carême, eau-forte, env. 1650. Les jours du Carême sont représentés sous la forme d'un escalier, et les évangiles de chaque dimanche représentés sur la droite. Sailko, CC BY 3.0
Le Carême est pour les Chrétiens un temps privilégié du calendrier liturgique. Il nous prépare en effet à la fête de Pâques, fête de la Résurrection du Christ, qui est la fête la plus importante du calendrier liturgique:
"Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu "
dit st Paul (1Co, 15-14)
Le Carême fait donc partie intégrante du cycle pascal. La fête de Pâques est une fête mobile, c'est la raison pour laquelle la date du Carême change également chaque année. Cette fête de la Résurrection du Christ, mystère central de la religion chrétienne, doit en effet être célébrée, dans l'Église latine de rite romain, le dimanche qui suit la première pleine lune après l'équinoxe de printemps, ce dernier étant fixé au 21 mars. La date de Pâques peut donc varier du 22 mars au 25 avril.
Les quarante jours du Carême sont un temps de cheminement spirituel, un voyage pénitentiel qui permet, au cœur du combat spirituel qu'il propose, dans l’espérance et s'il est vécu comme tel, un véritable "programme de lumière". Ce temps peut se vivre en union étroite avec la Vierge Marie, elle qui, préservée du péché, peut nous aider dans ce combat de lumière.
Icône russe anonyme du Grand Carême, fin XIXès. Public domain image (according to PD-RusEmpire), Public domain, via Wikimedia Commons.
Le nom « carême » vient du mot latin quadragesima, qui signifie « quarantième ». Ainsi, le Carême est parfois appelé la « Sainte Quarantaine ». C’est un temps annuel de pénitence et de conversion, pour se préparer au mystère pascal. La durée de quarante jours est symbolique: elle rappelle les quarante jours et quarante nuits du jeûne de Moïse avant la remise des Tables de la Loi dans le désert (épisode de l'Exode, EX 24,18),et d’Élie (1 R 19,8) , qui, par un jeûne ininterrompu de quarante jours et de quarante nuits, a mérité de mettre fin, grâce à l'eau du ciel, à une sécheresse longue et pénible de la terre entière. .Il rappelle également les quarante jours que Jésus a passés au désert, après son baptême. Jésus, « compatissant à nos faiblesses » voulut, après son Baptême, être tenté par le diable, afin d'être victorieux de celui qui a provoqué la chute d'Adam, et nous apprendre, en suivant son exemple, « à résister au péché et à le vaincre », comme le dit la préface du 1er dimanche de Carême.
Dans la vie de l'Église, le Carême est le temps où les catéchumènes se préparent à recevoir le Baptême le jour de Pâques. C’est pourquoi
"L'Église s'unit chaque année par les quarante jours du Grand Carême, au mystère de Jésus dans le désert" (CEC, n° 540).
L’Église nous invite donc à vivre pleinement le Carême comme un grand combat de lumière, dont les armes sont le sacrement de réconciliation et le renouvellement des engagements de notre baptême. En ce qui concerne le sacrement de réconciliation, l’Église demande à tout fidèle de
« Confesser ses péchés au moins une fois par an… et de recevoir la sainte Communion au moins chaque année à Pâques » (CEC, n° 2042).
Les trois tentations du Christ. Mosaïque de la basilique San Marco, Venise. XIIe-XIIIe siècle
St Thomas d’Aquin, dans sa somme théologique (partie 3 question 41), reprenant l’enseignement des Pères de l’Église (notamment st Grégoire de Nysse et st Ambroise) nous explique que c’est le Christ lui-même qui a voulu être tenté, que l’ordre des tentations est le même que celui de la Genèse, et que les trois objets des tentations: la jouissance de la chair, l'espérance de la gloire et l'avidité du pouvoir constituent toute la matière du péché. C’est ainsi qu’ayant vaincu ces trois tentations, le Christ peut, selon st Irénée, être appelé « Nouvel Adam ».
Il convient donc de le prendre pour modèle de conversion, et d’entrer, par le jeûne, l’aumône et la prière, dans ce grand combat de lumière :
« La pénitence intérieure du chrétien peut avoir des expressions très variées. "L'Écriture et les Pères insistent surtout sur trois formes: le jeûne, la prière et l'aumône (Tb 12, 8; Mt 6, 1-18), qui expriment la conversion par rapport à soi-même, par rapport à Dieu et par rapport aux autres. À côté de la purification radicale opérée par le Baptême ou par le martyre, ils citent comme moyen d'obtenir le pardon des péchés, les efforts accomplis pour se réconcilier avec son prochain, les larmes de pénitence, le souci du salut du prochain, l'intercession des saints, et la pratique de la charité 'qui couvre une multitude de péchés'" (1 P 4, 8) (CEC, n° 1434). »
Le Carême débute par le mercredi des cendres et se termine la veille de Pâques. Il constitue un unique ensemble allant du Mercredi des Cendres jusqu'au seuil de la Vigile pascale. Il commence 46 jours avant Pâques, car les dimanches ne sont pas comptés comme jours de pénitence, puisqu’ils commémorent la joie de la Résurrection du Seigneur. C’est la raison pour laquelle le temps du Carême débute un mercredi.
Le Combat de Carnaval et de Carême, Pieter Brueghel l’Ancien (1559) Huile sur panneau de bois. 118 x 164,5cm
Kunsthistorischesmuseum, Vienne (Autriche).
La mi-carême est fêtée le jeudi de la troisième semaine des quarante jours de pénitence, c’est-à-dire le vingtième jour de Carême, les dimanches ne faisant pas partie du Carême de pénitence.
Les 5 dimanches de Carême constituent une préparation au dernier et sixième dimanche, appelé dimanche des Rameaux, qui ouvre la Semaine Sainte pour culminer avec le dimanche de Pâques, celui de la résurrection du Christ.
Les 5 dimanches de carême sont ainsi, comme le pape Benoît XVI l’a expliqué en 2010, de véritables étapes. Le pape a qualifié ces dimanches d’« étapes de l’initiation chrétienne », qui forment un véritable itinéraire spirituel, en lien direct avec le baptême.
Le mercredi des cendres et le jeûne
Rite de l'imposition des cendres par un prêtre. Oxh973, Public domain, via Wikimedia Commons.
Le mercredi des cendres ouvre ce temps de la pénitence et de la conversion. Il est, comme le Vendredi Saint, un jour de jeûne ecclésiastique. Le jeûne est appelé, par st Grégoire de Nysse, la dignité des pauvres. Seuls les fidèles adultes et valides y sont tenus. Ce jeûne ecclésiastique du Carême exprime la volonté de réparer le péché et d’y renoncer ; il est aussi, comme celui du Vendredi Saint, une préparation à la rencontre de Pâques. Dans l’Évangile, en effet, Jésus jeûne lorsqu’il se prépare à la rencontre divine ou à toute grande œuvre faite avec Dieu : comme Moïse et Élie, il jeûne 40 jours et 40 nuits au désert (Mt 4,1 ; cf Ex 24,18 ; 34, 28 ; 1 R 19 ,8) avant de promulguer, dans le Sermon sur la montagne, la Loi nouvelle.
Dom Robert Le Gall, dans son Dictionnaire de liturgie[1], explique qu’
« En jeûnant, l’homme reconnaît sa dépendance vis-à-vis de Dieu, car sans la nourriture qu’il reçoit de lui, il expérimente la précarité de ses forces : le jeûne humilie son âme » devant Dieu (cf Ps 34, 13 ; 68,11 ; Dt8, 3). Jeûner, c’est montrer à Dieu que l’on n’est rien sans lui, au moment où l’on a une demande importante à lui faire (cf Jg20,26 ;2S 12,16-22 ; Esd 8,21 ; Est.4,16) ; c’est surtout se reconnaître pécheur et implorer, par la reconnaissance pratique de son néant, le pardon divin (1 R 21,27 ; Dn 9,3). Le jeûne corporel n’a de sens que s’il est accompagné d’un jeûne ou d’une abstention du péché (cf Is 58,1-12) ; autrement, il n’est que pure ostentation (Mt 5, 16-18). »
En recevant les cendres dans les églises, sous la forme d’une croix sur le front, nous exprimons avec humilité et sincérité de cœur que nous voulons nous convertir et croire vraiment à l'Évangile, nous souvenant que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière. La bénédiction et l'imposition des cendres ont lieu pendant la messe du Mercredi des Cendres, après l'homélie.
Les cendres proviennent des rameaux qui avaient été bénits lors du Dimanche des Rameaux de l'année précédente, que l’on fait brûler pour la circonstance.
Les cendres symbolisent notre condition de faiblesse et de vanité, qui se termine par la mort; la condition pécheresse de l'homme; la prière et la supplication ardente pour que Dieu nous vienne en aide, mais aussi la résurrection, puisque tout homme est appelé à participer au triomphe du Christ.
Pendant ce temps de Carême se pratique également un jeûne liturgique : ornements liturgiques violets, sauf pour le dimanche Laetare ; jeûne de décoration florale de l’église, jeûne d’accompagnement instrumental pour les chants.
Cet acte intérieur d’offrande (qui passe par le jeûne et l’ascèse) est fécond pour le monde. Comme le dit le pape Benoît XVI dans l’encyclique Spe Salvi (40), il acquiert un sens et contribue, en nous permettant de vaincre notre égoïsme, à l'économie du bien, de l'amour entre les hommes. Cette logique du don et de l’amour permet ainsi de lutter contre la tentation de la possession, de l’amour de l’argent, par la pratique de l’aumône, et d’entrer dans une nouvelle perception du temps, ordonnée à Dieu, par la prière.
Les trois piliers que sont lejeûne, l'aumône et la prière- forment donc le fondement de ce temps et nous permettent d’entrer dans le combat spirituel, à la suite du Christ.
Détail du vitrail de l’Enfant prodigue, Chartres, XIIIès.
Comme le dit le Catéchisme de l’Église catholique,
« Le cœur de l’homme est lourd et endurci. Il faut que Dieu donne à l’homme un cœur nouveau (cf. Ez 36, 26-27). La conversion est d’abord une œuvre de la grâce de Dieu qui fait revenir nos cœurs à lui : " Convertis-nous, Seigneur, et nous serons convertis " (Lm 5, 21). Dieu nous donne la force de commencer à nouveau. C’est en découvrant la grandeur de l’amour de Dieu que notre cœur est ébranlé par l’horreur et le poids du péché et qu’il commence à craindre d’offenser Dieu par le péché et d’être séparé de lui. Le cœur humain se convertit en regardant vers Celui que nos péchés ont transpercé (cf. Jn 19, 37 ; Za 12, 10) » (CEC IV, La pénitence intérieure 1432).
(…)
« La conversion intérieure pousse à l’expression de cette attitude en des signes visibles, des gestes et des œuvres de pénitence (cf. Jl 2, 12-13 ; Is 1, 16-17 ; Mt 6, 1-6. 16-18). »
La pénitence intérieure est donc
« Une réorientation radicale de toute la vie, un retour, une conversion vers Dieu de tout notre cœur, une cessation du péché, une aversion du mal, avec une répugnance envers les mauvaises actions que nous avons commises. En même temps, elle comporte le désir et la résolution de changer de vie avec l’espérance de la miséricorde divine et la confiance en l’aide de sa grâce. » (CEC IV, 1431)
La conversion intérieure pousse donc à l’expression de cette attitude en des signes visibles, des gestes et des œuvres de pénitence (CEC IV. La pénitence intérieure, 1430)
La Résurrection de Lazare. Détail du Vitrail de la vie publique de Jésus. Église Saint-Germain-L’Auxerrois, Paris. XIXès.
Les 5 dimanches sont conçus comme une progression.
Ils sont construits autour de l’année liturgique A, et comprennent les trois dimanches de scrutin. S’il n’y a pas de baptême célébré, on peut suivre les dimanches des autres années liturgiques B et C pendant le Carême
Le premier dimanche de Carême est celui de la tentation du Christ au désert, qui nous permet d’entrer dans le combat spirituel, à la suite du Christ, victorieux du Diable.
Le second dimanche, qui est celui de la Transfiguration, nous invite à nous « plonger dans la présence de Dieu » ; il est suivi de celui de la Samaritaine, qui nous rappelle que Jésus est seul capable de nous donner l’eau de la vie éternelle.
Le quatrième dimanche de Carême, centré autour du récit de la guérison miraculeuse de l'aveugle-né par le Christ, nous invite à comprendre que le Christ peut nous donner la véritable lumière et nous guérir de nos cécités.
Enfin, le dernier dimanche de Carême, celui de la Résurrection de Lazare, nous montre comment le Christ a pouvoir sur la mort et nous prépare à notre propre mort, passage vers la vie éternelle avec le Christ.
Cette plongée dans la mort et la Résurrection est également celle du baptême, et le pape Benoît XVI a encouragé les fidèles à une véritable « immersion » dans la mort et la résurrection du Christ, au terme de laquelle ils pourront se libérer « du poids des choses matérielles ». Le Carême est qualifié par Benoît XVI de
« catéchuménat » renouvelé, dans lequel nous allons à nouveau à la rencontre de notre baptême pour le redécouvrir et le revivre en profondeur, pour devenir à nouveau réellement chrétiens. Le Carême est donc une occasion de « redevenir » chrétiens, à travers un processus constant de transformation intérieure, et de progrès dans la connaissance et dans l'amour du Christ. »
Le rite byzantin du Carême propose trois semaines de préparation du Carême, temps pendant lequel on invoque la Vierge Marie.
Vitrail de la basilique de l'Immaculée Conception, Lourdes. Bernadette embrasse la terre et se lave à la source. Tangopaso, CC BY-SA 4.0
Les apparitions de la Vierge Marie à sainte Bernadette à Lourdes sont inscrites dans le temps du Carême. En effet, sur les dix-huit apparitions de la Vierge Marie à sainte Bernadette, pas moins de quatorze se déroulent au cours de ce temps liturgique, qui constitue de ce fait la colonne vertébrale de l'ensemble, au point que l’on peut dire que le Carême est la clé de Lourdes.
Nombreuses sont les autres apparitions dans lesquelles la Vierge Marie invite à la pénitence : au Laus, à La Salette, à Fatima, à l’Ile Bouchard, à Amsterdam, à Kibého, à Itapiranga…
Fra Angelico. Marie, Mère de miséricorde, v. 1430.Missel 558. Domaine public, via Wikimedia Commons.
Comme le dit le Père P. Darcy,
« La personne de Notre-Dame est unique dans l’histoire de l’humanité. En effet, sans bénéficier d’une nature divine comme son Fils, elle est le seul être humain à n’avoir jamais péché. C’est une réalité étonnante si nous prenons le temps de réfléchir à sa signification. Pourtant, Marie a appelé Dieu son Sauveur (v. 47); elle savait qu’être préservée du péché, c’était équivalent à être rachetée du péché. Elle s’est ainsi identifiée au reste de l’humanité pécheresse. Sa coopération totale avec la grâce de Dieu dans sa vie lui confère une capacité unique à réparer les ravages du péché dans la vie de pécheurs tels que nous le sommes. »
Comme l’a expliqué le pape Jean-Paul II dans sa Lettre encyclique Dives in misericordia (1980), Sur la miséricorde divine, (§9)
« Marie a expérimenté la miséricorde d'une manière exceptionnelle.
Marie est aussi celle qui, d'une manière particulière et exceptionnelle - plus qu'aucune autre - a expérimenté la miséricorde, et en même temps - toujours d'une manière exceptionnelle - a rendu possible par le sacrifice du cœur sa propre participation à la révélation de la miséricorde divine. Ce sacrifice est étroitement lié à la croix de son Fils, au pied de laquelle elle devait se trouver sur le Calvaire.
Le sacrifice de Marie est une participation spécifique à la révélation de la miséricorde. »
Ayant expérimenté cette miséricorde, elle peut nous en faire sentir les effets et susciter en nous le désir de l’expérimenter à notre tour :
« Et cet amour ne cesse pas, en elle et grâce à elle, de se révéler dans l'histoire de l'Église et de l'humanité. Cette révélation est particulièrement fructueuse, car, chez la Mère de Dieu, elle se fonde sur le tact particulier de son cœur maternel, sur sa sensibilité particulière, sur sa capacité particulière de rejoindre tous ceux qui acceptent plus facilement l'amour miséricordieux de la part d'une mère.
C'est là un des grands et vivifiants mystères chrétiens, mystère très intimement lié à celui de l'Incarnation. »
La Vierge Marie peut ainsi éclairer notre esprit sur toutes les passions et sur les péchés de notre vie présente et passée, et nous conduire ainsi à embrasser la vérité de Christ à un niveau beaucoup plus profond. Elle peut purifier nos passions, liées à des émotions désordonnées. En nous aidant à les ordonner, elle peut les conformer à la volonté de Dieu. La Vierge Marie peut enfin nous aider à ordonner votre volonté, nous aider à nous libérer des tentations de révolte ou d’autonomie, pour entrer dans une forme d’obéissance non servile, mais orientée, de façon à nous permettre de vivre en profondeur l’orientation surnaturelle de notre quotidien.
La Vierge Marie, Nouvelle Ève et notre Mère, nous accompagne durant ce temps de conversion jusqu’au Calvaire, où Elle intercède pour nous. Nous pouvons également, en vertu de ce lien filial, la soutenir au calvaire et participer ainsi, dans notre toute petite mesure, à la rédemption du monde par le Christ.
[1] Dom Robert Le Gall. « Jeûne », In : Dictionnaire de liturgie, Vannes, 1982.