Il me semble qu’on n’a pas suffisamment exploité jusqu’ici, sur le plan sociologique, le filon de l’ascendance davidique de saint Joseph. Dans le souci apologétique d’en faire un saint « présentable », on lui a prêté un mode de vie tout à fait commune. C’est partiellement fondé assurément et bien mieux que d’en faire un reclus dans l’insignifiance d’un village perdu. Pas tout à fait exact pourtant, car l’homme est de race princière et cela se sait. Comme qui dirait aujourd’hui la particule ou le « sang bleu »...
Sans nier l’attrait qu’exercent l’affabilité personnelle qu’on peut supposer chez Joseph, celui du savoir-faire propre à tout commerçant (un artisan qui travaille pour son compte est toujours un commerçant), le souci qu’il a lui-même de ne pas trop trancher sur son environnement, on aura quand même pour lui une certaine attitude de réserve. Née assurément de ses compétences ou qualités morales relevées mais plus encore de ses relations sociologiques singulières.
C’est ce point spécial que je souhaite mettre en valeur. Un prêtre de mes amis, d’une famille bourgeoise hollandaise comptant des diplomates en son sein, devint, sur un appel français d’époque, curé d’une petite paroisse de la Drôme. D’une formation artistique très poussée, il avait fait de son presbytère un véritable musée de tableaux. Au point de s’en voir proposée l’acquisition, par la Préfecture de Valence. Les paroissiens ignoraient ce contexte personnel ; aussi étaient-ils très étonnés de voir stationner devant le presbytère des voitures à matricules soit officielles, soit étrangères. Il y avait là un air de mystère qui ne leur plaisait qu’à moitié.
Il vous a fallu jouer serré, Joseph !
Eh bien, il n’est pas pensable que devant l’échoppe de Joseph ne s’arrêtent parfois, que dans sa maison n’entrent, des cousins de son rang et de son sang. Les relations familiales sont particulièrement fortes en Orient et l’on est au courant de tout dans un petit village. Cela fait jaser : « Notre menuisier sait de qui il tient ! Et ça se sait de loin ! ». Le dit-menuisier doit jouer un jeu subtil et serré : d’une part tenir effectivement son rang -soit de prince, soit de notable- et donc par là émerger quelque peu par rapport à ses voisins ; d’autre part obtenir un regard relativement bienveillant sur lui et sa maisonnée.
Y est-il arrivé pleinement ? Ce n’est pas sûr, à en juger par le mauvais accueil réservé à Jésus, devenu prophète, lors de sa première visite comme tel à Nazareth. Et je laisse de côté ici l’énorme problème du célibat prolongé de l’intéressé, voire de l’unique enfant d’une femme pourtant non stérile : « Dites, Marie, c’est voulu ? » On n’est pas avare de ces questions entre femmes… De divers côtés, il vous a fallu jouer serré, Joseph !
Père Francis Volle