623.1 Manahen descend d’un bon pas avec les bergers les pentes qui séparent Béthanie de Jérusalem. Une belle route mène directement à l’oliveraie. C’est vers elle que tourne Manahen, après avoir quitté les bergers qui veulent entrer dans la ville, par petits groupes, pour aller au Cénacle.
Un peu avant, je le remarque à leurs conversations, ils doivent avoir rencontré Jean qui allait à Béthanie apporter la nouvelle de la Résurrection et l’ordre d’être tous en Galilée dans quelques jours. Si les bergers quittent Manahen, c’est parce qu’ils veulent répéter personnellement à Pierre ce qu’ils ont déjà rapporté à Jean, à savoir que le Seigneur, en apparaissant à Lazare, a demandé aux apôtres de se réunir au Cénacle.
Manahen monte par un chemin secondaire vers une maison au milieu d’une oliveraie. C’est une belle demeure, entourée de cèdres du Liban qui dominent de leurs masses imposantes les nombreux oliviers de la montagne. Il entre avec assurance et demande au serviteur qui est accouru :
« Où est ton maître ?
– De ce côté, avec Joseph qui est arrivé depuis peu.
– Dis-lui que je suis ici. »
Le serviteur s’éloigne, puis revient avec Nicodème et Joseph. Les voix des trois hommes se mêlent en un seul et même cri :
« Il est ressuscité ! »
Ils se regardent, étonnés de le savoir tous.
623.2 Puis Nicodème entraîne son ami dans une pièce intérieure. Joseph les suit.
« Tu as osé revenir ?
– Oui. Il a dit : “ Au Cénacle. ” Je désire vivement le voir, glorieux désormais, pour m’enlever le souvenir douloureux que j’ai de lui, attaché et couvert d’immondices comme un malfaiteur frappé par le mépris du monde.
– Nous aussi, nous voudrions le voir… Aussi pour nous enlever l’horreur du souvenir de son supplice, de ses blessures sans nombre… Mais il ne s’est montré qu’aux femmes, murmure Joseph.
– C’est juste. Elles lui ont été toujours fidèles, ces années-ci. Nous autres, nous avions peur. Sa Mère l’a dit : “ C’est un bien pauvre amour que le vôtre s’il a attendu cette heure pour se manifester ! ” constate Nicodème.
– Mais pour défier Israël qui lui est plus opposé que jamais, nous aurions bien besoin de le voir !…. 623.3 Si tu savais ! Les gardes ont parlé… Maintenant, les chefs du Sanhédrin et les pharisiens, pas encore convertis par une telle colère du Ciel, sont à la recherche de tous ceux qui sont au courant de sa Résurrection pour les emprisonner. J’ai envoyé le petit Martial : un enfant s’échappe plus facilement prévenir ceux de la maison de se tenir sur leurs gardes. Ils ont puisé des deniers sacrés dans le trésor du Temple pour payer les gardes, afin qu’ils prétendent que les disciples ont enlevé le corps de Jésus, et que la Résurrection dont ils ont parlé n’était qu’un mensonge dû à leur crainte d’être punis. La ville bout comme un chaudron, et il y a des disciples qui la quittent déjà par peur… Je veux parler des disciples qui n’étaient pas à Béthanie…
– Oui, nous aurions besoin de sa bénédiction pour avoir du courage.
– Il est apparu à Lazare… C’était environ l’heure de tierce. Lazare avait l’air transfiguré.
– Lazare le mérite ! Mais nous… constate Joseph.
– Oui. Nous sommes encore envahis de doute et de pensées humaines, comme d’une lèpre mal guérie… Et il n’y a que lui qui puisse dire : “ Je veux que vous en soyez purifiés ! ” Il ne nous parlera donc plus, maintenant qu’il est ressuscité, à nous qui sommes les moins parfaits ? demande Nicodème.
– Et il ne fera plus de miracles, pour châtier le monde, maintenant qu’il est sorti de la mort et des misères de la chair ? » s’interroge de nouveau Joseph.
Mais leur question ne peut avoir qu’une réponse : celle de Jésus. Or elle ne vient pas. Les trois hommes restent accablés.
623.4 Manahen propose alors :
« Eh bien, je vais au Cénacle. S’ils me tuent, il absoudra mon âme et je le verrai au Ciel. Si je ne le vois pas ici, sur la terre. Manahen est tellement inutile à ses troupes que, s’il tombe, il laissera le même vide qu’une fleur cueillie dans un pré qui en est tapissé. Cela ne se verra même pas… »
Il se lève pour partir. Mais pendant qu’il se tourne vers la porte, celle-ci s’illumine du divin Crucifié qui, les mains ouvertes en un geste d’étreinte, l’arrête :
« Paix à toi ! Paix à vous ! Restez là où vous êtes, Nicodème et toi. Joseph peut encore aller là-bas s’il le juge bon. Mais vous m’avez ici et je vous dis ce que vous demandiez : “ Je veux que vous soyez purifiés de ce qu’il reste d’impur dans votre foi. ” Demain, vous descendrez en ville. Vous irez trouver les frères. Ce soir, je dois parler aux seuls apôtres. Adieu. Et que Dieu soit toujours avec vous. Manahen, merci. Tu as cru mieux qu’eux. Merci donc aussi à ton âme. Quant à vous, je vous remercie de votre pitié. Tâchez de l’élever en menant une vie de foi intrépide. »
Jésus disparaît dans une incandescence éblouissante. Les trois hommes sont à la fois heureux et troublés.
« C’était vraiment lui ?» demande Joseph.
– N’as-tu pas entendu sa voix ? répond Nicodème.
– La voix… un esprit aussi peut l’avoir… Toi, Manahen, qui étais près de lui, que t’en semble-t-il ?
– C’était un vrai corps, très beau. Il respirait. Je sentais son haleine. Et il dégageait de la chaleur. Et puis… les plaies, je les ai vues. Elles paraissaient ouvertes à ce moment. Elles ne saignaient pas, mais c’était une chair vivante. Oh ! Ne doutez plus ! Qu’il ne vous châtie pas. Nous avons vu le Seigneur. Je veux dire Jésus, redevenu glorieux comme sa nature le veut ! Et… il nous aime encore… En vérité, si aujourd’hui Hérode m’offrait son royaume, je lui répondrais : “ Ton trône, ta couronne, ne sont pour moi que poussière et ordure. Rien ne dépasse ce que je possède. J’ai la connaissance bienheureuse de la Face de Dieu. »