Martin Luther a terminé de rédiger le commentaire du « Magnificat » en 1521 alors qu'il l'avait commencé en 1520, juste après la promulgation de la bulle papale qui l'excommuniait. On le trouve dans le Tome III des Œuvres parues chez Labor et Fides.
La dernière partie du commentaire possède un aspect politique particulièrement remarquable. En effet, Luther exhorte le jeune duc Jean-Frédéric de Saxe, à qui il a dédié son travail, afin qu'il puisse gouverner comme Salomon et devenir ainsi un grand roi. La prière de Marie doit justement l'aider dans cette tâche essentielle pour le bien du peuple que Dieu lui a confié. Marie montre l'œuvre de Dieu qui fortifie la foi pour « consoler tous les humbles et effrayer tous les grands de la terre ».1
1 Martin Luther Œuvres (= sigle MLO) Tome III, Labor et Fides, page 24.
Qui est Marie ?
Elle est la « bienheureuse vierge », mère de Dieu. Cependant Martin Luther la présente comme une simple femme, méprisée et indigne de l'honneur qui lui est fait. Alors qu'elle n'est qu'une pauvre jeune fille sans apparence extraordinaire, Dieu a jeté son regard sur elle et l'a utilisée afin que « personne ne puisse se glorifier devant lui d'avoir été ou d'être digne » 2 de la grâce qu'il accorde. Cette grâce n'est pas une récompense accordée pour un quelconque service que Marie, ou toute autre personne, aurait rendu à Dieu.
2 MLO Tome III page 32.
Cette jeune femme humble est « l'atelier » que Dieu s'est choisi et dans lequel il travaille pour le bien de tous. En cela, Marie ne contribue en rien à l'œuvre du Seigneur. On voit l'insistance de Luther pour dire la grâce première. En Marie « se sont rencontrés la richesse surabondante de Dieu avec sa profonde pauvreté, l'honneur divin avec son « néant » (c'est ainsi que Luther traduit le mot « humilitas »), la dignité divine avec sa petitesse, la bonté divine avec son absence de mérite, la grâce divine avec son indignité » 3. Ce n'est donc pas le « néant » de Marie qu'il faut louer mais seul le regard que Dieu a posé sur elle.
3 MLO Tome III page 41.
Bien que se sachant mère de Dieu, au-dessus de tous les hommes, elle n'en demeure pas moins simple car d'elle-même, elle ne se situe pas au-dessus de l'homme le plus humble. « Si elle l'avait fait, elle serait tombée avec Lucifer dans les abîmes infernaux », nous dit Luther. Elle n'a pas succombé à cette tentation. D'ailleurs il insiste pour dire qu'elle ne veut pas que nous nous tournions vers elle mais, par elle, vers Dieu. Elle confesse, dans sa prière, qu'elle n'est qu'une servante du monde entier car l'œuvre, accomplie en elle, de l'incarnation n'est pas pour son seul bénéfice mais pour celui de « tout Israël », c'est-à-dire de toute l'humanité. La mère de Dieu rend grâce à Dieu pour la promesse faite et tenue à Abraham. Elle loue Dieu. Elle ne se loue pas elle-même.4
4 MLO Tome III page 70.
Quelle est la place de Dieu ?
Marie, elle-même, nous indique que c'est Dieu seul qui doit être magnifié. C'est à lui seul qu'elle rend honneur. Elle reconnaît qu'elle n'est rien et elle rapporte tout à Dieu qui est l'auteur de la grâce. Elle ne dit pas dans son cantique « qu'on dira beaucoup de bien d'elle, qu'on célébrera sa vertu, qu'on exaltera sa virginité ou son humilité ni qu'on chantera quelque chanson sur ce qu'elle a fait ; non, c'est seulement à cause du regard que Dieu a jeté sur elle qu'on la dira bienheureuse ; c'est là vraiment rendre honneur à Dieu ». 5
Elle nous enseigne que Dieu a pour « unique occupation de briser ce qui est fait et de refaire ce qui est brisé. De ce qui n'est rien, Dieu le rend honorable, bienheureux et vivant ».6 Même si elle reconnaît être devenue une personne unique dont nul n'est l'égal, elle nous dit que cela n'est pas dû à son mérité mais à la grâce de Dieu.
Et Luther conclut que plus on attribue de mérité et de dignité à Marie, plus « on lèse la grâce divine et on diminue la vérité du Magnificat ». 7 C'est Dieu seul qui accomplit, en elle, l'œuvre du salut offert à tous les hommes.
5 MLO Tome III page 31.
6 MLO Tome III page 17.
7 MLO Tome III page 40.
Doit-on, peut-on, prier Marie ?
On ne peut ni prier, ni rendre grâce à Marie parce qu'elle est devenue la « mère de Dieu ». Au contraire, Dieu seul doit être loué pour ce qu'il a fait d'elle, et par elle, de toute l'humanité.
Marie chante le Magnificat pour nous entraîner, à sa suite, à chanter la gloire de Dieu et lui rendre grâce pour le salut donné aux hommes et aux plus humbles, comme il l'a fait pour elle. Elle nous apprend ainsi comment le chanter et le louer et que chacun soit conduit, par elle, à mettre sa pleine confiance en Dieu et en sa grâce. 8 C'est pourquoi, « tous ceux qui la comblent de tant de louanges et d'honneurs et persistent à lui attribuer tout cela à elle, ne sont pas loin de faire d'elle une idole » 9. Pourtant, Marie ne désire pas qu'on l'honore ni même qu'on attende qu'elle nous fasse du bien. Luther craint l'idolâtrie de ceux qui cherchent, en elle plus qu'en Dieu, une aide et une consolation.
Si nous voulons l'honorer, nous devons la « placer devant Dieu et loin au-dessous de Dieu »10.
8 MLO Tome III page 40.
9 MLO Tome III page 40.
10 MLO Tome III page 40.
Marie a vécu une expérience personnelle et spirituelle sous l'inspiration du saint-Esprit et c'est pourquoi elle est un exemple pour tous, comme le dit Martin Luther. Avec lui, nous pouvons dire : « nous prions Dieu de nous donner de ce Magnificat une juste compréhension qui ne se contente pas de briller et de parler mais qui brûle et vive dans le corps et l'âme. Que le Christ nous accorde cela par l'intercession et la volonté de sa chère mère Marie ! Amen. »11
11 MLO Tome III page 74.
Pasteur Jean-Frédéric Patrzynski
Fédération protestante de France.
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