Dans les livres de Samuel et des Rois, les souverains sont jugés en fonction de leur fidélité au Seigneur
L'Egypte ou la Mésopotamie avaient des principes moraux proches du décalogue. La nouveauté du décalogue tient dans sa première ligne « Je suis YHWH qui t'ai fait sortir d'Egypte ». Ainsi, le but des commandements n'est pas de réduire les hommes en esclavage mais au contraire de monnayer leur liberté en une conduite d'hommes libres, et entrer dans les mœurs divines.
La loi est en ce sens divine, et en contre partie, le roi n'est plus divinisé, ses ordres sont respectés parce qu'il est « l'oint », mais ce ne sont pas des ordres divins. « La Bible évite de représenter le roi comme législateur. C'est que le seul législateur est Dieu. Cette idée est une nouveauté sans parallèle en Orient ancien.»[1]
Le roi d'Israël est remplacé par YHWH dans sa fonction de législateur.
Mais il est aussi remplacé par le peuple. L'expression « peuple sage et intelligent » (Dt 4, 6), comme l'expression « peuple de prêtres » (Exode 19, 6) signifie qu'Israël opère une appropriation de la sagesse, c'est-à-dire du pouvoir de décision, par le peuple entier[2].
Le roi non seulement n'est plus divinisé, mais il est jugé par la loi :
« Le prêtre détient la loi (Jr 2, 8). Le roi ne devra pas seulement juger selon la loi ; il sera aussi jugé selon elle. Dans cet esprit, l'école deutéronomiste a produit avec les livres de Samuel et des Rois une historiographie qui apprécie les souverains selon leur fidélité au culte de YHWH, en fonction, donc, d'un principe extérieur à la politique. »[3]
Une relecture de l'histoire pour expliquer le malheur par les fautes
Au début de la période de l'exil, différents rédacteurs restés à Jérusalem réécrivent l'histoire. Ils utilisent des sources anciennes, vieux récits concernants les Juges, annales des rois...
Nous parlons d'une histoire deutéronomiste parce qu'il s'agit de relire l'histoire à la lumière de la logique du Deutéronome où il est dit de manière assez schématique que la bonne conduite amène la prospérité, tandis que la mauvaise conduite amène le malheur (Dt 30,15-20).
N.B. La théologie deutéronomiste est une forme particulière de la théologie du mémorial. Le poids des fautes demeure et s'accumule de génération en génération. Dt 5,9-10 : Dieu punit la faute des pères sur les petits-fils, on n'a pas la mesure des conséquences du péché !
Mais la grâce est pour des milliers : le Mémorial exprime aussi la fidélité de Dieu, sa bonté et sa tendresse dont on n'a pas non plus la mesure !
Malgré les bonnes œuvres du roi Ezéquias (716-687) et l'obéissance du roi Josias (640-609) la finale du deuxième livre des rois présente l'exil comme une conséquence des fautes des rois, en particulier les fautes de Manassé (687-642), les fautes de Joiaquim (609-598) juste avant la première déportation, et les fautes de Sédécias juste avant le sac de Jérusalem et la seconde déportation (598-587). Nous lisons en 2R 24, 3-4 que le Seigneur provoqua le malheur (de l'exil) parce qu'il "ne voulut plus rien pardonner".
Plus généralement, le but des rédacteurs "deutéronomistes" est de montrer que la catastrophe de 587 n'a pas d'autre cause que l'infidélité radicale d'Israël tout au long de son histoire, et de souligner la patience et la bonté de YHWH.
Par exemple :
Dans le livre de Josué (Jos 7,2-5) la défaite d'Aï est présentée comme étant due à un péché.
Dans le deuxième livre de Samuel (2 S 12,13.s), Nathan annonce la mort du fils de David conçu dans le crime, mais après le repentir de David, Nathan annonce le pardon. Il y a une justice divine, le péché entraîne un malheur, mais la miséricorde de Dieu donne à David un fils, Salomon, et en fera l'ancêtre du Christ.
Cette logique « deutéronomiste » imprègne le Deutéronome, le livre de Josué, les livre des Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des rois.
Avant le récit de la chute de Jérusalem en 587, les fautes des rois sont bien soulignées : 1R15,14 ; 22,44 etc...
Cependant, la finale du livre des Rois s'achève sur une note de miséricorde : Joakin est gracié (2R 25,27-30).
Le Seigneur ne veut pas et n'a jamais voulu le malheur des siens, au contraire, il appelle sans cesse à revenir à lui et offre les chances de reprendre.
Le malheur doit ouvrir les yeux de son peuple. Israël est le partenaire de Dieu, il est libre et responsable, responsable de la rupture d'alliance, et du malheur qui survient dans son histoire.
En même temps que la Torah, Dieu a offert son pardon. La foi s'approfondit en un Dieu généreux, toujours prêt à pardonner, toujours ému par la détresse de son peuple, même coupable. YHWH allait offrir aux siens la chance d'une alliance nouvelle, et le bonheur serait à nouveau possible grâce à YHWH.
Après la chute de Jérusalem en l'an 587, il faudra encore beaucoup de temps pour qu'apparaisse le dessein de Dieu vis à vis du temple (c'est un temple non fait de main d'homme qui doit advenir) et vis à vis de la terre (le Dieu d'Israël est l'unique vrai Dieu, il est universel).
Une théologie qui n'exclut pas d'autres lectures de l'histoire.
Malgré le fait qu'elle ait sa part dans la rédaction de la majorité des textes de l'Ancien Testament, la théologie du deutéronomiste n'a jamais été la seule théologie de l'Ancien Testament.
Souvenons-nous du psaume 43 (44) : l'auteur du psaume refuse délibérément l'explication deutéronomiste.
Ecrasé de souffrance comme Job, comme Job aussi, il plaide "non coupable".
7 Ni dans mon arc n'était ma confiance,
ni mon épée ne me fit vainqueur;
8 par toi nous vainquions nos adversaires,
tu couvrais nos ennemis de honte;
9 en Dieu nous jubilions tout le jour,
célébrant sans cesse ton nom.
10 Et pourtant, tu nous as rejetés et bafoués,
tu ne sors plus avec nos armées;
11 tu nous fais reculer devant l'adversaire,
nos ennemis ont pillé à coeur joie.
12 Comme animaux de boucherie tu nous livres
et parmi les nations tu nous as dispersés;
13 tu vends ton peuple à vil prix
sans t'enrichir à ce marché.
14 Tu fais de nous l'insulte de nos voisins,
fable et risée de notre entourage;
15 tu fais de nous le proverbe des nations,
hochement de tête parmi les peuples.
16 Tout le jour, mon déshonneur est devant moi
et la honte couvre mon visage,
17 sous les clameurs d'insulte et de blasphème,
au spectacle de la haine et de la vengeance.
18 Tout cela nous advint sans t'avoir oublié,
sans avoir trahi ton alliance,
19 sans que nos cœurs soient revenus en arrière,
sans que nos pas aient quitté ton sentier:
20 tu nous broyas au séjour des chacals
nous couvrant de l'ombre de la mort.
(Psaume 44 (43), v 10-20)
[1] Rémi Brague, La Loi de Dieu. Gallimard, Paris 2005, p. 89
[2] Rémi Brague, Ibid., p. 89-91
[3] Rémi Brague, Ibid., p. 86-87
Synthèse F. Breynaert