La révélation biblique donne-t-elle à la Mère de Jésus un rôle quant à l’unité de l’Eglise et du monde ? Nous trouvons la réponse au moins dans trois passages du Nouveau Testament : l’Annonciation, Luc 1,26-38 ; L’adoration des mages Mt 2,11 ; Le calvaire Jn 19,26-27 et 11,52.
1) L’Annonciation à Marie se situe dans une ville de Galilée, zone profane réputée non-hébraïque
« Dans une ville de Galilée appelée Nazareth » (Lc 1,26)
Luc met en parallèle l’Annonce faite à Zacharie (Lc 1,5-25) et l’annonce faite à Marie (Lc 1,26-38).
Pour Zacharie, l’Apparition a lieu dans le temple de Jérusalem, « à la droite de l’autel de l’encens », nous sommes dans l’aire la plus sacrée de tout Israël, le peuple de la première Alliance.
L’Annonce à Marie, au contraire, se situe dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, c’est une zone profane, « la Galilée des Gentils » (cf. Is 8,23 cité en Mt 4,14-15).
La Galilée était dénommée ainsi parce qu’à cause de sa proximité avec les territoires étrangers, elle était peuplée aussi de populations non hébraïques. Tel est le paradoxe du dessein divin.
Là où les hommes ont prononcé un verdict de marginalisation, c’est justement là qu’a lieu l’Incarnation du Fils du Très Haut dans le sein de Marie. Elle n’a pas lieu à Jérusalem, ni dans le temple, mais en Galilée : une frange marginale de la Terre , où cohabitaient Hébreux et non Hébreux.
Sur l’Atlas de Dieu, Nazareth (et la personne de Marie) apparaissent comme le premier signe de l’universalisme chrétien.
Désormais, pour autant que la naissance du Fils de Dieu est significative aux yeux des gens, chaque endroit du monde peut être le sanctuaire hautement béni de son inhabitation.
Et chaque homme qui accueille la parole évangélique deviendra sanctuaire de la Présence divine :
« Ma mère et mes frères – dira un jour Jésus- sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique » (Lc 8,21 cf. Jn 14,23).
« Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable » (Ac 10,34-35).
Depuis l’Incarnation, la présence de Dieu réalisée en chaque homme explique que la colère contre le prochain est colère contre Dieu, et elle a la même gravité, ce qui explique que Jésus dise :
« Vous avez entendu qu’il a été dit aux ancêtres « Tu ne tueras point ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s’il dit à son frère : Crétin ! il en répondra au Sanhédrin ; et s’il lui dit : Renégat ! il en répondra dans la géhenne de feu » (Mt 5,21-22).
Et pour la même raison,
« Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres (…) Alors le Roi dira à ceux de droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. (…) Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure ou vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,31-40)
2) L’adoration des mages
"Ils virent l’enfant avec Marie sa mère " (Mt 2,11) : l’adoration des Mages est une scène clairement inspirée du chapitre 60 du prophète Isaïe.
Le prophète (Is 60, 1-6) célèbre la gloire de Jérusalem quand reviennent les exilés de Babylone. D’autres passages similaires du même livre d’Isaïe exaltent le temple relevé de ses ruines comme étant le lieu où le Seigneur rassemble non seulement les Hébreux revenus de la servitude d’Egypte mais aussi tous les autres peuples (Is 56,3-8 ; 66,20-21). Jérusalem deviendra la Mère universelle. Réellement, dans le sein de ses murailles, elle accueillera toutes les nations, qui monteront à la cité pour adorer l’unique Seigneur du temple.
Les rois et les princesses – chante le prophète à l’adresse de Jérusalem, « face contre terre, se prosterneront devant toi, lècheront la poussière de tes pieds » (Is 49,23).
« Ils s’approcheront de toi, humblement, les fils de tes oppresseurs, ils se prosterneront à tes pieds, tous ceux qui te méprisaient, et ils t’appelleront : Ville du Seigneur, Sion du Saint d’Israël » (Is 60,14).
La littérature juive donne du relief à la personne du Messie qui règnera dans la nouvelle Jérusalem mère universelle. Dans la version grecque de la Septante du psaume 44 parlent des fils de Tyr qui se prosterneront devant lui (le roi messie).
Dans un psaume de Salomon, 50 ans avant J-C, on lit que des extrémités de la terre, les nations viendront voir la gloire du messie et la gloire du Seigneur avec laquelle Dieu l’a glorifié (Ps 17,31).
Toutes ces traditions anciennes convergent dans le récit de Matthieu 2,1-11.
On y retrouve l’adoration des gens des nations lointaines venant avec de riches présents : les mages remplacent les rois et les princesses dont parlait saïe, ils offrent de l’or de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11), et ils se prosternent en adorant…
Mais ils ne viennent pas au temple ni à Jérusalem, ils viennent adorer Jésus sur les genoux de Marie. Le sein et les genoux de Marie Vierge de l’Emmanuel, Dieu avec nous, deviennent le trône naturel où siège la majesté royale de l’Enfant.
En la personne des mages, l’évangéliste Matthieu a voulu signifier tous les païens qui s’ouvrent à la foi dans le Christ.
Franchissant le seuil de cette maison mystique qui est l’Eglise, quelle est la vision qui se déploie devant leurs yeux ? L’évangéliste répond : « ils virent l’Enfant avec Marie sa mère » (Mt 2,11). Marie est étroitement conjointe au fils, comme la racine de laquelle germe la fleur. Et Marie présente au monde le Dieu fait petit enfant, le Dieu avec nous, le Dieu qui attire et rassemble toutes les nations.
3) Marie, la mère des fils de Dieu rassemblés par Jésus
Dans l'Ancien Testament, le temple reconstruit devient le lieu emblématique de cette unité retrouvée (Is 56,6-7 ; Is 66, 18-21 ; Zc 2,15).Ecouter et observer la loi de Moïse et revenir au Seigneur a un poids important dans le rassemblement des dispersés. Jérusalem est saluée comme Mère de ces fils et connaît la surprise d’une maternité prodigieuse et universelle (Za 2,14-9,9).
Jésus est le temple non fait de main d’homme, il prie le Père pour les disciples ainsi : « qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi ». (Jn 17,22-23).
L’unité du monde, avant d’être l’effort et la conquête de l’homme, vient de Dieu : le lieu où Jésus rassemble les dispersés est l’unité divine, l’unité du Père avec le Fils. Jésus se présente comme le bon berger qui rassemble dans l’unité les victimes du loup c'est-à-dire du Malin « qui s’en empare et les disperse » (Jn 10,12 ; cf. 16,32). Pour qu’advienne l’unité, il faut écouter la voix de Jésus le bon pasteur (Jn 10,16).
Jésus considère sa propre mission comme étant le temps de la moisson (Mc 4,9) tout comme Isaïe prophétise le rassemblement des exilés en terme de moisson (Is 27,12-13).
Nous pouvons rencontrer aussi ce thème quand Jean choisit les verbes "recueillir" et "rassembler" (Jn 4,35-38 et Jn 6,12-13) ou encore dans le passage du filet qui ne se rompt pas (Jn 17,20-21).
Mais il faut encore attendre « l’heure » (Jn 2,4) : l’heure pascale (Jn 13,1).
Le grand prêtre Caïphe « prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation, et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 51-52).
A l’heure de la passion, le Maître prophétise : « Voici venir l’heure – et elle est venue – où vous serez dispersés chacun de votre côté » (Jn 16,32). Ce que l’on a traduit "de votre côté" est écrit en grec : « ‘eis ta idia » et peut être traduit chez soi, dans ses affaires, en suivant ses intérêts.
Marie, la mère des fils de Dieu rassemblés par Jésus, accomplit Jérusalem la mère des dispersés rassemblés par Dieu. Et, tout comme dans le langage biblique Jérusalem est évoquée par l’image d’une femme, ainsi peut-on comprendre pourquoi Jésus s’adresse à la Mère en l’appelant Femme (Jn 2,4 et 19,26).
A Cana, nous voyons que la Mère de Jésus exerce un rôle actif en suscitant l’obéissance à la parole du Christ (Jn 2,5), et grâce à la foi, se crée l’unité autour de la personne de Jésus.
Au calvaire, Marie devient la mère (Jn 19,25-27), Mère de tous les fils de la Nouvelle Alliance. Et « le disciple prit Marie chez lui », ce que l’on a traduit « chez lui » est écrit en grec « ‘eis ta « idia » comme précédemment.
Alors tout peut être accompli (Jn 19-30) et donc la prophétie des dispersés rassemblés (Jn 11, 51-52).
L’intérêt propre disperse les membres de l’Eglise (Jn 16, 32), tandis que prendre Marie chez soi les rassemble (Jn 19,25-30).
Nous observons aussi dans le texte grec que la conjonction « mèn…dè » rattache l’épisode de la tunique sans couture, que les soldats ne déchirent pas et qui est le symbole de l’unité de l’Eglise (Jn 19,23-24), avec l’épisode où Jésus fait le don de sa Mère (Jn 19,25-27) : la médiation de l’Eglise dans l’unité est rattachée à la médiation de la Mère.
Aristide SERRA
et Françoise Breynaert