Le grégorien est un chant pur, intimement lié à un texte, et non accompagné d’un instrument: on peut le définir comme parole chantée a capella. La pureté de ce chant, créé pour la liturgie latine, nous donne accès à quelque chose d'essentiel, de chaste, de noble... Aujourd'hui, l'orgue accompagne parfois le grégorien, mais il ne doit jamais dominer le chant.
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Le grégorien dans la liturgie latine et sa transmission
Chant sacré entièrement voué à la liturgie latine (les Grecs ont le chant byzantin), le grégorien s'est constitué dès les premiers siècles d'implantation du christianisme en Occident, à partir des apports de l'Orient chrétien. Il s'inspire donc aussi du chant hébraïque, dont il reprend les mélismes[1] et les tropes[2].
La transmission, pendant des siècles se fit oralement (sans écriture des notes).
Le maître transmettait le savoir, garantissant ainsi l'intégrité de cette transmission. La formation d'un chantre durait dix ans : le chant devait ainsi devenir comme une seconde nature.
On devine comment, au contact de ce chant multiséculaire, l’âme est secrètement forgée, quelle ouverture spirituelle il opère en l'être, et quelle relation au temps et à l’espace il redéfinit. C'est toute l'âme chrétienne, empreinte à la fois de force et de douceur, qui palpite au cœur de ces notes...
L'écriture du chant
Les premiers manuscrits datent du IX° siècle, et leurs systèmes d'écriture varient : un copiste pouvait en effet estimer qu'il fallait écrire les procédés vocaux, tandis qu'un autre les supposait connus des chantres[3] et les omettait volontairement.
Les modes, ou tons
Les pièces du répertoire se répartissent en huit modes (ou tons[4]) regroupés deux par deux[5]. Ils sont caractérisés et classés par leur finale et par leur dominante (appelée aussi teneur, qui est notamment la note sur laquelle sont récités les psaumes). La position des demi-tons entre finale et dominante détermine le caractère du chant ; Les modes impairs sont aigus ou authentiques, les modes pairs sont graves et appelés plagaux.
Protus : finale ré :
- 1er mode : dominante la
- 2ème mode : dominante fa (+ mode 2: dominante sol)
Deutérus : finale mi:
- 3ème mode : dominante si ou do
- 4ème mode : dominante la (+ mode 4: dominante sol)
Tritus : finale fa:
- 5ème mode : dominante do
- 6ème mode : dominante la
Tetrardus : finale sol:
- 7ème mode : dominante ré
- 8ème mode : dominante do
À cela s'ajoutent quelques modes irréguliers, ainsi que les modes "archaïques" C, D et E, dont la dominante coïncide avec la finale.
Au XIIIe siècle, la polyphonie apparaît et bouleverse les principes de la modalité. Une deuxième voix complète musicalement la première « point contre point », c’est-à-dire note contre note :
« Pour cela on utilise la dissonance ou la consonance imparfaite (la tierce, par exemple), qui se résout en consonance parfaite (octave ou quinte). Une musique à cinq voix est ainsi construite par ajouts successifs, en contrepoint par rapport aux voix existantes »[6].
Les compositions
Il y a quatre espèces de compositions:
- Les hymnes et les séquences, dont la composition est strophique.
- Les psaumes.
- Les compositions pour un texte spécial, qui constituent la majorité des œuvres grégoriennes.
- Le chant monologue et le chant dialogué, qui sont constitués des chants en soliste du célébrant, et des réponses du peuple, et notamment des préfaces eucharistiques, splendides et riches de poésie.
Le répertoire musical grégorien
Le répertoire musical grégorien est vaste: on compte 200 mélodies de Kyrie, 56 mélodies de Gloria, 700 mélodies pour le Credo, 231 mélodies pour le Sanctus... il y a aussi de nombreuses compositions pour l'Agnus Dei, les antiennes liées à un psaume, les hymnes, les Alléluia et le Tractus (une composition sur le type des Alléluia pour les jours où l'on ne devait pas chanter Alléluia (carême, jour des morts...), le Graduel (exécuté sur les marches pendant qu'un ministre s'apprêtait à chanter l'Évangile)... L'offertoire... La communion.
Le grégorien marial
Il existe deux Messes grégoriennes en l'honneur de la Vierge, et les deux sont complètes. Ce sont :
La neuvième du Liber usualis, on l'appelle « Messe IX Cum Jubilo».
C'est l’une des plus belles œuvres composées envers la Vierge Marie : ses mélodies sereines et pénétrantes entrèrent tout de suite dans le répertoire des fidèles. Le Sanctus est brodé de tropes marials.
La dixième, appelée « Alme Pater ». C'est une simplification de la Messe « Cum Jubilo ». D'une extrême simplicité et d'usage pratique, son Agnus Dei est brodé de nombreux tropes marials.
En outre, dans les Messes du commun des fêtes de la Vierge Marie, nous trouvons :
- De très belles antiennes du Magnificat,
- Le Magnificat entier
- L'hymne Ave Maris Stella
- Des chants grégoriens pour l'Annonciation sur l'une des mélodies les plus anciennes du chant grégorien, dans la deuxième moitié du III° siècle,
- Des chants pour la naissance de Marie, dès le VIII° siècle,
- Des chants pour l'Immaculée Conception, dès le XII° siècle,
- Etc.
Les hymnes du philosophe et théologien Pierre Abélard (1079-1142)
Pierre Abélard a composé, entre autres, des hymnes pour la liturgie des heures, et parmi eux, des hymnes à Marie :
- Da Mariae tympanum
- Gaude Virgo Virginum gloria -Mater pietatis
- Mater Salvatoris
- Singularis Mater
- Turris hic davidica
- Ut aurora consurgens
- Verbo verbum virgo.
Les offices dramatiques
Il s'agit de paraliturgies à l'occasion des fêtes solennelles. Ces offices sont parfaitement composés du point de vue des textes et des musiques.
Quelques illustrations sonores (cliquez sur ♪ pour les entendre)
Nous vous proposons quelques exemples de compositions grégoriennes en l’honneur de la Vierge Marie: un extrait de la Messe IX Cum Jubilo,
la prière du sub tuum praesidium (Sous l'abri de ta miséricorde), la plus ancienne prière adressée à la Vierge Marie ; celle de l’Ave Maria (Je vous salue Marie), le Magnificat, les quatre antiennes mariales qui ponctuent l’année liturgique : Alma Redemptoris Mater (temps de l’Avent et de Noël), Ave Regina Caelorum (temps du Carême, jusqu’au Mercredi Saint), Regina Caeli (temps pascal jusqu’à la Pentecôte) et Salve Regina (tout le reste de l’année), ainsi que l’hymne Ave Maris Stella et l’Angelus.
- Pour entendre le Kyrie de la Messe IX « Cum Jubilo » (chanté par le chœur des moines de l’abbaye Saint-Martin de Ligugé) ♪ .
- Pour entendre l’antienne Sub tuum praesidium ♪ .
-Pour entendre la prière Ave Maria (Je vous salue Marie), chantée par le chœur de moniales bénédictines du Monastère de San Pelayo (Oviedo, Espagne) ♪ .
- Pour entendre le Magnificat (cantique d’action de grâce de la Vierge Marie) chanté par l’ensemble Harpa Dei ♪ .
Pour entendre les quatre antiennes mariales de l’année liturgique
- L’antienne Alma redemptoris Mater (Mère du Rédempteur, chantée au moment de l’Avent et de Noël) exalte la maternité divine de la Vierge Marie ♪ .
- L’antienne Ave Regina coelorum, qui appelle la Vierge du titre de « Porte du ciel » et lui confie le soin d’implorer le Christ pour nous, est chantée de la Présentation de Jésus au Temple (2 février) jusqu’au Mercredi saint. Elle conclut l’office des Complies (dernières prières de la journée), mais est souvent chantée pendant cette période à la fin de la messe ♪.
-L’antienne mariale Regina coeli (chantée pendant le temps pascal, jusqu’à la Pentecôte) glorifie Marie comme reine du ciel et l’associe à la joie de la Résurrection du Christ. Elle remplace dans la liturgie l'Angelus pendant le temps pascal (des complies du Samedi saint jusqu'à la célébration de none du samedi après la Pentecôte) ♪ .
-L’antienne Salve Regina, dont la tonalité est plus suppliante, est chantée tout le reste de l’année dans la liturgie officielle lors du dernier office de jour (complies ou vêpres), mais également à la fin de certaines autres célébrations. L’antienne est chantée ici par le chœur des moines de l’abbaye de Tamié ♪
L'hymne Ave Maris Stella
L'hymne Ave Maris Stella, qui glorifie la Vierge Marie comme étoile de la mer (Stella Maris), est, dans la liturgie, chantée pour les Vêpres. L’hymne est composé de sept strophes mêlant les invocations litaniques avec les supplications familières. La version que nous vous proposons est chantée par les moines bénédictins de l’Abbaye de Ganagobie ♪ .
L’Angelus
La prière de l’Angelus ♪ , récitée trois fois par jour dans l’Église latine, fait mémoire des mystères liés à l'Incarnation de notre seigneur Jésus-Christ, notamment à travers le rappel de l’Annonciation et de ses conséquences: la présence du Christ parmi nous et le chemin de salut offert par le Christ ressuscité. Les trois premiers versets sont constitués d'un versicule (℣) et de son répons (℟) suivis chacun d'un Ave Maria (Je vous salue Marie), La prière se termine par une oraison.
Source :
-Pellegrino Santuci, La Madonna nella musica, cappella musicale D. Maria dei Servi, Bologna, 1981. Vol I, p. 55-150
[1] Le mélisme est une technique consistant à charger de nombreuses notes une syllabe d'un texte. Il a une signification liturgique. Cette joie éternelle et divine de la louange céleste est inexprimable, et pour la libérer de l'imperfection des mots, elle est représentée par un long mélisme sans paroles. L'Alléluia en comporte toujours.
[2] Un trope consiste à ajouter des paroles sur les mélismes de certains chants de la liturgie de la messe, aussi bien de l'ordinaire (kyrie, gloria, sanctus, agnus) que du propre (introït, offertoire, communion). Ils donnent ainsi lieu à des chants séparés : les tropaires ou les séquences.
[3] C’est Charlemagne qui diffusa le chant grégorien en même temps que la langue latine, entraînant aussi la perte du chant mozarabe d'Espagne ou du chant gallican de Gaule.
[4] Certains préfèrent parler de 8 "tons", et réserver le terme "mode" aux paires de tons appelés "protus", "deuterus", "tritus", "tetrardus", ci-dessus.
[5] De même que plus tard, la musique classique sera écrite en ton majeur ou mineur qui traduisent des sentiments différents. Les huit modes grégoriens offrent donc une richesse expressive plus grande que le ton majeur et le ton mineur de la musique classique.
[6] Abbé Louis-Marie Gélineau, prêtre de la Fraternité Sacerdotale saint Pie X (FSSPX).Histoire de la modalité, en ligne
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Pour en savoir plus
-sur l’Ave Maria (Je vous salue Marie), dans l’Encyclopédie mariale
-sur le Magnificat, dans l’Encyclopédie mariale
-sur la Vierge Marie et la musique, dans l’Encyclopédie mariale
-sur l’histoire du chant grégorien, en ligne
-sur la Schola Saint-Grégoire, en ligne
-sur la Schola sainte-Cécile, en ligne
Sur l’Association les chantres du Thoronet, en ligne
-sur le Festival International de Chant Grégorien de Watou, en ligne
