C'était le 12 mai 1848, par une douce matinée de ces printemps alpestres tout embaumés des senteurs du sapin et des fleurs nouvelles qu'emporte la brise sur les hauteurs. Johann-Baptist Stichlmair sortit, comme chaque jour de la fermette paternelle pour conduire à la pâture les vaches du briquetier Lorenz Oswald, qui l'avait pris à son service. Johann-Baptist, garçon de treize ans, était très travailleur et très bon: dans le village, chacun l'aimait beaucoup et enviait aussi quelque peu ses parents d'avoir un fils si parfait!
Enfant sage, très calme, studieux à l'école tant qu'il y alla, élevé pieusement par de pauvres parents qui lui avaient transmis une profonde dévotion encore assez courante dans les campagnes bavaroises, Johann-Baptist se rendait régulièrement à l'église, priait et disait le chapelet et passait ses après-midi dans la forêt, avec ses bêtes, s'occupant à méditer et à chanter tout seul des cantiques.
En ce matin du 12 mai 1848, il se rendit dans une petite clairière isolée qu'il connaissait bien, et où il savait être tranquille et seul. Comme deux ou trois vaches s'écartaient du chemin, il les suivit en courant pour les ramener dans le troupeau et vit soudain devant lui, au milieu de la clairière à quelque trente pas, une Dame assise sur un tronc de sapin abattu. Vêtue d'une longue robe ample couleur de roses fraîchement écloses, elle pleurait, tenant ses mains cachées sous les plis d'un long voile qui couvrait sa tête et ses épaules d'un éclat immaculé et irisé, pour retomber jusqu'au sol. Elle portait, sur ce voile, une couronne d'or finement ciselée et plus brillante que le soleil, surmontée d'une haute flamme vive qui éclairait toute la clairière.
Johann-Baptist contempla cette merveilleuse et lumineuse apparition. Combien de temps? Il ne sut, par la suite, jamais le préciser, mais déclara sans hésitation que ce fut bien trop court. Puis il pensa soudain à ses vaches, se retourna pour regrouper le troupeau... Quand il voulut de nouveau poser ses regards sur la Dame, elle avait disparu. Au loin se fit entendre l'angélus de midi: le berger se mit à prier silencieusement, puis il regagna le village.
Johann-Baptist raconta sa vision au maître qui crut d'abord que le garçon avait dormi et rêvé. Car on ne pouvait un instant concevoir que le pâtre fût capable de mentir, tant il était honnête et bon. Le maître dut bien croire ce que lui disait l'enfant: il lui conseilla, au cas où l'apparition viendrait, peut-être, à se renouveler, de demander à la Dame qui elle était et ce qu'elle désirait. Et, dans la fin de l'après-midi, Johann-Baptist, qui était revenu garder ses bêtes au même endroit, revit l'apparition, encore plus éclatante de lumière: la Dame était assise près des arbres, sur le tronc abattu d'un bouleau. Johann-Baptist s'avança vers elle et vit qu'elle pleurait en silence. Son cœur battait, il était ébloui par toute la lumière qui illuminait la Dame: trois rayons très éclatants sortaient de son cœur, cachaient ses mains et ses pieds, se répandaient autour d'elle et enflammaient toute la clairière. Le petit pâtre comprit que ces trois rayons signifiaient le triple lien de Marie avec les trois divines Personnes, et il pria la Fille du Père Eternel, la Mère du Sauveur et l'Epouse Immaculée du Saint-Esprit. Alors la Dame parla d'une voix très suave, très harmonieuse, avec tristesse:
Approches-toi, cher Johann, ne crains rien ! Ecoute bien ce que je vais te révéler, pour le répéter aux hommes.
Je ne peux plus retenir les grands fléaux, que Dieu veut envoyer aux hommes car ceux-ci ont sombré dans la méchanceté !
Seule une très grande pénitence peut encore les sauver et retenir la colère de Dieu...
Pourtant, une grande mortalité due à l'épidémie et à une grande guerre entre peuples décimera l'humanité, jetant les méchants à l'enfer et aussi portant les bons au ciel, pour y recevoir leur récompense.
As-tu bien compris ceci, mon cher enfant ? N'oublie pas de le faire savoir aux hommes exactement comme je te l'ai annoncé.
Ayant donné ce grave message, la Mère de Dieu s'éleva dans le ciel, tandis que le petit pâtre la suivait du regard, les yeux remplis de larmes. Alors, la Vierge, très doucement, redescendit vers l'enfant, lui sourit affectueusement, puis remonta dans le ciel radieux: elle disparut dans une grande lumière qui éclaira la clairière et fut aperçue par une paysanne occupée un peu plus loin à faucher de l'herbe avec ses filles: leur témoignage confirma par la suite les déclarations de Johann-Baptist.
Celui-ci revint au village dans la soirée, mais ne dit rien à son patron, sinon qu'il avait revu les rayons lumineux et la Dame. Le lendemain, il put dès le matin se rendre à l'église: après la messe qu'il suivit avec son recueillement habituel, il révéla au curé Wiedemann les paroles de la Dame, puis, ensuite seulement, à ses parents. Le petit pâtre avait, bien qu'il fût très simple, un remarquable sens des priorités, un étonnant sensus Ecclesiae.
La nouvelle des apparitions se répandit bientôt dans toute la contrée, et des foules de pèlerins, de toutes les localités avoisinantes, affluèrent sur le lieu des apparitions et à la ferme Stichlmair pour y entendre le récit des faits de la bouche même du petit pâtre. Celui-ci avait été très ému par le sévère message de la Dame, et en fut malade pendant quelques temps.
Les pèlerins réduisirent en miettes le tronc de bouleau sur lequel la Dame s'était assise, chacun en emportant une parcelle comme précieuse relique. Dans les semaines qui suivirent les apparitions, il y eut plusieurs conversions jugées miraculeuses et de très grandes grâces de conversion. L'autorité religieuse, informée par le curé d'Obermauerbach, entreprit une enquête sur les faits: la déposition de Stichlmair, l'éloge unanime qu'on faisait de lui et les nombreuses grâces obtenues inclinaient la commission nommée par l'archevêque de Munich à croire en la réalité de ces apparitions, bien qu'une vive opposition se fît, comme deux ans plus tôt à La Salette, ressentir de la part de certains milieux, et du clergé notamment. Et, de même qu'à La Salette on avait imaginé la grotesque fable de Melle de Lamerlière, on prétendit ici qu'une servante de curé avait organisé une mise en scène qui pût abuser le petit pâtre innocent.
Ces ragots indisposaient les membres de la commission épiscopale et exaspéraient les pèlerins et le village d'Obermauerbach, dont les habitants pouvaient difficilement supporter que l'on mît en cause Johann-Baptist et sa famille. Le ciel allait se charger très vite de donner un démenti formel à ces calomnies:
le vendredi 16 juin 1848, fête de saint Benno, patron du diocèse, une grande lumière apparut dans les nuages à 7 h. du soir, juste au-dessus du lieu des apparitions de la Vierge. Les nombreux pèlerins qui se trouvaient présents n'y firent d'abord pas attention: on croyait que c'était un effet du soleil couchant.
Mais cette lumière se déploya en une guirlande: de légers nuages irisés formaient comme un portique à festons dans le ciel, et des boules de feu apparurent alors autour de ce portique, qui descendit lentement, jusqu'à la cime des sapins: les pèlerins regardaient cet étonnant spectacle avec surprise, et virent alors s'inscrire en grandes lettres de feu rouge vif le nom de JESUS qui étincelait sous le portique de lumière! Tous tombèrent à genoux, contemplant ce spectacle. Et ce saint nom disparut après quelques minutes, faisant place à une clarté éblouissante dans laquelle se montra la Vierge Marie, toute vêtue d'or et de lumière! Seize personnes purent contempler l'apparition qui se tenait silencieuse sous l'arche de lumière.
La nouvelle de cette troisième apparition eut un grand retentissement dans la région. Les pèlerinages, stimulés par l'événement, se firent plus nombreux. La commission d'enquête enregistra le prodige, qui calma les esprits troublés par une propagande adverse.
Chacun croyait dès lors que les apparitions de la clairière seraient rapidement reconnues, car les faits avaient pris une importance énorme et tout se conjuguait pour une issue favorable imminente. Or le ciel allait encore donner des signes non équivoques de son intervention dans la clairière.
Le 28 juin, vers 16 H. 30, quarante personnes, ayant passé la journée en prière sur le lieu où les apparitions s'étaient manifestées, furent, une fois de plus, les témoins émerveillés d'une quatrième et dernière manifestation mariale.
Dans le ciel radieux, un nuage éclatant apparu au-dessus des sapins se changea bientôt en guirlande de lumière aux teintes rouges, bleues et dorées, tandis que des boules de feu semblables à du verre, ou plutôt du cristal en fusion, descendaient sur la guirlande lumineuse et s'y fixaient: et de nouveau la Vierge Marie se montra, dans cette guirlande aux lumières extraordinaires. Elle se tenait debout, et portait l'Enfant-Jésus dans ses bras. Vêtue d'or et de rose, elle avait sur la tête une couronne artistement ciselée, avec une flamme vive au milieu, qui projetait sa clarté sur toute la clairière. Elle se montrait donc cette fois comme Johann-Baptiste avait pu la contempler le mois précédent.
Elle resta visible pendant de longues minutes, sans rien dire, présentant l'Enfant Jésus souriant. Puis elle disparut, enveloppée dans une vive clarté qui resta encore visible pendant quelques instants. Quarante personnes avaient pu la voir, émerveillées et très émues. Elles se rendirent au presbytère et, au bon curé ébahi, relatèrent cette apparition très significative.
Le curé fit rédiger une relation des faits que signèrent tous les témoins et qui fut remise à la commission d'enquête. Celle-ci retint par ailleurs quatre cas de guérisons extraordinaires et les étudièrent dans le cadre de l'enquête. Les foules ne cessaient d'affluer, souvent conduites par le curé d'Obermauerbach et d'autres prêtres sur le lieu où la Vierge Marie s'était manifestée. On plongeait souvent les malades dans une petite fosse laissée dans le sol par la souche du bouleau abattu sur lequel la Vierge, à la seconde apparition, s'était assise, et que l'on avait débitée en fragments tout comme le tronc. C'est là que se produisirent les guérisons les plus belles.
Christan Rouvières, "Rosa Mystica", Namur, Juillet-Août 1978