[Les textes de la tradition juive ne sont pas homogènes. L'existence d'un ton polémique indique soit une opposition entre Juifs et chrétiens (notamment contre saint ¨Paul[1]), soit une opposition interne au judaïsme, le courant minoritaire devenant progressivement effacé des sources juives.]
Adam n'a été cause que pour lui-même
L'Apocalypse de Baruch syriaque
La construction doctrinale élaborée sur le péché originel et ses conséquences était connue de l'auteur de l'Apocalypse de Baruch syriaque (54, 15-19), mais il la rejette catégoriquement. Il déclare :
« Si Adam a péché et amené sur nous tous une mort prématurée, chacun de ceux qui sont issus de lui est responsable du tourment préparé pour son âme, et chacun d'eux à choisi pour lui-même les gloires à venir... Adam n'a donc été la cause que pour lui-même, et chacun de nous est devenu l'Adam de sa propre âme. » Apocalypse de Baruch syriaque (54, 15-19)
Malgré un cœur mauvais, l'homme peut encore être victorieux
Pour l'auteur de 4 Esdras, bien que la loi n'ait pas extirpé le mal qui réside en l'homme, ce dernier reçut malgré tout un moyen de choisir le bien. [Il n'y a pas de place ici pour la notion de péché originel avec le besoin d'un rédempteur].
Il constate :
« Tu n'as cependant pas extirpé d'eux le cœur mauvais, pour que ta loi portât du fruit en eux. Car un cœur mauvais habitait le premier Adam dès l'origine, et il transgressa et fut vaincu, et avec lui touts ceux qui naquirent de lui. » (4 Esdras 3)
L'ange dit :
« Telle est la loi du combat que chaque homme né sur terre soit soutenir ; s'il est vaincu, il doit souffrir ce que tu viens de dire ; mais s'il est victorieux, il recevra ce dont j'ai parlé. C'est de cette voie que Moïse, de son vivant, à parlé au peuple en disant : Choisis la vie, afin que tu vives ! » (4 Esdras 7)
La malédiction de la Genèse (Gn 3) ne concerne la mort que de quatre personnages mineurs...
Exceptionnelle est la baraïta que l'on a jadis parfois considérée comme une illustration de la théorie du péché originel.[2]
Selon cette baraïta, « quatre moururent du fait du serpent : Benjamin, fils de Jacob ; Amram, père de Moïse ; Jessé, père de David ; et Kileab, fils de David. »[3]
Signification :
Dans la restriction des effets du premier péché au sort de quatre personnages d'importance secondaire, la doctrine du péché originel est ridiculisée : elle concernerait seulement quatre humains !
Le même type de polémique contre la théologie de saint Paul est exprimé aussi ailleurs dans le Talmud[4].
Ce sont les générations suivantes qui causèrent la mort d'Adam et non l'inverse
Une première polémique explique que ce n'est pas « par un seul que le péché et la mort causé par un seul sera rachetée », mais au contraire, la mort fut infligée à Adam par les générations suivantes, et par anticipation de la foi que Paul viendrait prêcher, entraînant selon eux « l'insincérité des oeuvres ».
« Adam ne méritait pas de connaître le goût de la mort. Pourquoi la mort lui fut elle imposée.
Parce que le saint béni soit-il, prévoyait que Nabuchodonosor et Hiram se proclameraient dieux. » [5]
[Voici la polémique : dire que l'histoire d'Adam est sans conséquence sur l'humanité, permet de suggérer que Jésus nouvel Adam n'a aucune influence sur l'humanité, il n'y a ni péché originel ni rédempteur].
La mort est indépendante du péché
« Parole de R. Yohanan [Amora] : Pourquoi la mort fut-elle imposée aux méchants ? [...] Pour qu'ils cessent d'importuner le Saint, béni soit-il.
Pourquoi la mort fut-elle infligée aux justes ? La réponse est que, aussi longtemps que les justes sont en vie, ils luttent contre leur penchant ; lorsqu'ils meurent, ils sont en repos [...] nous avons assez peiné ! »[6]
[Voici la polémique : si la mort s'explique de manière tout à fait indépendante du péché, et n'est plus un châtiment comme cela est dit en Genèse 3 ; il n'y a ni péché originel, ni besoin d'un rédempteur].
[1] Voici la pensée de saint Paul :
12 Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché; -- 13 car jusqu'à la Loi il y avait du péché dans le monde, mais le péché n'est pas imputé quand il n'y a pas de loi; 14 cependant la mort a régné d'Adam à Moïse même sur ceux qui n'avaient point péché d'une transgression semblable à celle d'Adam, figure de celui qui devait venir... 15 Mais il n'en va pas du don comme de la faute. Si, par la faute d'un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d'un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude.
16 Et il n'en va pas du don comme des conséquences du péché d'un seul: le jugement venant après un seul péché aboutit à une condamnation, l'œuvre de grâce à la suite d'un grand nombre de fautes aboutit à une justification.
17 Si, en effet, par la faute d'un seul, la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus Christ.
18 Ainsi donc, comme la faute d'un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l'œuvre de justice d'un seul procure à tous une justification qui donne la vie.
19 Comme en effet par la désobéissance d'un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste.
20 La Loi, elle, est intervenue pour que se multipliât la faute; mais où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé: 21 ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce régnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur. (Romains 5, 12-21)
[2] C'est l'opinion de : Israël Lévi, « Le péché originel dans les anciennes sources juives », école pratique des hautes études, Paris 1907, p. 9.
[3] Talmud de Babylone, Shabbat 55 b ; Talmud de Babylone Bava batra 17 a.
[4] Talmud de Babylone Shabbat 145b-146a ; Talmud de Babylone Yevamot 103b ; Talmud de Babylone Avoda zara 22b ; voir aussi Talmud de Babylone Pesahim 56a.
[5] Genese Rabba IX, 5
[6] Genese Rabba IX, 5
E. Urbach, Les sages d'Israël, Cerf, Paris 1996, (traduit de l'hébreu par Marie-José Jolivet. Edition originale, Jérusalem 1979), chapitre XV, Jugement de l'homme et jugement du monde, p. 440-447 - résumé et présentation par F. Breynaert.