L'annonce du Messie dans les oracles du Serviteur

Les oracles du Serviteur, dans l'attente messianique

Le Serviteur, un personnage différent des personnages connus. [1 ]

Les oracles du Serviteur contiennent des sous-entendus historiques variés, spécialement en rapport avec la fin de l’Exil. Mais les personnages évoqués ne sont que des "types" ou des "figures" annonciatrices du Serviteur ; elles sont même en contradiction avec le fait que le Serviteur « n’a jamais péché » (Is 53,9) :

  • Cyrus ne connaît pas Dieu et il n’est qu’un rapace (Is 45-46);

  • Sheshbaççar qui entreprit la reconstruction des murailles de Jérusalem est critiqué pour n’avoir pas compris que Dieu voulait une ville ouverte (Za 2,8);

  • Zorobabel est critiqué pour avoir négligé la reconstruction du temple (Ag 1,1-4);

  • Josué a du être purifié pour ses péchés (Za 3,1-5);

  • et le reste des rescapés d’Israël confesse ses fautes en réponse à la prédication du Serviteur (Is 58,1).

Un Messie pré-existant ?

« J'ai mis mes paroles en ta bouche, à l'ombre de ma main je t'ai caché, pour tendre les cieux et pour fonder la terre, pour dire à Sion : "Tu es mon peuple." » (Is 51,16)

Ce texte correspond au dogme juif et chrétien de la pré-existence du Messie, qui doit rester caché jusqu’à ce que Dieu décide de le révéler[2].


Le passage d'Isaïe 53,10-12 mérite une attention particulière :

« 10 YHWH a voulu l'écraser par la souffrance ; s'il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et par lui la volonté de YHWH s'accomplira. 11 A la suite de l'épreuve endurée par son âme, il verra la lumière et sera comblé. Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s'accablant lui-même de leurs fautes. 12 C'est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes, et avec les puissants il partagera le butin, parce qu'il s'est livré lui-même à la mort et qu'il a été compté parmi les criminels, alors qu'il portait le péché des multitudes et qu'il intercédait pour les criminels. »

(Isaïe, Bible de Jérusalem, 53,10-12).

Le Serviteur meurt (v10) mais il « prolongera ses jours » (Résurrection du Corps) et « verra la lumière et sera comblé » (v 11). (Vision Béatifique de Dieu). Le Serviteur « verra une postérité » (v10), il transmettra sa vie à une postérité de justes, le Peuple Nouveau qu’il va engendrer par son sacrifice.

Le sacrifice dont il s’agit (v10), en hébreu Asham, comporte une confession des péchés (Cf. Lv 5,5) qui est nécessaire pour que la rupture de l’alliance puisse être pardonnée (Cf. Jr 3,12-13).

Celà explique que les pa?ens et Israël, ayant tous les deux rompu l’Alliance (celle de Noé pour les Pa?ens, celle de Mo?se pour les Juifs) pourront y être réintégrés par ce Sacrifice puisqu’il les amène à confesser leurs crimes.

Le pécheur offre alors une offrande pour concrétiser son nouveau désir de plaire à Dieu. L’âme du Serviteur donne aux pécheurs quelque chose qu’ils puissent offrir à Dieu, son propre Corps consacré à l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui veut faire de Lui un moyen de communion transmettant la Vie.

Ce Plan de Salut n’est pas imposé de façon déterministe, mais sa réalisation dépend de la libre acceptation par le Serviteur comme le suggère le « si » (v10 : S’il offre sa vie…) Le Serviteur « intercède » (v12) pour les révoltés comme un Nouveau Mo?se (cf Ex 32,11s) ou un Nouvel Aaron, Grand Prêtre, qui doit porter les péchés dans l’expiation du Kippur (Lv 16).

Cette typologie concernant le Serviteur du livre d’Isa?e est appliquée au Christ dans la lettre aux Hébreux [3 ].

Isaac et le Serviteur.

Le Targum de Gn 22,1-19 (c'est-à-dire la traduction de la Bible hébra?que en araméen, attestant l’interprétation officielle du texte biblique au 3e ou 2e siècle av. JC) donne à Isaac les traits du Serviteur souffrant : « unique juste », son sacrifice « expie les péchés », Isaac est « délivré » des liens de la mort, ce qui entraînera la « délivrance » et la « vivification » du peuple [4 ).

La mère du Serviteur.

Le livre d’Isa?e contient aussi une double prophétie concernant la mère du Serviteur [5 ] :

« Avant d'être en travail elle a enfanté, avant que viennent les douleurs elle a accouché d'un garçon. » (Isaïe 66,7)

La naissance se fait sans les douleurs de l’enfantement qui sont la conséquence du péché d’Eve. Cette mère mystérieuse est donc décrite comme une Nouvelle Eve, d’avant le péché originel, ce qui identifie son fils comme le descendant promis à Eve qui écrasera la tête du Serpent, le Diable.

Le miracle de cette naissance comporte aussi l’engendrement virginal de l’Emmanuel-Serviteur, c’est une relecture eschatologique d’Isa?e historique. En Is 7,14, au huitième siècle av. J-C il ne s’agissait que d’un petit signe : la prédiction que la jeune femme, la reine, allait enfanter un héritier mâle du trône de David menacé.

Dans notre passage, la prophétie recueillie dans le livre d’Isa?e doit "rebondir" de ce petit signe qu'interprête la vision du prophète, en un grand signe miraculeux, un futur engendrement virginal par Dieu, aboutissant à la mort et à la résurrection du Serviteur, comme le suggérait déjà Is 7,11 : « un signe consistant à enfoncer au Shéol ou en élever de nouveau. »[6 ]


[1 ] Thomas KOWALSKI, Les oracles du Serviteur Souffrant, ed. Parole et Silence, 2003, p.9-16, extraits

[2 ] Ibid., p. 22, extraits

[3 ]Ibid., p.28-32, extraits

[4 ] Ibid., p.47-48, extraits

[5 ] Ibid., p. 89, extraits

[6 ] Ibid., p. 41-43, extraits


Synthèse F. Breynaert

Attention, certains penseront à un messie souffrant, sans penser à un rédempteur personnel