Certains sages ne croient pas en la grâce d'un rédempteur, mais ils croient dans le mérite d'Israël :
Observons ce commentaire juif sur Isaïe 61, 10.
« Comme l'époux qui se revêt de magnificence - cela nous enseigne que le Saint, béni-soit-il, revêtira enfin Ephraïm, notre Messie de Justice, avec un vêtement dont la splendeur s'étendra d'une extrémité à l'autre du monde...
Comme la fiancée qui se pare des ses atours - tout comme une fiancée n'est pas reçue sans ses ornements, ainsi l'assemblée d'Israël ne confond ses ennemis autrement que par ses mérites. »[1]
La première phrase fait référence à Dieu, l'époux, qui revêt son peuple de magnificence, mais il ne s'agit nullement de grâce ni de rédemption venant de Dieu.
La seconde phrase dit explicitement qu'Israël confond ses ennemis uniquement par ses propres mérites.
Pourtant, l'auteur[2] parle d'un messie personnel et fait de ses souffrances le thème central de son « Traité messianique ».
Dans cette logique, la destruction du mauvais penchant est uniquement une œuvre humaine :
Nous avons déjà évoqué le deuil de Zacharie 12, 10 : « Ils porteront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique. »
L'amora [Le sage du Talmud] explique les mots du deuil de Zacharie comme se rapportant à la destruction du « mauvais penchant ».
Le Talmud soulève à juste titre une objection à cette interprétation : Faudra-il qu'on prenne le deuil pour un tel événement ? On devra au contraire se réjouir ! Pourquoi alors devrait-on s'affliger ? La réponse indique que, dans cette perspective du Talmud, la destruction du mauvais penchant est uniquement une œuvre humaine :
« Dans le sens de l'interprétation de R. Yehudah b. Ile'aï : Au temps à venir, le Saint, béni soit-il, convoquera le mauvais penchant et le détruira en présence des justes et des méchants. Aux justes, il apparaîtra comme une montagne démesurée et aux méchants, comme un simple cheveu. Les deux groupes répandront des larmes, les justes en disant : Comment avons-nous été capables de vaincre cette montagne démesurée ! et les méchants en disant : Comment se fait-il que nous n'ayons pas été capables de venir à bout de ce simple cheveu !»
(Talmud de Babylone, Sukka 52 a)
Dans cette perspective, il n'y a nullement besoin d'un Sauveur, d'un Messie personnel.
Et nous mesurons combien avec un même Ancien Testament, à partir de la lecture des mêmes prophéties (ici, Isaïe 53, 12 et Zacharie 12, 10), juifs et chrétiens empruntent deux chemins spirituels très différents.
Jésus : « ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37)
Zacharie dans le texte hébreu dit :
« Ils regarderont vers moi qu’ils ont transpercé. » (Za 12, 9-10).
Ce qui suggère que c’est YHWH lui-même qui a été atteint en la personne de son porte parole.
L'évangéliste Jean ose appliquer ce verset au Christ, car le Christ est Dieu fait homme. Appliqué au Christ juste après sa mort en croix, Zacharie 12, 9-10 devient :
« Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19, 37).
Un seul soldat a donné le coup de lance, mais l’évangéliste pense à un pluriel : « ils regarderont… ils ont transpercé » : il pense à tous les hommes pécheurs. En effet, Jésus a dit :
« Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » (Jean 12, 32).
[1] Pesiqta rabbati 164a
[2] L'auteur appartient à une mouvance apocalyptique tardive de la fin de la domination byzantine sur la Terre d'Israël. Il réunit les personnes du Messie Fils de Joseph et du Messie fils de David en une seule figure, « Ephraïm, notre Messie de justice ».
Sources juives tirées de : E. Urbach, Les sages d'Israël, Cerf, Paris 1996 (Edition originale, Jérusalem 1979), p. 704-710
Françoise Breynaert
Extrait de :
F. Breynaert, Juifs et chrétiens, Une origine, deux chemins