Le martyre du diacre Etienne témoigne de l'hostilité des Juifs devant l'Eglise naissante. Le cœur du conflit est qu'avec Jésus ressuscité, la sainteté d'Israël s'élargit à tout homme et toute femme qui croit. Corneille, païen craignant Dieu reçoit le baptême par l'apôtre Pierre... Cependant malgré ce mur d'hostilité, le livre des Actes, jusqu'à sa finale, témoigne qu'une ouverture demeure.
Cet article observe cette ouverture, et tente de percevoir l'influence de la mère de Jésus grâce au fait que le livre des Actes et l'évangile de Luc ont le même auteur, Luc. Nous commençons par un regard sur Marie, puis sur Paul, puis sur la finale du livre des Actes.
Marie
Le livre des Actes commence par ces mots : « J'ai consacré mon premier livre, ô Théophile, à tout ce que Jésus a fait et enseigné. » (Actes 1,1).
Cela signifie que le livre des Actes prolonge l’évangile de saint Luc, tous deux écrits par le même auteur, ils sont faits pour être lu l’un après l’autre.
Au commencement de l’évangile de Luc, la Vierge Marie tient une place importante, durant les deux premiers chapitres :
Marie est de Nazareth, la Galilée des nations (Lc 1, 26), tournée vers les nations, jusqu’aux extrémités de la terre.
Lorsque les parents de Jésus viennent au temple comme de bons juifs pieux, la prophétie de Siméon (Luc 2, 29-34) leur apprend que Jésus sera un signe de contradiction, il est à la fois la gloire d’Israël et la lumière des nations.
Marie « gardait et méditait tout cela dans son cœur » (Lc 2, 51), tout, c’est-à-dire toute la réalité, sans omettre un des éléments en tension, Israël et les nations sont unis dans son cœur.
Au commencement des Actes des apôtres, la mère de Jésus est discrètement présente, avec les disciples dans le cénacle de la Pentecôte (Ac 1,14; 2,1-4)
L’effusion de l’Esprit Saint a pour premier effet de faire de chacun un témoin qui comprend et transmet ce qu’il a vu et vécu auprès de Jésus. La Vierge Marie devient, elle aussi, témoin, et son témoignage aura sans doute une influence qui accompagne discrètement toute l’aventure des Actes des apôtres.
Le témoignage de la mère de Jésus dans l’assemblée du cénacle a très certainement été un ferment de foi au Christ, d’espérance et de patience, de charité et de douceur, qui s’est transmis ensuite d’un apôtre à l’autre, jusqu’à rejoindre et influencer saint Luc et saint Paul, même si ce dernier n’a probablement pas eu de contact direct avec Marie.
Comme les parents de Jésus, Paul affirme sa judéité (Ac 22, 3).
Comme Marie qui gardait tout dans son cœur (Lc 2, 51), saint Paul garde toujours le peuple juif dans son cœur, sans l'exclure en rien (Ac 28, 28-30).
Comme Marie gardait la prophétie que Jésus serait la lumière des nations (Luc 2, 32), saint Paul garde la promesse de Jésus que ses disciples iront baptiser jusqu'aux extrémités de la terre. C'est pourquoi le livre des Actes s'achève sur l'image du pasteur à son travail.
Paul affirme qu’il est Juif, et certains pharisiens le reconnaissent comme l’un des leurs.*
A contre-courant de ceux qui le répudient, Paul se défend en répétant qu’il est juif :
A Jérusalem il déclare : « je suis juif » (Actes 22, 3) et devant le sanhédrin : « je suis pharisien » (23, 6) ; devant Félix « Je crois tout ce qui est écrit dans la Loi et les prophètes » (24, 14), et devant Agrippa : « Si je suis traduit en justice, c’est pour l’espérance en la promesse que Dieu a faite à nos pères. » (26, 6), ce qu’il répète encore à Rome (28, 20). Cette espérance dit qu’Israël est appelé à être porteur de la justification de tous, comme l’atteste le relèvement de Jésus d’entre les morts.
En Actes 23, 9, certains pharisiens le reconnaissent comme l’un des leurs et prennent sa défense avec le roi Agrippa.
Les Juifs sont divisés et leur conversion est possible*
Les Juifs sont divisés (Ac 28, 24), ils ne sont donc pas globalement murés dans le refus. La citation d’Isaïe 6, 8-10 dans la finale Actes 28, 16-31 ne peut pas être sous-estimée. Paul, l’Esprit Saint et Isaïe sont unis pour donner ce jugement : « Le cœur de ce peuple s’est endurci » (Ac 28, 27). La prophétie d’Isaïe n’est pas une porte claquée mais une invitation à la conversion.
La finale du livre des Actes*
La finale des Actes intervient après l’interminable attente du procès de Paul, continuellement annoncé, mais jamais engagé. Pourquoi ce silence ?
Certains font l’hypothèse que l’on ait voulu cacher qu’il y eut une conspiration chrétienne contre Paul. Cette thèse remonte à O.Cullmann (saint Pierre, disciple, apôtre, martyr, 1952). Cependant, les textes allégués n’expriment rien de clair en ce sens : O. Cullmann cite 1 Clément 5,5 et Ph 1, 15. Le premier texte parle d’une persécution contre Pierre et Paul mais elle ne dit pas qu’elle soit organisée par des chrétiens. Le second parle de missionnaires chrétiens ayant une attitude négative envers Paul, mais rien ne dit pas qu’ils vont jusqu’à fomenter son procès.
Il semble plus solide de considérer qu’il existe chez Homère, Lucien de Samosaste ou Denys d’halicarnasse une rhétorique du silence. Le lecteur tente alors de conclure en consonance avec l’intrigue, la scène finale induit l’aboutissement non dit du récit. Dans le cas qui nous occupe, le lecteur sait bien que Pierre et Paul sont morts martyrs. Mais ce n’est pas seule intrigue du livre des Actes, ni même la principale.
Le lecteur du livre des Actes sait que l’évangile doit être annoncé jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1, 8), ce qui n’est pas réalisé lorsque le livre se ferme… Le lecteur sait aussi le long débat entre l’église naissante et le judaïsme dont elle est issue. Le lecteur tente de conclure avec ces deux intrigues et l’auteur lui donne les deux indications utiles:
L’ultime débat avec le judaïsme ne s’achève ni par un verrou (la malédiction d’Israël), ni par une banalisation de son refus. Le livre des Actes s’interdit de conclure sur l’avenir des rapports entre l’Eglise et la Synagogue. L’auditoire juif est divisé (Ac 28, 25).
Le livre s’achève sur le portrait de Paul pasteur de Rome (Ac 28, 28-30), ce qui évoque la mission qui doit se poursuivre jusqu’aux extrémités de la terre: un programme toujours ouvert.
* Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, les Actes des apôtres « lectio divina » 180, Paris Genève, Le Cerf-labor et fides, 1999, 2° édition 2003, p. 205-238
F. Breynaert
eglise-primitive>Cf. F. BREYNAERT, Marie dans la communauté primitive,
eglise-primitive>dans « Miles Immaculatae », Anno XLIV, 2008, fasc II. Lire cet article (cliquez).