L'apôtre Matthieu ou Lévi ?
Appelé par Jésus (Mt 9, 9-10), Matthieu était percepteur des impôts à Capharnaüm, aux frontières du territoire de Hérode Antipas et de son frère Philippe.
Marc et Luc cependant l'appellent Lévi (Mc 2, 13-14; Lc 5, 27-28).
Le témoignage de Papias (vers l'an 130).
Papias fut évêque de Hiérapolis en Phrygie vers l'an 110, et il était un disciple personnel de l'apôtre Jean et un compagnon de Polycarpe[1].
L'œuvre de Papias est perdue, mais Eusèbe de Césarée nous apprend que Papias « ordonna des logia ». Le mot « logia » vient du mot « logos », mot, parole, sentence. Il s'agit d'un recueil de sentences. Et dans un autre passage, Eusèbe parle d'un Evangile de Matthieu, dans sa langue maternelle. Le pape commente cette tradition :
« La tradition de l'Eglise antique s'accorde de façon unanime à attribuer à Matthieu la paternité du premier Evangile. Cela est déjà le cas à partir de Papias, évêque de Hiérapolis en Phrygie, autour de l'an 130. Il écrit:
"Matthieu recueillit les paroles (du Seigneur) en langue hébraïque, et chacun les interpréta comme il le pouvait"
(in Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. III, 39, 16).
L'historien Eusèbe ajoute cette information:
"Matthieu, qui avait tout d'abord prêché parmi les juifs, lorsqu'il décida de se rendre également auprès d'autres peuples, écrivit dans sa langue maternelle l'Evangile qu'il avait annoncé; il chercha ainsi à remplacer par un écrit, auprès de ceux dont il se séparait, ce que ces derniers perdaient avec son départ"
(Ibid., III, 24, 6).
Nous ne possédons plus l'Evangile écrit par Matthieu en hébreu ou en araméen, mais, dans l'Evangile grec que nous possédons, nous continuons à entendre encore, d'une certaine façon, la voix persuasive du publicain Matthieu qui, devenu Apôtre, continue à nous annoncer la miséricorde salvatrice de Dieu et écoutons ce message de saint Matthieu, méditons-le toujours à nouveau pour apprendre, nous aussi, à nous lever et à suivre Jésus de façon décidée. »
(Benoît XVI, audience du 30 août 2006).
Le témoignage de saint Irénée (vers l'an 180).
En pleine cohérence avec la tradition de Papias, vers la fin du II° siècle, saint Irénée écrit :
"Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Evangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Eglise"[2].
Hébreu ou araméen ?[3].
La première ébauche était-elle en hébreu, langue traditionnelle du peuple juif ? Ou en araméen (qui n'est pas un dialecte mais une langue tout aussi vénérable que l'hébreu), beaucoup plus répandu en Galilée et dans la plupart des villages juifs a 1° siècle de notre ère ? L'hébreu est possible et semble plus conforme aux indications de Papias et d'Irénée. Pourtant, il est courant dans les textes chrétiens rédigés en grec d'appeler « langue hébraïque » la langue des juifs, même lorsqu'il s'agit explicitement d'araméen. Il y en a trois exemples dans l'évangile de Jean (Jn 5,2 ; 19, 13.17). L'araméen est alors plus probable.
Matthieu : de qui parle-t-on ? [4]
Nous expliquons ailleurs que l'évangile de Matthieu fut achevé plus tard que celui de Marc.
Il faut donc accepter que son rédacteur final soit distinct de l'un des Douze. En effet, il est invraisemblable qu'un témoin oculaire prenne modèle sur un homme apostolique qui n'a pas été témoin oculaire (Marc).
Ce rédacteur final (que nous appelons Matthieu) s'est donc placé sous l'autorité apostolique de l'apôtre (Matthieu-Lévi) et il a écrit un évangile complet. Ce dédoublement des rôles peut expliquer que Matthieu soit appelé Lévi dans les autres évangiles (Mc 2, 13-14; Lc 5, 27-28).
Ce rédacteur final est très probablement judéo-chrétien, car il fait un bon usage de l'Ancien Testament, il connaît les légendes juives, il fait un parallèle entre Moïse et Jésus, etc... Et il aura très probablement utilisé le recueil de sentences dont parle Papias. Car nous n'avons aucune raison de disqualifier Papias.
Ceci dit, n'y a-t-il pas eu un évangile hébreu complet ? [5]
Irénée parle bien d'un évangile. Dans l'antiquité, il est légitime de penser qu'il y avait un évangile juif, probablement araméen, utilisé par les chrétiens palestiniens.
Mais il n'a pas été retrouvé.
Saint Jérôme affirmait l'avoir traduit en grec. Pourtant quand on les compare à l'évangile canonique de Matthieu, les quelques passages conservés dans les citations des pères de l'Eglise semblent être des ajouts secondaires ou des interpolations.
Il existe des versions médiévales hébraïques de Matthieu et la plupart des spécialistes considèrent qu'il s'agit des rétroversions du grec du Matthieu canonique, souvent destinées au débat entre chrétiens et juifs.
Certains affirment cependant que ces textes peuvent conduire à l'original hébreu de Matthieu[7].
La grande majorité des exégètes, toutefois, soutient que l'évangile que nous connaissons sous le nom de Matthieu fut originellement composé en grec (puisque par exemple il corrige le style de Marc et se livre à des jeux de mots grecs).
Conclusion.
L'Eglise croit que l'Esprit Saint a guidé tout le processus de la rédaction de la Bible et ne dévalue pas l'influence des apôtres.
Benoît XVI, dans la catéchèse sur Matthieu, rapporte la tradition de Papias sur l'évangile en langue hébraïque attribué à Matthieu, mais il ajoute que nous n'en avons plus la trace. Il se garde bien d'attribuer directement à Matthieu l'évangile canonique (grec) que nous possédons, il dit simplement que « nous continuons à entendre, d'une certaine façon, la voix persuasive du publicain Matthieu ».
La tradition de Papias, reprise par saint Irénée, avait l'intention de montrer comme plausible et authentique l'origine apostolique de ce qui avait été écrit en bel ordre dans « l'évangile selon Matthieu ».[7]
Benoît XVI ne s'en éloigne nullement. Mais il autorise aussi les recherches récentes qui pensent que notre évangile de Matthieu ne soit pas une traduction et qu'il ait eu aussi une source « Q », en grec, commune avec Luc.
L'évangile de Matthieu a-t-il un original hébreu ?[1] IRENEE, Contre les hérésies, V, 33, 4. ; EUSEBES, Histoire eccl., III, 39, 1
[2] IRENEE, Contre les hérésies, III, 1, 1
[3] Michel QUESNEL, Histoire des , Cerf, Paris 1987, p. 56.
[4] Cf. R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ? Bayard, Paris 2000, p. 252-253
[5] Cf. R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ? Bayard, Paris 2000, p. 250-252
[6] Auteurs récents ayant travaillé ce thème : Cl. Tresmontrant ; O. Grelot ; G.E. Howard ; G.A.Mercer.
[7] SEGALLA G., Evangelo e vangeli, EDB, Bologna 1993, pp. 116-117.
Françoise Breynaert