Dans le judaïsme : les relectures, l'actualisation
Dans le judaïsme, on était habitué à faire certaines relectures. L'Ancien Testament lui-même mettait sur cette voie.
On relisait, par exemple, l'épisode de la manne; on ne niait pas la donnée originelle, mais on en approfondissait le sens, en voyant dans la manne le symbole de la Parole dont Dieu continuellement nourrit son peuple (cf Dt 8,2-3). Les Livres des Chroniques sont une relecture du Livre de la Genèse et des Livres de Samuel et des Rois.
Dans le monde hellénistique : les allégories
L'exégèse chrétienne s'en servit également. Les Grecs interprétaient parfois leurs textes classiques en les transformant en allégories. […] En ce cas, le sens nouveau plus spirituel faisait disparaître le sens primitif du texte. Les Pères de l'Église et les auteurs médiévaux en feront, par contre, un usage systématique, dans leurs efforts pour offrir une interprétation actualisante, riche d'applications à la vie chrétienne, de la Bible tout entière, jusqu'en ses moindres détails, [...]
Origène, par exemple, voit dans le morceau de bois dont Moïse se servit pour rendre douces des eaux amères une allusion au bois de la croix. [...]
Thomas d'Aquin perçut clairement l'inconsciente convention qui sous-tendait l'exégèse allégorique: le commentateur ne pouvait découvrir dans un texte que ce qu'il connaissait déjà auparavant et, pour le connaître, il avait dû le trouver dans le sens littéral d'un autre texte. D'où la conclusion tirée par Thomas d'Aquin: on ne peut pas argumenter valablement à partir du sens allégorique, mais seulement à partir du sens littéral.
Commencée dès le Moyen Age, la remise en honneur du sens littéral n'a pas cessé depuis de se confirmer. L'étude critique de l'Ancien Testament est allée de plus en plus dans cette direction, aboutissant à la suprématie de la méthode historico-critique. [...]
Ne pas vouloir partout des références directes à Jésus
Lire l'Ancien Testament en chrétiens ne signifie donc pas vouloir y trouver partout des références directes à Jésus et aux réalités chrétiennes. Certes, pour les chrétiens, toute l'économie vétéro-testamentaire est en mouvement vers le Christ; si donc on lit l'Ancien Testament à la lumière du Christ, on peut, rétrospectivement, percevoir quelque chose de ce mouvement.
Il s'agit d'un mouvement
Mais comme il s'agit d'un mouvement, d'une progression lente et difficile à travers l'histoire, chaque événement et chaque texte se situent à un point particulier du chemin, et à une distance plus ou moins grande de son aboutissement.
Préfiguration et dissemblance
Les relire rétrospectivement, avec des yeux de chrétien, signifie percevoir à la fois le mouvement vers le Christ et la distance par rapport au Christ, la préfiguration et la dissemblance.
Inversement, le Nouveau Testament ne peut être pleinement compris qu'à la lumière de l'Ancien Testament.
Une interprétation théologique, mais pleinement historique
L'interprétation chrétienne de l'Ancien Testament est donc une interprétation différenciée selon les divers types de textes.
Elle ne superpose pas confusément la Loi et l'Évangile, mais distingue avec soin les phases successives de l'histoire de la révélation et du salut. C'est une interprétation théologique, mais pleinement historique en même temps.
Loin d'exclure l'exégèse historico-critique, elle la requiert.
Une perception rétrospective
Lorsque le lecteur chrétien perçoit que le dynamisme interne de l'Ancien Testament trouve son aboutissement en Jésus, il s'agit d'une perception rétrospective, dont le point de départ ne se situe pas dans les textes comme tels, mais dans les événements du Nouveau Testament proclamés par la prédication apostolique.
On ne doit donc pas dire que le Juif ne voit pas ce qui était annoncé dans les textes, mais que le chrétien, à la lumière du Christ et dans l'Esprit, découvre dans les textes un surplus de sens qui y était caché. »
COMMISSION PONTIFICALE BIBLIQUE,
« Le peuple Juif et ses saintes écritures dans la Bible chrétienne »
Rome 2001, libreria editrice vaticana 2001, p. 51-53