[Le silence de Joseph ne nous permet pas d'entrer facilement d'entrer dans le mystère de sa vocation. C'est pourquoi il est nécessaire de le mettre en parallèle avec d'autres figures bibliques mieux connues. Or, la sainteté tout à fait exceptionnelle de Joseph exige la référence à des expériences de foi très intenses. Voilà pourquoi Philippe Plet choisi de le comparer aux « élus » dont nous parle le texte de l'Apocalypse.]
« Au vainqueur du combat spirituel de l'église de Pergame, Dieu promet de donner "un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit." (Ap 2, 17) Le nom nouveau désigne une vocation nouvelle. N'en va-t-il pas de même avec saint Joseph qui endosse au moment de l'Annonciation une vocation ô combien inattendue ? » [1]
L'expérience de l'Annonciation n'est-elle pas comparable à celle des 144000 qui entendent et chantent un cantique nouveau (Ap 14, 2-3) ? « L'ange, cet habitant du Ciel qui apparaît en songe à Joseph, exprime ce pouvoir d'entendre les messages du monde céleste. Il fait entendre au charpentier de Nazareth des paroles ineffables que celui-ci devra garder comme Marie en son cœur » [2]
Au moment de la Nativité de Jésus, « l'étable est comme Joseph : elle cache l'immense trésor qu'est le Verbe incarné. Quant à l'hôtellerie, ce lieu de rassemblement des hommes, on y parle de bien d'autres choses que de la venue du Messie : on s'y entretient de la famille, des romains... [...] C'est le même monde affairé que nous décrit l'Apocalypse. »[3]
Babylone est la grande « prostituée » qui flatte les désirs matériels et sensuels des hommes, et elle cache un mystère d'ordre religieux, l'idéologie du Dragon qui s'oppose à l'Evangile.
Le combat spirituel, juste/injuste, bien/mal, vrai/faux, caractérise aussi bien les justes de l'Apocalypse que saint Joseph.
« Les justes, "ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve: ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau. C'est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, le servant jour et nuit dans son temple." (Ap 7, 14-15) La robe des élus désigne leur âme. Comme celle de Joseph, leur âme est "immaculée". Cela ne signifie pas bien sûr qu'ils soient préservés des blessures du péché originel. Ce ne fut pas davantage le cas de Joseph, ce qui ne l'empêchera pas pour autant de réaliser sa mission à la perfection [4].
La grande affliction dont parle le texte de l'Apocalypse regarde le thème du combat spirituel. Les élus doivent rejeter de leur vie intérieure et extérieure les valeurs hédonistes et immanentes de Babylone : ils ne doivent pas communier à la révolte du dragon, en recherchant le Paradis sur la terre. Par la foi, ils tendent constamment vers un royaume qui n'est pas de ce monde, selon les paroles de Jésus à Pilate (Jn 18, 36) [...] Cela leur vaut d'être marginalisés, et même carrément persécutés. En cela, ils ressemblent à Joseph, qui les a précédés sur ce chemin.
Leur pérégrination spirituelle est soulignée à la suite du texte que je viens de citer : "et Celui qui siège sur le trône étendra sur eux sa tente. Jamais plus ils ne souffriront de la faim ni de la soif; jamais plus ils ne seront accablés ni par le soleil, ni par aucun vent brûlant. Car l'Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux." (Ap 7, 15-17). Cette description des détresses des élus évoque directement celle du peuple hébreu durant sa pérégrination de quarante ans au désert. Mais en attendant les fruits de ces promesses de consolation, les élus vivent au désert, là même où la Femme, image de Marie et de l'Eglise, a été emportée par Dieu pour échapper au Dragon : "Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu'au refuge où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d'un temps." (Ap 12, 14)
Le désert n'est pas ici un lieu matériel ; il s'agit plutôt de l'intériorité de l'âme humaine, que le Dragon ne peut pas corrompre. Sa stratégie consiste donc à faire oublier aux "habitants de la terre" cette dimension de leur être, tandis que la mission de l'Eglise et au contraire de la leur rappeler. C'est donc au désert, symbole de la contemplation et de l'intériorité spirituelle, que le message de l'Eglise continue de se faire entendre ; et ce, en un monde qui est en passe d'être totalement dominé par le Dragon. Ce désert dont parle l'Apocalypse est le refuge des élus, là où ils trouvent la nourriture spirituelle dont ils ont besoin pour suivre l'Agneau. C'est dans ce désert spirituel, Nazareth via l'Egypte, que Joseph conduit Jésus et Marie. »[5]
Finalement, nous dit le livre de l'Apocalypse, Babylone tombera : l'Agneau possède la victoire.
[1] Cf. Philippe Plet, Saint Joseph et la spiritualité des élus dans l'Apocalypse, p. 209
[2] Extrait de : Philippe Plet, Saint Joseph et la spiritualité des élus dans l'Apocalypse, p. 210
[3] Extrait de : Philippe Plet, Saint Joseph et la spiritualité des élus dans l'Apocalypse, p. 214
[4] Sur la différence entre impeccance et impeccabilité chez saint Joseph, voir A. Michel, « Saint Joseph », in DTC, Paris 1925, col 1517-1519
[5] Philippe Plet, Saint Joseph et la spiritualité des élus dans l'Apocalypse, p. 223-225
Philippe Plet, Passionniste
Extraits présentés par F. Breynaert