"Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis enEgypte, et restes y jusqu'à ce que je te le dises. Car Hérode fait rechercher l'enfant pour le faire périr"(Mt 2, 13-14).
...tel fût l'ordre que Joseph reçut en songe de la part du Seigneur, quelques semaines après la naissance de Jésus à Bethléem de Judée et après que Marie soit allée accomplir le rite de la présentation au temple pour ses "relevailles".
Il faisait encore nuit quand la petite caravane quitta Bethléem: Joseph guidait l'âne que montait Marie tenant dans ses bras l'Enfant-Dieu...
Un, deux, dix villages... Chaque bourgade, chaque maison, chaque sentier semblait épier les voyageurs, les surveiller sans relâche. Le soleil allait disparaître à l'horizon, et la voix mystérieuse du songe ne cessait de répéter à Joseph le même commandement.
Après les derniers villages, voici la terre aride de la basse Judée et la porte du désert. Des haies de bambous ou de cactus s'élevaient de ci de là pour retenir l'invasion des sables mouvants. Mais c'est le désert, le vrai désert: le Néguev, immense et vorace; son horizon se confond avec le ciel bruni du crépuscule. Les chardons qui bordent la piste avaient presque disparu; on ne distinguait bien que le nebq coriace aux épines douloureuses.
Et l'âne avançait toujours sur le sable chaud, sans bruit. La légende apocryphe a dressé des arcs fleuris et étendu un tapis verdoyant sur la route de la Famille fugitive, mais il s'agit d'écrivains en mal de monophysisme. Au vrai, la Famille était aux prises avec la crainte et la souffrance; dans le jour, la chaleur, la soif ardente, la réverbération brûlante du sable sous un soleil de feu; dans la nuit, l'obscurité, le silence, l'angoisse, le sommeil léger peuplé de cauchemars, les vagissements et les pleurs de l'Enfant...
Une caverne d'où s'enfuyait une volée de corbeaux ou quelque chacal, leur tenait lieu d'abri nocturne. Aux premières lueurs du jour, ils reprenaient l'exode, traqués par la haine, poussés par la crainte.
Ils marchèrent longtemps, jour après jour, dans une fatigue croissante jusqu'à ce qu'enfin une voix angélique soufflât à l'oreille de Joseph que l'Enfant était désormais en sécurité.
En termes généraux l'Evangile indique l'Egypte comme pays d'exil de la Famille. Dans le jeu des hégémonies à laquelle la Palestine était habituée, ses habitants considéraient l'Egypte comme lieu de refuge en temps de crise politique. Devenue tout récemment province de l'Empire, elle constituait le plus sûr refuge pour la Famille.
Jusqu'à Rhinocolura, limite de la juridiction d'Hérode, les fugitifs suivirent sans doute des routes moins fréquentées, mais ils ne pouvaient guère sans imprudence s'éloigner de la piste des caravanes. C'est précisément sur le tracé de la route classique qu'ont germé, depuis les premiers âges chrétiens, de nombreuses légendes mariales et se sont élevées tant d'églises en l'honneur de la Mère de Dieu.
Le premier souvenir du passage de la Famille se retrouve à Péluse
Entourée de vastes marais, cette ville était le lieu de transit obligatoire de quiconque se rendait de Palestine en Egypte, ce qui donne toute probabilité à la tradition locale.
Toutefois, il faut attendre le témoignage du moine Bernard (870) pour tenir un document explicite. Ce moine franc visita à Péluse une église construite en l'honneur de la très Vierge pour marquer le souvenir du passage de la Famille.
De ce sanctuaire byzantin il ne reste que des ruines insignifiantes à moitié submergées dans la lagune au sud de la ville de Port Saïd. Le sanctuaire érigé à Marie, reine du monde, en 1933, est un nouveau chaînon de la tradition.
Le passage à Bubaste
La tradition copte conserve le souvenir du passage de la Famille à Bubaste.
Les fugitifs s'y reposaient quand une alerte les força à s'enfuir précipitamment: la présence de l'Enfant Jésus avait renversé les idoles et le peuple était en effervescence.
Cette tradition semble avoir été alignée avec complaisance par une main apocryphe afin de lui permettre de rejoindre les données de la Bible. Cependant la tradition aussi bien que l'apocryphe se laissent dominer ici par des soucis d'apologétique.
Le passage à Bilbeis
Cette ville est une autre étape de la Famille affirmée par une constante tradition locale.
On montre encore à sept kilomètres de la ville un arbre qui aurait offert la fraîcheur de son ombre aux fugitifs épuisés.
Les éléments conventionnels: ici un arbre, là une source ou un temple, restent les mêmes pour fixer l'origine apocryphe des traditions locales.
Ils n'en confirment pas moins la persistance d'une trace qui est au fondement de la tradition authentique.
Le passage à Matarieh
Un lieu traditionnel nettement plus important est Matarieh, obscur village jusqu'en ces dernières années mais aujourd'hui élégant faubourg de la grande ville du Caire.
La légende apocryphe y localise trois souvenirs: celui d'un sycomore qui reverdit miraculeusement pour offrir son ombre à la Famille; celui d'une source qui jaillit du sable à un endroit touché par l'Enfant Jésus; et, enfin, celui d'un balsamier qui germa de la terre arrosée de la sueur du Divin Enfant.
Il y a quelques années, dans un jardin non par hasard appelé «Balzam», agonisait un vieux sycomore noueux et rabougri, remplacé aujourd'hui par un rejeton vigoureux. Malgré l'implacable logique de l'érudition qui a fixé en 1672 son acte de naissance, on prétendait que c'était l'arbre de la légende apocryphe.
A une dizaine de mètres, surgit une source d'eau douce: elle fait l'objet d'un étonnement bien explicable parce que tout à l'entour surgissent des eaux saumâtres.
Sepp et Jean Wessling ont cru pouvoir fixer au IIè siècle l'existence de la tradition de Matarieh mais leur raisonnement se fonde sur une chronologie audacieuse et même arbitraire.
La tradition copte n'apporte aucune confirmation à l'appui de cette opinion tandis que le document, cité par les deux auteurs, "l'Evangile arabe de l'Enfance du Sauveur", ne remonte certainement pas au IIè siècle, et par suite ne saurait constituer une information sérieuse.
Il semble même hors de doute que la mention de Matarieh du document soit une interpolation qui remonte au XIIIè siècle.
A Koskam
La tradition officielle de l'Eglise copte désigne plusieurs autres lieux de séjour de la Famille, en particulier Koskam. La tradition de ce lieu ne manque pas de preuves sérieuses.
Il existait alors à Léontopolis (Tell el Yehudiyeh) une colonie juive prospère qui peut fort bien avoir fait l'objet de son choix, car elle était même sur la route des caravanes et en relation facile avec les autres lieux mentionnés par la tradition.
Cependant la source apocryphe de l'Evangile arabe de l'Enfance du Sauveur désigne le Caire (Misr'), se fondant sans doute sur cette crypte de l'église Abou Sargha qui jouit de la faveur incontestée de la population.
Au reste, il s'agit d'une tradition aussi solide que celles qui émanent de la dévotion du peuple.
L'église primitive du Caire qui peut remonter au IVè ou au Vè siècle, parait avoir été dédiée aux saints martyrs Serge et Bacchus.
Mais dans la crypte dont l'état actuel remonte facilement au Vlè ou au VIIè siècle et qui fut elle-même érigée sur un monument plus ancien, on rappelle le souvenir du séjour de la Famille depuis une date incontrôlable.
C'est là que Marie et Joseph, vivant dans l'attente et dans l'espérance, goûtèrent le pain amer de l'exil.