Mon Dieu qui dormez, faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon cœur qui bat,
J'adore en mes mains et berce, étonnée,
La merveille, ô Dieu, que m'avez donnée.
De fils, ô mon Dieu, je n' en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais vous, Tout-Puissant, me l'avez donnée.
Que rendrai-je à Vous, moi sur qui tomba
Votre grâce ? O Dieu, je souris tout bas,
Car j'avais aussi, petite et bornée,
J‘avais une grâce et Vous l’ai donnée.
De bouche, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d’ici-bas…
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon Fils, c’est moi qui te l’ai donnée.
De main, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encor gênée,
Ô mon Fils, c'est moi qui te l'ai donnée.
De chair, ô mon Dieu, Vous n'en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
O mon Fils, c’est moi qui te l’ai donnée.
De mort, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour sauver le monde… ô douleur, là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l'ai donnée.
Marie Noël, « Berceuse de Noël »,
dans « Le rosaire des joies ». Crès, 1930.
Editions Gallimard, Paris 1983.