Aphraate, le Sage persan

Aphraate, le Sage persan

Aphraate, le Sage persan

Les communautés syriaques du IV siècle représentent le monde sémite, dont la Bible elle-même est née, et elles sont l'expression d'un christianisme dont la formulation théologique n'est pas encore entrée en contact avec des courants culturels différents, mais qui vit sa propre forme de pensée.

Ce sont des Eglises où l'ascétisme sous diverses formes érémitiques (ermites dans le désert, dans les grottes, reclus, stylites), et le monachisme sous des formes de vie communautaire, exercent un rôle d'importance vitale dans le développement de la pensée théologique et spirituelle.

Je voudrais présenter ce monde à travers la grande figure d'Aphraate, également connu sous le nom de "Sage", un des personnages les plus importants, et dans le même temps les plus énigmatiques, du christianisme syriaque du IV siècle. Originaire de la région de Ninive-Mossoul, aujourd'hui en Irak, il vécut dans la première moitié du IV° siècle.

Nous ne possédons que peu d'informations sur sa vie.

Il entretint des rapports étroits avec les milieux ascétiques et monastiques de l'Eglise syriaque, dont il nous a transmis des informations dans son œuvre et auxquels il consacre une partie de sa réflexion.

Selon certaines sources, il fut même responsable d'un monastère et, pour finir, il fut également consacré Evêque.

Aphraate était originaire d'une communauté ecclésiale qui se trouvait à la frontière entre le judaïsme et le christianisme. C'était une communauté profondément liée à l'Eglise-mère de Jérusalem, et ses Evêques étaient traditionnellement choisis parmi ceux qu'on appelle "les proches" de Jacques, le "frère du Seigneur" (cf. Mc 6, 3): il s'agissait en fait de personnes liées par le sang et par la foi à l'Eglise de Jérusalem.

La langue d'Aphraate est la langue syriaque, une langue donc sémitique comme l'hébreu de l'Ancien Testament et comme l'araméen parlé par Jésus lui-même. La communauté ecclésiale dans laquelle se déroule la vie d'Aphraate était une communauté qui cherchait à rester fidèle à la tradition judéo-chrétienne, dont elle se sentait la fille. Celle-ci conservait donc un lien étroit avec le monde juif et avec ses Livres sacrés. Aphraate se définit de manière significative "disciple de l'Ecriture " de l'Ancien et du Nouveau Testament (Démonstrations 22, 26), qu'il considère comme son unique source d'inspiration, ayant recours à celle-ci d'une manière si fréquente qu'il en fait le centre de sa réflexion.

Le salut : une guérison... Le Christ : un mèdecin

Aphraate développe plusieurs arguments dans ses Démonstrations. Fidèle à la tradition syriaque, il présente souvent le salut accompli par le Christ comme une guérison et, donc, le Christ lui-même comme un médecin. En revanche, le péché est vu comme une blessure, que seule la pénitence peut guérir:

"Un homme qui a été blessé lors d'une bataille, dit Aphraate, n'a pas honte de se remettre entre les mains d'un sage médecin...; de la même façon, celui qui a été blessé par Satan ne doit pas avoir honte de reconnaître sa faute et de s'éloigner d'elle, en demandant le remède de la pénitence"

(Démonstrations 7, 3).

Le Christ, maître de prière

Un autre aspect important de l'œuvre d'Aphraate est son enseignement sur la prière, et en particulier sur le Christ comme maître de prière. Le chrétien prie en suivant l'enseignement de Jésus et son exemple d'orant:

"Notre Sauveur nous a enseigné à prier ainsi, en disant: "Prie dans le secret Celui qui est caché, mais qui voit tout"; et encore: "Entre dans ta chambre et prie ton Père dans le secret, et le Père qui voit dans le secret te récompensera" (Mt 6, 6)... Ce que notre Sauveur veut montrer, c'est que Dieu connaît les désirs et les pensées du coeur"

(Démonstrations 4, 10).

L’humilité

Pour Aphraate, la vie chrétienne est centrée sur l'imitation du Christ, sur le fait de prendre son joug et de le suivre sur la voie de l'Evangile. Une des vertus qui s'adapte le mieux au disciple du Christ est l'humilité. Celle-ci n'est pas un aspect secondaire dans la vie spirituelle du chrétien: la nature de l'homme est humble, et c'est Dieu qui l'exalte pour sa sa propre gloire.

L'humilité, observe Aphraate, n'est pas une valeur négative:

"Si la racine de l'homme est plantée dans la terre, ses fruits croissent devant le Seigneur de la grandeur"

(Démonstrations 9, 14).

En restant humble, même au sein de la réalité terrestre dans laquelle il vit, le chrétien peut entrer en relation avec le Seigneur:

"L'humble est humble, mais son coeur s'élève à des hauteurs éminentes. Les yeux de son visage observent la terre et les yeux de l'esprit, les hauteurs éminentes"

(Démonstrations 9, 2).

La vision qu'Aphraate a de l'homme et de sa réalité corporelle est très positive: Le corps de l'homme, à l'exemple du Christ humble, est appelé à la beauté, à la joie, à la lumière:

"Dieu s'approche de l'homme qu'il aime, et il est juste d'aimer l'humilité et de rester dans la condition d'humilité.

Les humbles sont

simples,

patients,

aimés,

intègres,

droits,

experts dans le bien,

prudents,

sereins,

sages,

calmes,

pacifiques,

miséricordieux,

prêts à se convertir,

bienveillants,

profonds,

pondérés,

beaux et désirables."

(Démonstrations 9, 14).

La foi

Chez Aphraate, la vie chrétienne est souvent présentée dans une claire dimension ascétique et spirituelle: la foi en est la base, le fondement; elle fait de l'homme un temple où le Christ lui-même demeure. La foi rend donc possible une charité sincère, qui s'exprime dans l'amour envers Dieu et envers le prochain.

le jeûne

Un autre aspect important chez Aphraate est le jeûne, qu'il entend au sens large. Il parle du jeûne de la nourriture comme d'une pratique nécessaire pour être charitable et vierge, du jeûne constitué par la continence en vue de la sainteté, du jeûne des paroles vaines ou détestables, du jeûne de la colère, du jeûne de la propriété des biens en vue du ministère, du jeûne du sommeil pour s'appliquer à la prière.

La prière qui est écoutée

Chers frères et soeurs, revenons encore - pour conclure - à l'enseignement d'Aphraate sur la prière. Selon cet antique "Sage", la prière se réalise lorsque le Christ demeure dans le cœur du chrétien, et il l'invite à un engagement cohérent de charité envers son prochain. Il écrit en effet:

"Apporte le réconfort aux accablés, visite les malades,

sois plein de sollicitude envers les pauvres: telle est la prière.

La prière est bonne,

et ses oeuvres sont belles.

La prière est acceptée lorsqu'elle apporte le réconfort au prochain.

La prière est écoutée

lorsque dans celle-ci se trouve également le pardon des offenses.

La prière est forte

lorsqu'elle est remplie de la force de Dieu."

(Démonstrations 4, 14-16).


Benoît XVI, audience du 21 novembre 2007