La vie du fondateur du mouvement de Schonstatt

Un homme de Dieu, Joseph Kentenich

 À l'origine du mouvement de Schonstatt, il y a la forte personnalité et le charisme d'un homme de Dieu: Joseph Kentenich.

On peut être surpris que le Père Joseph Kentenich ne soit pas mieux connu en France. Il est pourtant à l'origine d'une des aventures apostoliques les plus étonnantes de notre époque. Sans doute doit-on voir une explication dans le fait que l'œuvre du Père Kentenich soit née et ait connu sa première croissance dans le temps qui couvre les deux guerres mondiales de « 14-18 » et « 39-45 » mettant aux prises la France et l'Allemagne. Peut-être aussi une certaine réserve à l'égard de ce qui vient de l'étranger...

Il naît le 18 novembre 1885, à Gymnich, un village situé à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Cologne. Son père est régisseur d'un grand domaine, où sa mère est également employée.

C'est d'elle surtout qu'il reçoit sa première ouverture à la piété... et à la dévotion à la Vierge. Il a à peine neuf ans lorsque, au moment de le placer chez des sœurs Dominicaines pour sa scolarité primaire, elle le consacre à Marie et le confie à son autorité maternelle. Ce geste prophétique marque notre jeune garçon: à partir de ce moment il se considère dans la présence et sous la protection constante de sa céleste Mère. Il témoignera quarante ans plus tard: « C'est elle personnellement qui m'a modelé et formé, à partir de ma neuvième année. Mon éducation a été essentiellement l'oeuvre de la Mère de Dieu, sans qu'il y eût quelque autre influence en profondeur: Je suis bien conscient de ce que je dis là. »

Joseph va bientôt se révéler brillant élève, volontaire et personnel, épris d'absolu: épris de Dieu et des choses de la religion. A douze ans, il exprime le désir de devenir prêtre: « Je voudrais travailler à la conversion des païens. »

C'est ainsi qu'il entre chez les Pères Pallotins (une congrégation missionnaire fondée en Italie en 1835 par saint Vincent Palloti). Petit séminaire, noviciat, grand séminaire. Au cours de ses études théologiques il passe par une grave crise intellectuelle, due à la rencontre avec certaines idées en cours (philosophes allemands, rationalisme, modernisme). Il n'en sort qu'avec l'aide de celle en qui il a mis toute sa confiance. Comme l'écrit un biographe: « Une fois de plus, c'est Grignion de Montfort qui conduit une âme assoiffée d'absolu sur la voie mariale, la plus directe et sûre parmi toutes celles qui mènent au cœur même du Dieu d'amour incarné dans le sein de la Vierge Marie. Empruntant la démarche montfortaine, Joseph Kentenich se consacre corps et âme à la Mère de Dieu. Consécration sans réserve et sans retour qui marquera de son sceau tous les actes de sa vie, toute l'aventure extraordinaire de Schoenstatt »...

Ordonné prêtre en juillet 1910, il n'est pas envoyé en mission, mais est nommé professeur au petit séminaire. Il y révèle des qualités exceptionnelles de pédagogie, inspirées des méthodes actives, formant les élèves au sens de la liberté et de la responsabilité. En 1912, il accompagne le séminaire lors de son transfert à Schoenstatt... et se voit nommé au poste délicat de « directeur spirituel ». C'est là qu'il va donner toute sa mesure. Déjà dans un premier contact avec les élèves il annonce la couleur: il les invite à se prendre eux-mêmes en charge dans un projet de vie conforme au dessein de Dieu, avec l'appui de la Vierge Marie. Lui ne peut que les aider: « Je me mets à votre disposition avec ce que je suis et ce que j’ai... »

Surpris par le langage nouveau, grave et ardent, du jeune prêtre, les élèves entrent en confiance.


« L'Alliance d'amour avec la Mère de Dieu»

 Début 1914, le Père Joseph met sur pied pour les volontaires, comme association de soutien, une « congrégation mariale », inspirée de ce qui existe dans les collèges jésuites. Elle a ses réunions dans une petite chapelle médiévale, de dimension familiale, mise à sa disposition. Huit mois plus tard, il fait un nouveau pas décisif et pose l'acte qui marquera la fondation de « Schoenstatt ». Le 18 octobre de cette année, il réunit dans la petite chapelle une vingtaine de grands élèves et leur propose un projet apostolique audacieux: se consacrer totalement à la Très Vierge pour travailler avec elle au service de Jésus-Christ et de son œuvre du salut des hommes. En même temps, il demande avec eux à cette céleste Mère de faire de ce lieu le siège de ses bontés pour répandre la grâce sur le monde. L'allocution qu'il leur adresse est toujours considérée comme « la charte de fondation » du Mouvement.

Liés au Père par un extraordinaire rapport de confiance, les élèves le suivent dans son amour pour la Mère de Dieu et dans la voie qu'il leur propose pour œuvrer avec elle à la construction du Royaume de Dieu. C'est cette démarche de consécration – un vrai contrat spirituel avec Marie - que l'on appelle «l'Alliance d'amour avec la Mère de Dieu ».

La proposition originale et audacieuse du Père Kentenich est fondée sur une conviction de foi solide - reçue sans doute du Père de Montfort, mais également confortée par une grâce personnelle d'En-Haut. A savoir: le rôle maternel de Marie se continue jusqu'à la fin des temps, première en avant de l'Église, « partenaire et auxiliaire permanente du Sauveur dans son œuvre de rédemption » (le Concile ne tiendra pas un autre langage: cf LG 62). Plus donc l'action apostolique sera unie à l'action de Marie, et plus elle sera coopération efficace à l'œuvre du salut.

En 1915, on intronise dans la chapelle une image de la Vierge à l'Enfant, reproduction d'un tableau d'un peintre italien. Elle y est encore vénérée - et dans toute l'Œuvre - sous le titre de « Mère trois fois admirable » (Fille du Père, Mère du Fils, Épouse de l'Esprit).

Croissance et persécutions - Interné à Dachau

La plupart des jeunes du groupe de fondation vont être mobilisés, certains mourront au front, tel Joseph Engling, tué près de Cambrai six semaines avant l'armistice, après avoir offert sa vie pour le Mouvement. Il est considéré comme un fruit exemplaire de l'esprit de Schoenstatt.

Mobilisé aussi malgré sa santé fragile, le Père Kentenich est renvoyé comme «inapte au service ». Malgré les circonstances difficiles, il travaille à la croissance de l'Œuvre, pour laquelle il est bientôt complètement libéré. Elle va ainsi grandir et se diversifier au gré des circonstances et des besoins. En 1919, avec les rescapés de la guerre et de nouveaux venus, il fonde « l'Union apostolique » - dont certains deviendront prêtres. En 1926, ce sont les Sœurs de Marie qui voient le jour.

Entre-temps le Père prêche des retraites, anime des sessions à travers les diocèses. Il s'agit de réveiller l'âme allemande, de former des hommes capables de résister aux idéologies nouvelles - dont le nazisme -, négatrices de «l'homme nouveau» créé en Jésus-Christ, destructrices de l'homme tout court... Il sent monter les attaques contre l'Église. Sans répit il dénonce, enseigne (plusieurs retraites sur « le prêtre marial »).

Très vite le foyer de Schoenstatt est fiché sur les listes noires de la Gestapo. A partir de 1933 s'y succèdent perquisitions, interrogatoires, menaces, arrestations...

En septembre 1941, le Père Kentenich est lui-même arrêté et emprisonné à Coblence.

Au bout de six mois il est transféré au sinistre camp de Dachau. Il y retrouve 2600 prêtres: allemands, polonais... français (dont Mgr Piguet). Parmi d'autres détenus, Edmond Michelet, qui lui rendra plus tard un magnifique témoignage. Affecté à la réparation des sacs de couchage (sacs à paille), le Père continue le combat sur place avec l'aide de Marie. Il trouve le moyen d'exercer l'apostolat dans le camp, compose des écrits spirituels, érige de nouvelles associations et, grâce à des complicités, entretient une correspondance avec Schoenstatt.

Libéré Rar les Alliés en avril 1945, il peut retourner près de son Œuvre. A soixante ans, et sans prendre de repos, il reprend ses activités: dans le Mouvement et à travers les diocèses. Puis, passant par Rome où il est reçu en audience par Pie XII, il entre- prend plusieurs longs voyages pour faire connaître l'Œuvre, prêcher des retraites, animer des sessions de formation, donner des conférences: en Amérique latine, en Afrique du sud, aux U.S.A...

Partout il voit s'ériger des « centres Schoenstatt » autour de petits sanctuaires, répliques de la petite chapelle des origines... (quelque 150 actuellement).

Contesté dans l'Église - Exilé aux U.S.A.

 Il nous faut parler aussi des attaques dont le Père a été l'objet à l'intérieur de l'Eglise. Dès l'origine l'entreprise était apparue neuve et audacieuse. Elle visait à une formation exigeante d'hommes capables de résister aux forces du mal, de témoigner de leur foi, de prendre leur place dans la mission de l'Eglise.

Parmi eux, certains deviendront responsables de mouvements d'apostolat, prêtres et même évêques. Comme les prophètes, le Père Kentenich était en avance sur son temps...

Assez vite il surprend par ses audaces, ses expressions, ses innovations (formes nouvelles de vie consacrée) et aussi par la place privilégiée faite à la Vierge Marie comme appui d'une vie chrétienne solide. S'il se voit soutenu dans son Œuvre par de nombreux prêtres et amis, par une grande partie de l'épiscopat, il rencontre aussi l'incompréhension" - y compris de confrères Pallotins, dès 1923 - et devra bientôt subir des attaques venant de divers côtés. Après l'épreuve de Dachau, rien ne lui sera épargné: critiques, humiliations, calomnies même.

Une enquête demandée par l'épiscopat allemand lui est favorable. En 1951, c'est le Saint-Office qui désigne un Visiteur apostolique. Lequel Visiteur, muni d'un blanc-seing, retire successivement au Père Kentenich toute autorité sur son Œuvre et tout pouvoir sur ses fondations. Le Père se voit exilé aux U.S.A., et assigné à résidence dans la maison des Pallotins à Milwaukee, sur les bords du lac Michigan. Bien que sûr d'être sur le bon chemin, il accepte sans récrimination, s'en remettant une fois de plus à la Vierge: Schoenstatt est son œuvre! Il y restera quatorze ans: assurant l'aumônerie de la colonie allemande sur place, prêchant des retraites, composant des écrits spirituels, entretenant une correspondance suivie (non interdite) avec Schoenstatt... et faisant l'admiration de son entourage…

Retour à Schoenstatt - Départ vers le Père

 Entre-temps l'Œuvre, demeurée pleinement fidèle à l'autorité spirituelle du Père-fondateur, n'a cessé de grandir et de se consolider dans ses différentes branches. L'épreuve, une fois de plus, permettait de manifester, en même temps que la parfaite soumission filiale du Père, l'authenticité de la fondation et sa totale fidélité à l'Église.

Entre-temps aussi et dès le début, de divers côtés, des démarches avaient été entreprises pour mettre fin à son exil, le réhabiliter dans son honneur, le rétablir dans toute son autorité de Fondateur.

À peine élu Pape, Paul VI s'y emploie personnellement. C'est ainsi que le Père Kentenich peut revenir à Rome vers la fin du Concile. Dans les jours qui en suivent la clôture, il est reçu en audience par le Saint-Père, qui lui demande pardon au nom de l'Eglise et lève toutes réserves, toutes interdictions. Dès son retour à Schoenstatt, la veille de Noël 1965, - il vient d'avoir quatre-vingts ans -, il se remet à l'ouvrage, faisant preuve d'une grande vitalité, signe de la force de l'Esprit en lui. Il témoigne aussi plus que jamais d'une grande bonté paternelle, reflet pour beaucoup de la bonté du Père céleste. Il réunit les responsables des diverses associations schoenstattiennes et fixe avec eux les grandes lignes de l'avenir. Il prêche encore des retraites, visite des évêques, les communautés, insiste auprès des siens sur la confiance à garder en Marie. Le Père Kentenich meurt subitement le 15 septembre 1968, alors qu'il vient de célébrer la messe dans l'église de la Très Trinité récemment érigée sur l'une des collines de Schoenstatt.

Sa cause de béatification a été introduite à Rome en 1975.

 
Conclusion

 Assumant dans sa vocation l'enseignement de Montfort, et le vivant avec son charisme personnel, Joseph Kentenich demeure pour nous un « témoin et un maître» de ce que peut une spiritualité apostolique appuyée sur le rôle maternel de Marie : «Rien sans Toi, rien sans nous », dit une devise de Schoenstatt. Un témoin bien actuel au moment d'entrer dans le IIIe millénaire...

Sur la tombe du Père, au lieu même de sa mort, ces simples mots: Il a aimé l'Église. Avec Marie il a aimé le Christ, avec elle il a aimé et servi son Église.

Jean hémery, Montfortain