En un sens, le discours de Duns Scot sur l'Immaculée Conception manque d'une preuve scripturaire consistante et son recours à la tradition des Pères de l'Église est plutôt fragile. Cependant Duns Scot se laisse guider par son intuition de croyant, et parvient à tracer une doctrine contenant tous les éléments fondamentaux du dogme de l'Immaculée Conception. La rédemption préservative de Marie est liée à la nature parfaite de l'œuvre accomplie par le Christ : [1]
« ... Marie ne contracta pas le péché originel justement à cause de l'excellence de son Fils, dans ce sens qu'Il est rédempteur, réconciliateur et médiateur.
[...] Je le montre de trois façons :
- en référence à Dieu avec qui le Rédempteur opère la réconciliation;
- en relation au mal duquel il libère;
- en relation à la dette qu'il était tenu d'acquitter.
1... La manière la plus haute et la plus parfaite de réparer l'offense de quiconque n'est autre que de prévenir cette offense. Si en effet la réparation se limite à apaiser l'offensé pour l'amener au pardon, la réparation n'est pas parfaite... Pour cette raison, le Christ n'aurait pas rendu de réparation parfaite à la Très Trinité s'il n'avait pas prévenu, au moins en quelqu'un, l'offense à la Trinité même; et ensuite si l'âme de quelque fils d'Adam n'existait pas l'exemption de telle faute. Par conséquent, il doit exister quelque descendant d'Adam, exempté de la faute originelle, qui n'ait pas de faute.
2 Le médiateur parfait mérite que toute peine soit enlevée pour celui qu'il veut réconcilier. Mais la faute originelle représente une grande punition, la privation même de la vision divine... Donc si le Christ nous a réconcilié avec Dieu de manière parfaite, il a mérité qu'au moins quelqu'un fût préservé par cette grave peine. Mais ceci ne pouvait arriver que pour sa Mère... [...]
3. La personne réconciliée, à la limite, ne se sent pas obligée vis-à-vis du médiateur si elle n'a pas reçu le maximum de bien possible. [...] Et personne ne se sentirait ensuite aussi extrêmement obligée envers le Christ médiateur que la personne préservée du péché originel... »
Duns Scot, En III sententiarum, d 3, q 1
La qualité de l'argumentation de Duns Scot :
- Marie demeure dans le peuple que le Rédempteur sauve.
- Duns Scot part de la Trinité dont les actes de création et de rédemption doivent se manifester parfaits, au moins une fois. La perfection de Dieu n'a pas de demi-mesure, et là s'enracine le radicalisme du dogme de l'Immaculée Conception. Ce raisonnement a une conséquence plus radicale que la nécessité d'une purification de Marie avant le fiat et l'Incarnation.
On retrouve chez ce franciscain l'héritage patristique qui situait Marie dans le vaste plan créateur : Marie est celle en qui le plan créateur réussit.
L'influence de Duns Scot
L'argument de la rédemption par préservation est repris dans la définition dogmatique :
Par l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et par la Notre, Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine selon laquelle la bienheureuse Vierge Marie fut dès le premier instant de sa Conception, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute souillure de la faute originelle, est révélée de Dieu, et que par conséquent elle doit être crue formellement et constamment par tous les fidèles.
Sa sainteté le Pape Pie IX,
(Extraits de la Bulle « Ineffabilis Deus » du 8 Décembre 1854)
La perspective globale de l'Alliance
Le dogme a été mis à jour par le concile Vatican II. « Marie est rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils » (LG 53). « Elle fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d'une si grande tâche », la maternité divine (LG 56). « Enrichie dès le premier instant de sa conception d'une sainteté éclatante absolument unique, la Vierge de Nazareth est saluée par l'ange de l'Annonciation, qui parle sur l'ordre de Dieu, comme "pleine de grâce" (cf. Lc 1,28). » (LG 56).
La conception immaculée est une grâce qui vient du Rédempteur dans une histoire, après une longue préparation, c'est pourquoi l'immaculée est aussi appelée « fille de Sion ». Le concile déclare que Marie exprime la foi de ses pères, « Elle excelle parmi les humbles et les pauvres du Seigneur qui attendent avec confiance et reçoivent de lui le salut » (LG 55). Marie est la fille du Sion par "excellence" (LG 55).
Ce n'est pas par hasard si Jean Paul II, avant de donner cinq audiences sur la sainteté de Marie et l'immaculée Conception, avait donné une audience qui présente Marie comme la « fille de Sion », « la vierge de l'Alliance », « celle qui représente l'humanité entière », « l'épouse de l'Alliance... mieux que tout autre membre du peuple élu ». [2]
Autrement dit, Marie fait réussir le plan divin :
« [L'enseignement sur l'Immaculée affirme que] l'Alliance de Dieu en Israël n'a pas échouée mais est devenue un rejeton qui dans son épanouissement a donné le Sauveur. »[3]
Nous avons là un premier élément de continuité : comme Duns Scot, le magistère situe Marie dans le vaste dessein divin, Marie fait de l'Alliance des noces parfaites parce que la réconciliation est parfaite.
Dans l'Alliance, la rédemption préservative (Immaculée conception) est un don de Dieu, la sainteté parfaite de Marie est la réponse humaine.
Jean Paul II a montré l'importance universelle de la rédemption par préservation :
« Il n'échappe à personne que l'affirmation du privilège exceptionnel accordée à Marie met en évidence que l'action rédemptrice de Christ non seulement libère, mais aussi préserve du péché.
Cette dimension de préservation, qui est totale en Marie, est présente dans l'intervention rédemptrice quand le Christ, en libérant du péché, donne aussi à l'homme la grâce et la force pour vaincre l'influence du péché dans son existence.
De cette façon, le dogme de l'immaculée Conception de Marie ne voile pas, mais contribue admirablement à mettre en évidence les effets de la grâce rédemptrice du Christ dans la nature humaine.
Les chrétiens regardent Marie, la première rachetée par le Christ, celle qui a eu le privilège de ne pas être soumise un instant au pouvoir du mal et du péché, elle est le modèle parfait et l'icône de cette sainteté (cf. LG 65) à laquelle ils sont appelés dans leur vie, avec l'aide de la grâce du Seigneur.»
[1] L. Gambero, Maria nel pensiero dei teologi latini medievali, San Paolo 2000, p. 305-306
[2] Jean Paul II, audience 1° mai 1996
[3] Card. J. Ratzinger, La fille de Sion, édition Parole et Silence 2002, p.79
Synthèse F. Breynaert