594.1 Ils sont sur le point d’entrer à Jérusalem, par le même sentier à l’écart qu’ils ont emprunté le matin précédent, comme si Jésus ne voulait pas être assiégé par la foule qui l’attend, avant d’être arrivé au Temple. En effet, on y accède facilement si l’on entre dans la ville par la Porte du Troupeau, proche de la Probatique. Mais aujourd’hui, plusieurs des soixante-douze disciples le guettent déjà sur l’autre rive du Cédron, avant le pont, et dès qu’ils le voient apparaître au milieu des oliviers verts gris, dans son vêtement pourpre, ils viennent à sa rencontre. Une fois tous réunis, ils prennent la direction de la ville.
Pierre regarde en avant, vers le bas de la colline, pour voir s’il apparaît quelque personne mal intentionnée comme il en a toujours le soupçon. Soudain, il aperçoit, au milieu de la fraîche verdure des dernières pentes, un amas de feuilles fanées qui pendent au-dessus de l’eau du Cédron. Recroquevillées, mourantes, elles montrent çà et là des taches qui ressemblent à de la rouille. On croirait se trouver devant le feuillage d’un arbre desséché par les flammes. De temps à autre, la brise détache quelque feuille, qui disparaît dans les eaux du torrent.
« Mais c’est le figuier d’hier ! Le figuier que tu as maudit ! » s’écrie Pierre en montrant le figuier sec et en tournant la tête pour parler au Maître.
Tous accourent, sauf Jésus qui avance de son pas habituel.
Les apôtres racontent aux disciples ce qui s’était passé, et tous ensemble commentent en regardant Jésus avec stupéfaction. Ils ont vu des milliers de miracles sur les hommes et les éléments, mais celui-ci les frappe plus que les autres.
594.2 Une fois arrivé sur place, Jésus sourit en voyant ces visages abasourdis et craintifs :
« Eh quoi ? Etes-vous tellement ébahis qu’à ma parole un figuier se soit desséché ? Ne m’avez-vous donc pas vu ressusciter des morts, guérir des lépreux, rendre la vue à des aveugles, multiplier des pains, calmer des tempêtes, éteindre le feu ? Et vous vous étonnez de voir un figuier desséché ?
– Ce n’est pas pour le figuier. Mais, hier, il était robuste quand tu l’as maudit, et maintenant il est sec. Regarde, il est friable comme de l’argile sèche. Ses branches n’ont plus de moelle. Elles tombent en poussière. »
Et Barthélemy réduit en poudre entre ses doigts des branches qu’il a facilement cassées.
« Elles n’ont plus de moelle, tu l’as dit. Or ce qui vaut d’un arbre peut s’appliquer à une nation ou à une religion : quand il ne reste que l’écorce dure et le feuillage inutile — c’est-à-dire la férocité et un aspect extérieur hypocrite —, c’est signe que la mort est là. La moelle, blanche et pleine de sève, correspond à la sainteté, à la spiritualité. L’écorce dure et le feuillage inutile à l’humanité dépourvue de vie spirituelle et de justice. Malheur aux religions qui deviennent humaines parce que leurs prêtres et leurs fidèles n’ont plus l’esprit vital. Malheur aux nations dont les chefs ne sont que férocité et verbosité tapageuse dépourvue d’idées fécondes ! Malheur aux hommes qui n’ont plus de vie spirituelle ! »
Judas intervient, sans amertume, mais sur un ton doctoral :
« Ta parole a beau être juste, si tu devais tenir un tel discours devant les grands d’Israël, tu ne passerais pas pour un sage. Ne te flatte pas si, jusqu’à présent, ils t’ont laissé parler. Tu le dis toi-même, ce n’est pas par conversion de cœur, mais par calcul. Sache alors, toi aussi, calculer la portée et les conséquences de tes paroles. A côté de la sagesse de l’esprit, il y a aussi la sagesse du monde, et il faut savoir en user à notre avantage. Car enfin, pour l’instant, nous sommes dans le monde, pas dans le Royaume de Dieu !
– Le vrai sage est celui qui sait discerner les choses sans que les ombres de la propre sensualité et les réflexions du calcul les altèrent. Je dirai toujours la vérité de ce que je vois.
594.3 – En somme, ce figuier est mort parce que tu es venu le maudire ; ou bien… est-ce un pur hasard… un signe… je ne sais pas ? demande Philippe.
– C’est tout à la fois. Mais vous serez capables d’en faire autant que moi si vous arrivez à avoir la foi parfaite. Ayez-la dans le Seigneur très-haut. Et quand vous l’aurez, en vérité je vous dis que cela vous sera possible, et bien plus encore. En vérité, je vous dis que si quelqu’un arrive à avoir parfaitement confiance en la force de la prière et dans la bonté du Seigneur, il pourra dire à cette montagne de se déplacer et de se jeter dans la mer : s’il n’a pas dans son cœur la plus légère hésitation, mais s’il croit fermement que ce qu’il ordonne peut se réaliser, cela se réalisera.
– On nous prendra pour des magiciens et on nous lapidera, comme c’est écrit de ceux qui exercent la magie. Ce serait un miracle bien bête et à notre détriment ! lance Judas en hochant la tête.
– C’est toi qui es bien bête : tu ne comprends pas la parabole ! » réplique Jude.
Jésus prend alors la parole, mais sans s’adresser particulièrement à Judas :
« Je vais vous rappeler une ancienne leçon : quoi que vous demandiez par la prière, ayez pleinement confiance, et vous l’obtiendrez. Mais si, avant de prier, vous avez quelque chose contre quelqu’un, commencez par lui pardonner et faites la paix, afin d’avoir pour ami votre Père qui est dans les Cieux, qui vous pardonne tant et vous comble tant, du matin au soir et du couchant à l’aurore. »
594.4 Ils entrent à l’intérieur du Temple. Les soldats de l’Antonia les regardent passer. Ils vont adorer le Seigneur, puis reviennent dans la cour où les rabbis enseignent.
Aussitôt, avant même que les gens n’arrivent et ne se groupent autour de Jésus, des séphorim, des docteurs d’Israël et des hérodiens s’approchent, le saluent avec un faux respect, et lui disent :
« Maître, nous savons que tu es sage et véridique, que tu enseignes la voie de Dieu sans tenir compte de rien ni de personne, excepté de la vérité et de la justice, et que tu te soucies peu du jugement des autres sur toi, mais que tu désires seulement conduire les hommes au bien. Alors, dis-nous : est-il permis de payer le tribut à César, ou non ? Quel est ton avis ? »
Jésus porte sur eux l’un de ces regards d’une pénétrante et solennelle perspicacité, et il répond :
« Pourquoi me tentez-vous hypocritement ? Certains parmi vous savent pourtant que l’on ne me trompe pas avec des honneurs affectés ! Mais montrez-moi une pièce de monnaie utilisée pour s’acquitter du tribut. »
Ils lui en présentent une.
Il l’observe au recto et au verso et, la gardant sur la paume de sa main gauche, il la frappe de l’index de sa main droite :
« De qui est cette image et que dit cette inscription ?
– C’est la figure de César et l’inscription porte son nom, le nom de Caius Tibère César, actuellement empereur de Rome.
– Dans ce cas, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Puis il leur tourne le dos après avoir rendu la pièce à celui qui la lui avait prêtée.
594.5 Au milieu des nombreux pèlerins qui l’interrogent, Jésus réconforte, absout, guérit pendant des heures.
Enfin il sort du Temple, peut-être pour franchir la porte et prendre la nourriture que lui apportent les serviteurs de Lazare qui en ont été chargés.
Quand il y revient, c’est l’après-midi. Il est infatiguable. Grâce et sagesse coulent de ses mains posées sur les malades, ou de ses lèvres pour des conseils personnels donnés à la foule de ceux qui l’approchent. On dirait qu’il désire tous les consoler ou les guérir tant que cela lui est encore possible.
Finalement, le crépuscule est venu, et les apôtres sont assis par terre sous le portique, fatigués et étourdis par ce mouvement continuel de la foule dans les cours du Temple à l’approche de la Pâque. C’est alors que des hommes s’approchent de l’Inlassable, des riches, à en juger par leurs vêtements somptueux.
Matthieu, qui ne sommeille que d’un œil, se lève et secoue les autres :
« Des sadducéens viennent trouver le Maître ! Ne le laissons pas seul, et veillons à ce qu’ils ne l’offensent pas ou ne cherchent pas à lui faire tort et à le mépriser encore une fois. »
Ils se lèvent tous pour rejoindre le Maître, qu’ils entourent immédiatement. Je crois deviner qu’il y a eu des représailles quand ils sont allés au Temple ou qu’ils y sont revenus à sexte.
594.6 Après avoir rendu honneur à Jésus avec des courbettes exagérées, ils lui disent :
« Maître, tu as répondu si sagement aux hérodiens que le désir nous est venu d’obtenir, nous aussi, un rayon de ta lumière. Ecoute : Moïse[133] a dit : “ Si un homme meurt sans enfant, que son frère épouse la veuve pour donner une descendance à son frère. ” Or, il y avait parmi nous sept frères. Le premier épousa une jeune fille et mourut sans descendance, laissant ainsi sa femme à son frère. Le second mourut lui aussi sans laisser de descendance, et de même le troisième, qui épousa la veuve des deux précédents. Et il en fut de même jusqu’au septième. Finalement, après avoir épousé les sept frères, la femme mourut. Alors, dis-nous : à la résurrection des corps, s’il est vrai que les hommes ressuscitent et que notre âme survit et s’unit de nouveau au corps au dernier jour, pour reconstituer les vivants, lequel des sept frères aura la femme pour épouse, puisqu’ils l’ont eue tous les sept sur la terre ?
– Vous êtes dans l’erreur. Vous ne savez comprendre ni les Ecritures ni la puissance de Dieu. L’autre vie sera radicalement différente de celle-ci, et les nécessités de la chair n’existeront pas dans le Royaume éternel comme dans celui-ci. En vérité, après le Jugement final, la chair ressuscitera et se réunira à l’âme immortelle pour refaire un tout, qui vivra comme et mieux que ne le font actuellement ma personne et la vôtre. Mais elle ne sera plus sujette aux lois et surtout aux pulsions et aux abus qui existent maintenant. A la résurrection, les hommes et les femmes ne se marieront pas, mais ils seront semblables aux anges de Dieu dans le Ciel, qui ne se marient pas, mais vivent dans l’amour parfait, qui est divin et spirituel. Quant à la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu comment Dieu a parlé à Moïse dans le buisson ? Qu’a dit alors le Très-Haut ? “ Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. ” Il n’a pas dit : “ J’ai été ”, pour faire comprendre qu’Abraham, Isaac et Jacob avaient existé, mais n’existaient plus. Il a dit : “ Je suis. ” Car Abraham, Isaac et Jacob existent. Ils sont immortels, comme tous les hommes dans leur partie immortelle, tant que les siècles dureront, puis avec leur chair ressuscitée pour l’éternité. Ils existent comme existent Moïse, les prophètes, les justes, comme, malheureusement, existe Caïn, ainsi que les hommes du déluge, les Sodomites, et tous ceux qui sont morts en état de péché mortel. Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.
594.7 – Est-ce que, toi aussi, tu mourras et tu retrouveras la vie ? » demandent-ils pour le tenter.
Ils sont déjà las de devoir se montrer doux. Leur haine est telle qu’ils ont du mal à se contenir.
« Je suis le Vivant, et ma chair ne connaîtra pas la décomposition. L’arche nous a été enlevée et l’actuelle connaîtra le même sort, même comme symbole. Le Tabernacle nous a été enlevé et sera détruit. Mais le vrai Temple de Dieu ne pourra être ni enlevé ni détruit. Quand ses adversaires croiront l’avoir fait, alors viendra le moment où il s’établira dans la véritable Jérusalem, dans toute sa gloire. Adieu. »
Et il se hâte vers la Cour des Juifs, car les trompettes d’argent appellent au sacrifice du soir.
Enseignement de Jésus
594.8 Jésus me dit :
« Comme je t’ai fait remarquer l’expression “ à ma coupe[134] ” dans la vision où la mère de Jean et de Jacques demande une place pour ses fils, j’attire ton attention, dans la vision d’hier, sur le passage : “ celui qui tombera contre cette pierre se brisera. ” Les traducteurs écrivent toujours “ sur ”.
Or j’ai bien dit contre, et non pas sur. C’est une prophétie contre les ennemis de mon Eglise. Ceux qui se jettent contre elle pour lui faire obstacle — parce qu’elle est la pierre angulaire —, sont brisés. L’histoire de la terre, depuis vingt siècles, confirme mes paroles. Les persécuteurs de l’Eglise qui se jettent contre la pierre angulaire sont brisés.
J’ajoute que celui sur qui tombera le poids de la condamnation du Chef et Epoux de mon Epouse, de mon Corps mystique, celui-là sera écrasé. Que cela reste à l’esprit de ceux qui se croient à l’abri des châtiments divins sous prétexte qu’ils appartiennent à l’Eglise.
594.9 Et, pour prévenir une objection des scribes et des sadducéens toujours vivants et malveillants pour mes serviteurs, je déclare ceci : s’il se trouve, dans les dernières visions, des phrases qui ne sont pas dans les évangiles, telles que celles de la fin de la vision d’aujourd’hui, des passages où je parle du figuier desséché et d’autres encore, ils doivent se rappeler que les évangélistes appartenaient toujours à ce peuple, et qu’ils vivaient à une époque où tout heurt un peu trop vif pouvait avoir des répercussions violentes et nuisibles aux néophytes.
Qu’ils relisent les Actes des Apôtres, et ils verront que la fusion de tant de courants d’esprit différents ne s’est pas faite dans la paix et que, s’ils s’admiraient mutuellement et reconnaissaient leurs mérites réciproques, il ne manqua pas parmi eux de dissentiments, car les pensées des hommes sont variées et toujours imparfaites. Et pour éviter des ruptures plus profondes entre ces diverses opinions, les évangélistes, éclairés par l’Esprit Saint, omirent volontairement dans leurs écrits des phrases qui auraient choqué l’excessive susceptibilité des Hébreux et scandalisé les païens, qui avaient besoin de croire parfaits les Hébreux — eux qui formaient le noyau d’où venait l’Eglise — pour ne pas s’éloigner en disant : “ Ils ne valent pas mieux que nous. ”
Connaître les persécutions du Christ, oui. Mais être au courant des maladies spirituelles du peuple d’Israël désormais corrompu, surtout dans les classes les plus élevées, non. Ce n’était pas bien. C’est ainsi qu’ils firent de leur mieux pour les dissimuler.
Qu’ils observent comment les évangiles deviennent de plus en plus explicites, jusqu’au limpide évangile de mon Jean, au fur et à mesure que l’époque de leur rédaction s’éloignait de mon Ascension vers mon Père.
Jean est le seul à rapporter entièrement même les taches les plus douloureuses du noyau apostolique en qualifiant ouvertement Judas de “ voleur ” ; c’est aussi lui qui rappelle intégralement les bassesses des juifs (dans le chapitre 6 : la volonté feinte de me faire roi, les disputes au Temple, l’abandon d’un grand nombre après le discours sur le Pain du Ciel, l’incrédulité de Thomas). Dernier survivant, ayant vécu assez longtemps pour voir l’Eglise déjà forte, il lève les voiles que les autres n’avaient pas osé lever.
Mais maintenant, l’Esprit de Dieu veut que soient connues même ces paroles. Ils doivent en bénir le Seigneur, car ce sont autant de lumières et autant d’indications pour les justes de cœur. » [...]
[133] Moïse a dit, en Dt 25, 5-6 ; dans le buisson ardent, en Ex 3, 1-6.
[134] à ma coupe, en 377.11 ; contre cette pierre, en 592.17.