Caïphe et l'entrelacement du politique et du religieux.
Les historiens connaissent l'intérêt pour le pouvoir de la dynastie d'Anne et Caïphe, « intérêt qui, de fait, conduisit par la suite à la catastrophe de l'an 70. « En ce sens, observe Benoît XVI, il y a dans la décision de faire mourir Jésus une étrange superposition de deux niveaux : d'une part la légitime préoccupation de protéger le temple et le peuple, et, de l'autre, l'obsession égoïste du pouvoir de la part du groupe dominant. »[1]
Alors que le Sanhédrin hésite à faire mourir Jésus, Caïphe emporte la décision en ajoutant à la préoccupation religieuse la préoccupation politique ; il déclare : « Vous ne songez même pas qu'il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière. » (Jn 11, 50)
A l'opposé, Jésus avait inauguré un règne non politique, il avait commencé à détacher la religion du politique. « Mais c'est seulement à travers la perte vraiment absolue de tout pouvoir extérieur, à travers le dépouillement radical de la Croix, que la nouveauté devenait réalité. »[2]
Et l'Evangéliste ajoute :
« Or cela, il ne le dit pas de lui-même; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés. » (Jean 11, 51-52)
Ici résonne la Prière sacerdotale de Jésus (Jn 17) pour l'unité de tous les croyants, et l'unité eschatologique. « Les enfants de Dieu ne sont plus seulement les Juifs, mais les enfants d'Abraham dans le sens profond développé par Paul : des personnes qui sont à la recherche de Dieu, des personnes prêtes à répondre à son appel, des personnes, pourrions nous dire, sont dans une attitude d'Avent. »[3]
Jésus devant le Sanhédrin : le blasphème de Jésus.
Un interrogatoire.
« On peut considérer comme vraisemblable qu'il ne s'agissait pas d'un véritable procès, mais d'un interrogatoire approfondi qui s'est achevé par la décision de livrer Jésus au gouverneur romain. » Cet interrogatoire est suscité principalement par deux problèmes :
- Selon les témoins, l'interprétation que Jésus a donné son geste de purification du temple a semblé une attaque contre le temple. Le temple est la base de l'unité du peuple, le niveau religieux et inséparable du niveau politique.
- Selon les gens, Jésus aurait eu une prétention messianique qui le plaçait aux côtés de Dieu et entrait en conflit avec la foi monothéiste.
« La prétention messianique est une revendication de royauté sur Israël. C'est pourquoi l'expression "roi des Juifs" sera ensuite aussi inscrite sur la Croix comme motif de l'exécution capitale de Jésus. »[4]
La réponse de Jésus (Mt 26, 58-75 ; Mc 14, 53-72 ; Lc 22, 54-71 ; Jn 18, 12-27).
« Jésus ne donne aucune place à une compréhension politique ou agressive de l'activité du Messie.
Non, le Messie, lui-même, viendra comme le Fils de l'homme sur les nués du ciel. [...] Il revendique le droit de siéger à la droite de la Puissance, c'est à dire de venir à la manière du Fils de l'homme dont parle le livre de Daniel, de venir de Dieu, pour ériger à partir de lui le Royaume définitif. [...]
Jésus avait exprimé sa mission selon les Ecritures, avec les paroles même de l'Ecriture.
Mais pour les membres du sanhédrin, à l'évidence, cette application des paroles sublimes de l'Ecriture à Jésus apparut comme une attaque insupportable à la grandeur de Dieu, à son unicité. »[5]
Jésus est conduit devant Pilate.
La revendication de la royauté messianique était un crime politique, qui devait être puni par la justice romaine. Avec le chant du coq, le jour s'était levé, et le gouverneur siégeait pour rendre la justice.
Qui étaient les accusateurs ?[6]
Chez Jean, ce sont les Juifs, mais attention, la communauté primitive était tout entière composée d'Israélites : chez Jean, cette expression « les Juifs » a une signification précise : l'aristocratie du temple.
Chez Marc, apparaît aussi la masse qui opte pour la relaxe de Barrabas. Il s'agit des défenseurs de Barrabas qui se sont mobilisés pour le jour de l'amnistie pascale. Tandis que ceux qui croyaient en Jésus, apeurés, restaient cachés.
Matthieu parle de « tout le peuple », à coup sûr, il n'exprime pas un fait historique. Matthieu cherche très probablement à s'expliquer le terrible destin d'Israël dans la guerre judéo-romaine. Et si, selon Matthieu, tout le peuple avait dit « Que son sang soit sur nous et nos enfants ! » (Mt 27, 25), le chrétien doit se souvenir que le sang de Jésus parle un autre langage que celui d'Abel (cf. He 12, 24[7]) ; il n'exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation. Il n'est pas versé contre quelqu'un, mais c'est le sang versé pour la multitude, pour tous. « Tous ont péché... » (Rm 3, 23-25)
Chez Pilate
Pilate savait que Jésus n'avait pas suscité de mouvement révolutionnaire. Au regard des règlements romains, il n'y avait rien de sérieux contre Jésus.
Mais au cours de l'interrogatoire, voici à l'improviste un moment qui soulève l'agitation : la déclaration de Jésus. A la question de Pilate : Donc tu es roi ? , il répond :
« Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jean 18, 37)
La vérité serait-elle donc une catégorie politique ? Pilate répond : « Qu'est-ce que la vérité ? » (Jn 18, 38)
Benoît XVI explique : « Le monde est vrai dans la mesure où il est reflet de Dieu [...] Rendre témoignage à la vérité » signifie mettre au premier plan Dieu et sa volonté face aux intérêts du monde et à ses puissances. Dieu est la mesure de l'être. En ce sens, la vérité est le Roi véritable qui donne à toutes choses leur lumière et leur grandeur. »[8]
Les sciences et techniques ont progressé, mais elles ne découvrent que des vérités fonctionnelles. Ce n'est pas la connaissance de « notre véritable réalité » et l'homme ne peut saisir le sens de sa vie ; il laisse alors le champ libre aux plus forts.
Jésus, libre devant le parti des plus forts, rend témoignage à la vérité.
En Jésus-Christ, Dieu « a dressé le critère de la vérité au cœur de l'histoire. »[9]
[1] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l'entrée à Jérusalem à la Résurrection. Parole et Silence, Paris 2011, p.198
[2] Ibid., p. 199
[3] Ibid., p. 203
[4] Ibid., p.208
[5] Ibid., p.209
[6] Extraits de : Joseph Ratzinger, Benoît XVI, Ibid., p. 213-216
[7] « Un sang purificateur plus éloquent que celui d'Abel » (Hébreux 12, 24)
[8] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, ibid., p.221
[9] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, ibid., p. 22-223
Synthèse F. Breynaert