Notre Dame de Béchouate et la réconciliation nationale

L'énumération des miracles « attestés » par des experts ou des certificats médicaux apportait en quelque sorte la preuve d'une présence de la Vierge à Béchouate.

Une présence sécurisante ouvrant la possibilité d'un attachement horizontal entre « musulmans et chrétiens », entre « citoyens libanais ». Les expressions « réconciliation nationale », « union » et « retrouvaille » structuraient déclarations officielles et commentaires journalistiques.

Mgr Mounged Hashim est un fervent défenseur du dialogue islamo-chrétien et détenteur d'une solide connaissance de l'islam, il est aujourd'hui nonce apostolique dans les pays du Golfe. Arrivé à Dayr al-Ahmar en 1995 après un long séjour à Rome, il s'est très vite attaché à établir de bonnes relations avec les musulmans de la région.

Il a fait face à de fortes résistances de la part des familles de Dayr al-Ahmar, mais a su s'imposer sur la scène politique locale comme « homme fort » (qabaday).

Son action en faveur d'un rapprochement avec les musulmans s'est trouvée en quelque sorte confortée par l'apparition de la Vierge à Béchouate.

L'évêque a mené campagne avec efficacité pour que les symboles des Forces libanaises disparaissent complètement du village.

Il n'a eu de cesse de souligner la dimension politique et sociale de l'événement. « La Vierge Marie lance une invitation aux chrétiens et aux musulmans à plus d'amour, plus de respect. Elle nous invite à la réconciliation et au pardon », expliquait-il dans une homélie prononcée dans l'église de Béchouate en août 2005.

À Béchouate, seule la petite chapelle qui abrite la statue de Notre-Dame de Béchouate accueille des fidèles de différentes religions. Dans cet espace partagé, fidèles musulmans et chrétiens regardent, touchent, caressent et embrassent les mêmes objets : les statues de la Vierge, le tableau de l'Assomption, l'autel et la pierre de granit rose.

Un geste les distingue clairement : le signe de croix, que seuls les chrétiens accomplissent. Les musulmans sont parfois nombreux, mais ils n'organisent jamais de prière collective. Il arrive qu'un dévot demande qu'on lui laisse assez de place pour la prière, qui, dans ce lieu, consiste en deux prosternations en direction de La Mecque et deux autres en direction de la statue.

Nul mélange de doctrines et de pratiques religieuses donc, mais en revanche une « stratégie de résistance » faisant appel à l'union dans la division, à l'accord dans le désaccord. Au Liban, l'ennemi commun est une sorte de Janus avec un visage extérieur (les Syriens, les Palestiniens, les Israéliens) et un visage intérieur (les dissensions internes à la société).

Face aux démons de la guerre, la Vierge, mobilisée pour ses qualités de pacificatrice et de rassembleuse, pourra-t-elle constituer un rempart efficace ?


Emma Aubin-Boltanski cnrs,

Extraits de : Emma Aubin-Boltanski cnrs, Centre d'études interdisciplinaires du fait religieux, La Vierge, les chrétiens, les musulmans et la nation Liban, 2004-2007, Dans la revue « Terrain » Religion et Politique, n° 51 2008/2

cf. Chapitre : Marie dans l'islam