Le terme technique de Dormition désigne dans la tradition chrétienne les derniers instants de la vie terrestre de Marie. En effet, la tradition juive parlait des justes qui s'endormaient et qui étaient réunis avec leurs Pères.
L'icône de la Dormition
L'icône de la Dormition est justement célèbre: au centre figure Marie étendue sur son lit de mort. Elle est entourée des douze apôtres qui se retrouvent curieusement autour d'elle. Le Christ en gloire, enveloppé dans une mandorle, apparaît auprès de sa mère et prend dans ses bras l'âme de Marie représentée par un petit enfant vêtu de linges blancs.
Pour comprendre la théologie de l'icône il n'y a pas d'autre choix que de se référer à l'apocryphe connu sous le nom de Dormition de Marie.
L'apocryphe connu sous le nom de Dormition de Marie
Cet apocryphe, traduit en différentes langues, est très ancien. Il provient des milieux judéo-chrétiens de Jérusalem et pourrait dater de la fin du second siècle après J.-C. Des études fondées sur les critères internes et externes ont permis d'arriver à la conclusion que la version grecque de l'apocryphe provenant de la bibliothèque du Vatican (Vatican grec 1982) est la plus ancienne. C'est sur ce texte que nous appuyons nos citations et nos commentaires.
L'Apocryphe décrit les derniers instants de Marie sous la forme littéraire du Testament. De plus, il a recours à de nombreux symboles qu'il importe de décoder si l'on veut comprendre le message contenu dans l'Apocryphe. Le Pape Jean-Paul II a cité cet apocryphe dans son homélie de l'Assomption, lui donnant ainsi un certain crédit.
L'annonce de la mort
"Quand Marie entendit de la part du Seigneur qu'elle allait sortir du corps, le grand Ange se rendit auprès d'elle et lui dit: "Marie lève-toi; prends cette palme que m'a donnée celui qui a planté le Paradis et transmets-la aux apôtres, afin que, la portant devant toi, ils chantent des hymnes, car d'ici trois jours tu déposeras ton corps. Voici que j'enverrai tous les apôtres auprès de toi et ils feront tes funérailles. Ils ne te quitteront plus jusqu'à ce qu'ils t'aient amenée au lieu où tu seras dans la gloire" (2).
"… Va au Mont des Oliviers et là tu connaîtras mon nom, car je ne le prononce pas au milieu de Jérusalem pour qu'elle ne soit pas totalement ruinée, mais tu l'entendras sur le Mont des Oliviers…" (3).
" Marie se rendit au Mont des Oliviers. La lumière de l'Ange la précédait. Dans sa main elle tenait la palme. Quand elle arriva au Mont des Oliviers, celui-ci tressaillit avec tous les arbres qui s'y trouvaient, de sorte qu'ils inclinèrent leurs têtes et adorèrent la palme qui était dans sa main" (4).
"Lorsque Marie le vit, elle pensa que c'était Jésus et elle demanda: Seigneur n'es-tu pas mon seigneur? C'est pour cela que tant d'arbres t'ont adoré. Je dis en effet que personne ne peut faire tant de miracles de gloire sinon mon Seigneur. L'ange lui dit… Quand tu sortiras du corps c'est moi qui viendrai à lui le quatrième jour et je t'enlèverai le quatrième jour…" (5).
Pour comprendre le message de l'Apocryphe il fautcomprendre :
- le symbole de la palme;
- celui des nuées;
- celui de la lampe;
- celui du parfum
- et scruter le sens de la fête des tentes, au premier siècle de l'ère chrétienne.
La fête des Tentes, une fête de la joie...
La fête des tentes, notamment est devenue synonyme de la fête de la joie en Dt 16,14.
De fait, Marie accueille la mort le visage souriant. Elle défend aux apôtres de pleurer lors de ses funérailles. Ces derniers chanteront le Hallel en accompagnant son corps qui sera déposé dans un tombeau dans la vallée du Cédron où il reposera trois jours avant que le Christ ne vienne le prendre, tandis que son âme fut emportée immédiatement au ciel par Michel, l'archange.
Philon d'Alexandrie avait défini la fête comme celle de la transition du monde matériel au monde immatériel. Elle évoquait l'espoir d'immortalité, la révélation de la lumière cosmique et la migration du monde présent au monde immatériel. La littérature rabbinique verra dans la tente une préfiguration du jour eschatologique et le symbole de la demeure des justes dans l'au-delà.
Le midrash Pesiqta de Rav Kahana, Supplément 2,3-4 en témoigne. Le psaume 114,1: Quand Israël sortit d'Egypte que les apôtres chantent en accompagnant le corps de Marie est appliqué par les rabbins à la fête des Tentes pour commémorer le salut passé, tandis que les autres versets du psaume font allusion au salut futur. Le midrash Lévitique Rabbah 30,5 en témoigne.
Origène, dans son Homélie sur les Nombres 23,11 voit dans les tentes un symbole de la vie présente qui est un lieu de passage, en attendant la terre où coulent le lait et le miel. Dans son Homélie sur l'Exode 9,4 il s'attache au symbolisme des différentes branches que portaient les participants à la fête: la palme symbolise la victoire de l'Esprit sur la chair; le peuplier et le saule la chasteté, et l'arbre feuillu la vie éternelle.
La réflexion la plus fouillée sur la fête des Tentes vient de Méthode d'Olympe qui y a consacré plusieurs passages de son Banquet. Après le rappel de l'interprétation matérielle que donnent les Juifs à la fête, Méthode donne la sienne qu'il tient des judéo-chrétiens: la fête signifie la résurrection et la fixation de notre tente tombée en terre:
"Songez-y, cette fête des Tentes, c'est la résurrection; songez-y les matériaux qu'on prend pour l'érection des tabernacles, ce sont les oeuvres de justice" (243).
Seuls ceux qui ont pratiqué les vertus célébreront la fête et ressusciteront. Ils entreront dans la terre promise. Le but de l'auteur de l'Apocryphe était de rapporter la dernière célébration de la fête des Tentes de Marie. Elle se rend au Mont des Oliviers, anticipant l'accomplissement de la prophétie de Zacharie. Le symbolisme de la fête se prêtait à merveille pour illustrer l'idée principale de l'auteur : la mort, la résurrection et l'assomption de Marie.
D'après cet apocryphe, Marie serait passée par la mort au tombeau...
Si cette hypothèse est fondée, il est permis d'en tirer une conclusion. L'auteur de l'Apocryphe provient d'un milieu où la fête des Tentes est encore célébrée ou du moins à l'honneur. Nous avons parlé, avec l'auteur de l'Apocryphe, de la mort de Marie. On sait que la définition du dogme de l'assomption de la Vierge n'a pas voulu se prononcer sur ce problème. Pour l'auteur de l'Apocryphe Marie n'a pas eu un privilège supérieur à celui de son fils. Puisque le corps du Christ reposa au tombeau trois jours, celui de Marie connut le même sort.
L'existence du tombeau traditionnel de Marie dans la vallée du Cédron a obtenu de nouvelles lettres de créance depuis les fouilles archéologiques de 1972 dues à une inondation providentielle. Les archéologues ont la certitude que la tombe vénérée de Marie à Jérusalem est une tombe taillée dans le rocher qui remonte au premier siècle.
Bien plus, elle fait partie d'un complexe de trois chambres funéraires. Or, la version syriaque de l'Apocryphe fait mention des trois chambres. Le silence des pierres invite les archéologues à reprendre en mains le dossier de la littérature assomptioniste, car monument et document doivent s'éclairer réciproquement.
Le dogme de l'assomption n'a trouvé sa formulation définitive dans l'Eglise latine qu'au vingtième siècle. Mais l'Eglise pré-nicéenne, que nous appelons l'Eglise judéo-chrétienne, avait pressenti que Marie fut emportée au ciel en son corps et en son âme. C'est avec des catégories bibliques et juives qu'elle exprima cette conviction en ayant recours au genre littéraire du testament de Marie. "Toutes les générations me diront bienheureuse".
L'Assomption de Marie dans l'Apocryphe de la Dormition
Cette prophétie de Marie s'est vérifiée même pour la proclamation de son Assomption au ciel qui fut proclamée en fait par de nombreuses générations avant le vingtième siècle. Terminons en reproduisant la finale de l'Apocryphe de la Dormition de Marie:
"Les apôtres transportèrent Marie à sa tombe. Ils déposèrent son corps et s'assirent ensemble attendant le Seigneur comme il le leur avait ordonné… Voici que nous demeurons ici trois jours comme le Seigneur l'a demandé".
"Ils discutaient entre eux de l'enseignement, de la foi, et de beaucoup d'autres sujets, assis devant la porte du tombeau, quand soudain arriva des cieux le Seigneur Jésus-Christ avec Michel et Gabriel. Il s'assit au milieu des disciples…".
"Il donna alors un signal à Michel avec la voix propre des anges et les nuées descendirent vers lui. Le nombre des anges dans chaque nuée qui chantaient était de mille anges devant le Sauveur. Le Seigneur dit à Michel de prendre le corps de Marie sur la nuée tout près de lui. Quand ils furent montés dans la nuée, ils chantaient des hymnes avec des voix d'ange. Le Seigneur ordonna aux nuées de partir vers l'Orient, vers les régions du Paradis".
"A peine arrivés au Paradis, ils déposèrent le corps de Marie sous l'arbre de vie. Michel apporta son âme et ils la déposèrent dans son corps. Et le Seigneur envoya les apôtres dans leurs contrées pour (proclamer) la conversion et le salut des hommes. A lui conviennent la gloire, l'honneur et le pouvoir pour les siècles des siècles".
La réflexion mariologique de cet apocryphe, pour simple qu'elle apparaisse au premier regard, est déjà poussée. Marie a droit aux titres bibliques de "chaste colombe" et de soeur provenant du Cantique des Cantiques. Elle est appelée "mère des douze rameaux" par Jean qui traduit ainsi sa fonction ecclésiale. Autant dire qu'elle est la mère de l'Eglise. Elle rassemble les douze avant de mourir : elle est la vigne fructueuse au milieu des apôtres rassemblés.
Enfin, elle est définie comme nouveau Temple et arche de l'alliance par le grand prêtre juif qui dans un premier moment voulait brûler son corps. La mariologie de l'apocryphe est une relecture de Jean 19,27. C'est dans les cercles judéo-chrétiens johanniques que ce texte a vu le jour.
L'Apocryphe de la Dormition qui a inspiré les artistes byzantins mérite d'être lu, à condition d'être remis dans son vrai contexte littéraire...