Valentin a vécu au 2° siècle.
Saint Irénée s'indignait que les « disciples de Valentin » défendent les écrits « de leur propre fabrication » parmi lesquels « l'évangile de vérité »[1].
On a découvert en 1945, à Nag Hammadi (Egypte) « l'évangile de vérité » (EvVer). Il semble que ce soit une version copte de fin IV° siècle, donc plus tardive de ce à quoi se référait saint Irénée à la fin du II° siècle ?
Voici les grandes lignes de cette pensée gnostique :
Les élus ont une origine pré-temporelle :
Pour les chrétiens (cf. l'épître aux Ephésiens, Eph 1), la décision divine de sauver les hommes est éternelle.
Mais dans "l'évangile de vérité", ce sont les élus eux-mêmes qui ont une existence pré-temporelle, et le Sauveur, le Verbe, transmet la connaissance de l'origine et la fin des élus (EvVer 22, 10-20 ; 30, 5-15).
La signification de l'incarnation du Verbe change :
"L'évangile de vérité" décrit une « incarnation du Verbe », mais sa signification est subtilement différente de la signification chrétienne.
- D'une part, l'existence corporelle de Jésus permet de réveiller les élus à leur nature oubliée. (EvVer 20).
Pour la pensée chrétienne, les choses sont formulées un peu différemment : sans l'idée d'une préexistence des hommes. Par exemple saint Athanase explique que Dieu avait créé les hommes à son image pour que les hommes puissent le connaître, mais les hommes se sont détournés de lui[2]. En s'incarnant, le Seigneur fixe sur soi les sens de tous les hommes afin que partout où les hommes étaient attirés, il les ramène et leur enseigne son véritable Père[3]. Saint Athanase donne quelques exemples ; les hommes en voyant le Christ, se détournent du culte de la nature, des démons ou des morts. Ainsi, pour saint Athanase, le Sauveur, durant tout le temps de son Incarnation, est pour nous une lumière qui nous renouvelle (Cf. Eph 3, 17-19)[4].
- D'autre part, l'existence corporelle de Jésus empêche les non-élus de reconnaître Jésus comme le Fils/Verbe (EvVer 31, 1-6).
Un tel discours n'a rien à voir avec la pensée chrétienne.
La connaissance plutôt que la rédemption du péché :
Dans les écrits chrétiens, le rédempteur apporte la connaissance de Dieu (Eph 1, 15-19 ; Jn 17, 3 etc.) mais ce n'est jamais l'unique manière de faire référence à la Rédemption, et ce qui empêche la connaissance de Dieu, ce n'est pas la matière, c'est le péché.
Avec subtilité, "l'évangile de vérité" décrit l'œuvre de la rédemption en terme de connaissance et il déforme les références au Nouveau Testament.
Par exemple, pour les chrétiens, dans l'Apocalypse, Jésus Agneau ouvre le livre scellé, c'est la révélation du plan rédempteur, le livre est transmis à Jean et par lui à toute l'Eglise. Dans "l'évangile de vérité", Jésus est le livre vivant, et ce livre représente l'incompréhensibilité de Dieu le Père (EvVer 20, 1-4).
Autre exemple : EvVer 18, 24-25, dit que Jésus a été crucifié par « Erreur », et la croix est mentionnée comme « un arbre », référence sans doute à l'arbre de la connaissance (Gn 2, 17), cela ressemble au christianisme sauf que l'ignorance n'est jamais liée au péché, au refus de l'amour, au refus du pardon. C'est une gnose.
L'Ancien Testament est abandonné :
Pour les disciples de Valentin comme pour les chrétiens, Jésus est le nom du Père, d'une manière singulière, unique (EvVer 38 ; Ph 2, 9-11 ; He 1, 4).
Cependant, dans "l'évangile de vérité", l'Ancien Testament n'est pas tenu pour Ecriture (EvVer 42) sous prétexte que Jésus a révélé le Père avec plus de "douceur".
Les chrétiens se souviennent des disciples d'Emmaüs, avant la fraction du pain, Jésus leur avait expliqué les Ecritures, « depuis Moïse et parcourant tous les prophètes » (Lc 24, 27). Cette première partie de l'Eucharistie dure jusqu'à nos jours : une lecture dit l'Ancien Testament ; puis la lecture de l'Evangile donne la lumière apportée par Jésus. Autrement dit, Jésus rejoint le peuple juif dans son histoire, avant de rejoindre les païens dans leur origine. Et les chrétiens, même au temps de la mission chez les païens, apprécient les « seuils de la foi » contenus dans l'Ancien Testament comme d'authentiques pédagogues (Galates 3, 24). « Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique: vous faites bien de la regarder, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que l'astre du matin se lève dans vos cœurs. » (2Pierre 1, 19) L'Ancien Testament, est pour tous comme un géant qui porte Jésus. « Pour accueillir Jésus jusqu'à l'ouverture du ciel, il faut accueillir le géant qui le porte »[5].
Il n'y a pas de rédemption de la chair :
Pour les disciples de Valentin, la mort de Jésus consiste à se dépouiller des « guenilles » corporelles. Et plutôt que de passer par une résurrection corporelle, Jésus passa par une délivrance de l'existence corporelle. L'existence corporelle est méprisée.
Au contraire, les chrétiens proclament la foi en « la résurrection de la chair » (Symbole des apôtres). La résurrection de la chair est perçue comme l' achèvement de la création et de la rédemption de la chair. Et ils en tirent les conséquences morales et écologiques.
Marie, rempart contre les hérésies :
La tradition chrétienne appelle Marie "rempart contre les hérésies", et nous pouvons le vérifier dans cet exemple de la gnose de Valentin.
L'honneur rendu à Marie, c'est un honneur rendu à la fille de Sion, au reste saint d'Israël, l'Ancien Testament a de la valeur.
L'honneur rendu à Marie est un honneur rendu à la chair que Jésus a prise, à la rédemption par la Passion soufferte dans la chair et à la résurrection de la chair.
De plus, la vie très populaire des sanctuaires mariaux illustre nettement que Dieu ne sélectionne pas les hommes et que tous peuvent venir au salut.
[1] IRENEUS, Adv Haer I, 1-22.
[2] ATHANASE D'ALEXANDRIE, De Incarnatione 11, 2-3 dans Sources chrétiennes 199, par Charles KANNENGIESSER, Cerf 1973, p. 305.
[3] ATHANASE D'ALEXANDRIE, De Incarnatione 15,2
[4] ATHANASE D'ALEXANDRIE, De Incarnatione 15, 3-7 et 16, 1-5.
[5] Jacques Bernard, Les fondements bibliques, Parole et Silence, Paris 2009, p. 485, Cf. p.479-486
Bibliographie :
- Larry W. Hurtado, Le Seigneur Jésus Christ, La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme. Cerf, Paris 2009, p 560-571.
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Françoise Breynaert