On a souvent mis en lumière qu'à travers les contemplations de quatrième semaine, Ignace a voulu montrer comment le Ressuscité constitue la foi et le kérygme de l'Église ; comment il initie ses disciples à l'interprétation de l'Écriture ; comment il donne à son Épouse sa structure hiérarchique; comment il la dote des sacrements ; comment il lui révèle sa mission; bref, comment par ces actes, le Christ ressuscité fonde, constitue, établit définitivement son Église.
La question qui se pose est de savoir si, en apparaissant à Marie, le Ressuscité pose aussi un acte fondateur de son Église, et si Oui, de quelle manière.[1] [...]
1 . Apparition et gloire
On peut résumer d'un mot la théologie de la quatrième semaine : c'est une théologie de la gloire et, par conséquent, une théologie de «l'apparaître».
Il semblerait que «ressusciter» précède «apparaître» puisque c'est le Ressuscité qui apparaît. Cependant Ignace a un concept très large de l'apparaître. C'est ainsi que - nous l'avons déjà vu - le Christ «apparaît» aux saints pères des limbes dès avant sa résurrection (311,3), mais alors, est-il précisé, «en son âme» seulement, tandis qu'à Marie, il apparaît «en corps et en âme» (219,2). La résurrection est comme la perfection de l'apparaître.[2]
2. La Vierge Marie
Pour désigner Marie, le titre de loin le plus utilisé par les Exercices est celui de «Notre-Dame» (27 fois). Vient ensuite celui de «Mère» (13 fois). L'appellation simple «Marie» ne se rencontre que 4 fois, toujours dans des citations de l'évangile de Luc (la prière Ave Maria est mentionnée 9 fois).
L'expression «la Vierge Marie» est un hapax : on ne la trouve qu'ici, au numéro 299. Ignace ne renoncerait pas à ses appellations habituelles, s'il ne voulait mettre en lumière un rapport particulier du mystère contemplé avec, d'une part, le nom singulier de Marie, et avec, d'autre part, sa Virginité.
En utilisant l'appellation de «Vierge Marie», saint Ignace de Loyola provoque des réminiscences du mystère de l' Annonciation, ou se réalise l'Incarnation.[3] [...]
A l'Annonciation, la virginité de Marie est signe d'une disponibilité totale, corporelle et spirituelle, à l' oeuvre de l'Esprit ; cette disponibilité, qui s'exprime en la foi parfaite de la «servante» à la «Parole», permet à la Vierge de devenir mère du Fils de Dieu, sans intervention de l'époux humain, Joseph ; elle conçoit, grâce à l'Esprit, le propre fils de Dieu.
Au moment de la Résurrection, Marie accueille l'apparaître de son Fils en son corps de gloire, tout spirituel, dans une virginité, une ouverture, une disponibilité totales ; elle offre à son Fils un espace où apparaître, un espace sans obstacle, sans défaut, non limité par le péché ; elle goûte l'identité du corps qu'elle lui a donné et du corps ressuscité ; elle «s'humilie et rend grâce» (108,3) pour l'accomplissement, inimaginable, de sa maternité. [...] En tant qu'immaculée, elle accueille la gloire et la vie du Ressuscité, sans y mettre aucun obstacle. Le Ressuscité peut se communiquer à elle autant qu'Il le veut, en totalité. [...]
Par lui, elle renaît à la Vie ; elle reconnaît la « Gloire » (221, 229) de son Corps. [...]
Marie n'est pas à l'origine de l'acte de ressusciter du Christ, mais le Ressuscité n'apparaîtra jamais à personne s'Il n'a trouvé d'abord un espace totalement virginal où son apparaître peut pleinement se déployer, où sa gloire et sa joie peuvent en totalité se communiquer et se constituer. [...] De même qu'il n'a pu entrer dans le monde par son incarnation que par la médiation du fiat de Marie, Il ne peut apparaître dans toute sa gloire de Rédempteur que par l'accueil virginal de Notre-Dame.[4]
Le corps de gloire du ressuscité est le corps de sa manifestation, de sa communication. Il n'est donc pas étranger à ce que nous appelons son «corps mystique». [...] Dans l'apparition dont elle est la bénéficiaire, la Vierge Marie consent à la Résurrection et par ce consentement, elle «donne», pour ce qui dépend d'elle, au Ressuscité, son Corps de gloire, c'est-à-dire qu'elle accepte de faire patrie définitivement du Corps du Ressuscité (corps à la fois personnel et mystique). [...][5]
Marie, première Eglise
Pour Ignace de Loyola, le Christ ressuscité apparaît à Marie en tant qu'elle représente et récapitule en elle-même toute l'Église.
Elle lui offre - redisons-le - un espace virginal et immaculé où son apparaître peut se déployer sans obstacle.
Il trouve en elle son Corps de gloire. Il peut lui communiquer la totalité du salut et de la grâce, de telle sorte qu'associée à son oeuvre de salut depuis l'Incarnation, elle puisse devenir, après avoir participé de la manière la plus étroite à Sa Passion, sa parfaite collaboratrice dans la diffusion même des fruits de la rédemption.
En d'autres mots, le Christ la constitue figure personnelle de l'Église-médiatrice de toute grâce. Le Seigneur, en effet, ne veut rien faire sans l'aide, sans la médiation, de son Epouse, l'Église.[6]
[1] I.-M. HENNAUX, S.J. En apparaissant à la Vierge Marie, le Christ ressuscité a fondé son Église, Nouvelle revue théologique, tome 126/ n°1, janv-mars 2004, p. 37-38
[2] Ibid. p. 38-39
[3] Ibid. p. 40
[4] Ibid. p. 44
[5] Ibid. p. 45
[6] Ibid. p. 46
Synthèse F. Breynaert