Al-Razî (854-935) est un musulman connu dans le monde latin sous le nom de Rhazès. Il est né à Rayy. Il dirigea l’hôpital de Rayy puis de Bagdag. Sa vie personnelle fut toute de modération, ses contemporains notèrent sa générosité et sa compassion, les plus pauvres de ses patients étaient convenablement nourris et soignés.
Le commentaire de Al-Razî sur l'Annonciation à Marie [1]
Al-Razî a fait un important commentaire de ce verset du Coran :
« Et (rappelle) quand les Anges dirent : "O Marie ! Dieu t'a élue et purifiée. Il t'a élue de préférence à (toutes) les femmes des Mondes" »
(Coran 3, 42)
Deux questions liées à la langue du Coran
Al-Razî commence à se poser des questions de grammaire et de vocabulaire, laissons ces questions à ceux qui connaissent la langue arabe. Retenons simplement qu'il considère que "les Anges" visent en réalité uniquement l'ange Gabriel, comme dans l'Evangile.
Troisième question : Le mode de révélation
Sa "troisième question" concerne la révélation. Marie n'est pas prophète, comment donc peut-elle recevoir une révélation ? Il répond en parlant d'une "faveur", d'un "miracle", et signale que certains vont jusqu'à parle d'un "souffle dans l'âme", d'une "inspiration" ou une "projection dans le coeur".
Quatrième question: élection et purification
Al-Razî est ici moins technique, plus facile à lire. Nous le citons en entier :
« Sache que ce qui est mentionné tout d'abord, dans ce verset, c'est l'élection (qui est faite de Marie), puis la purification, enfin l’election (qui est faite d'elle, de préférence).
On ne peut pas admettre que l’élection faite en premier lieu soit du même ordre que la seconde élection. Et puisqu’on ne saurait accepter qu’il s’agisse ici d'une pure répétition, il faut donc référer la "première élection" à toutes les choses vertueuses qui lui avaient été attribuées dès le premier âge et la "deuxième élection" à ce qui lui advint au terme de ses jours.
La première élection [l'enfance de Marie]
La première élection comprend bien des aspects:
Le premier consiste en ce que Dieu accepta sa consécration (tahrîr) bien qu’elle fut une femme et que cela ne soit jamais advenu à aucune autre femme.
Le deuxième, au dire, d’al Hasan, c’est que sa mère, après l’avoir enfantée, n’eut pas à la nourrir, ne fût-ce qu’un instant, car elle la confia à Zacharie et sa nourriture lui venait du paradis.
Le troisième aspect, c’est que Dieu lui donna de se dédier totalement à son adoration et qu’Il la gratifia, pour cela, de toutes les variétés de la grâce, de la rectitude et de l’impeccabilité (‘isma).
Le quatrième aspect, c'est que Dieu se chargea de sa subsistance : sa nourriture lui venait d'auprès de Dieu, tout comme Dieu lui-même l'affirme : « o Marie ! demanda- t-il (Zacharie), comment as-tu ceci ? -Ceci vient de Dieu, répondit-elle » (3, 37).
Le cinquième aspect, c'est que Dieu lui fit entendre les paroles des Anges (à elle) adressées oralement, ce qui n'est arrivé à aucune autre femme. Tel est le sens qu'il faut donner à la "première élection".
Quant à la purification (tathîr), elle comprend aussi plusieurs aspects:
Le premier consiste en ce que Dieu l'a purifiée de toute impiété (kufr) et de toute désobéissance (ma'siya), ce qui est assez semblable à ce qui est dit au sujet des épouses du Prophète : « Et (il veut) vous purifier totalement » (33., 33).
Le deuxième aspect, c'est que Dieu l'a purifiée du contact (charnel) des hommes.
Le troisième aspect, c'est qu'Il l'a purifiée du cycle menstruel. On a dit, en effet, que Marie n'avait pas de règles.
Le quatrième aspect, c'est que Dieu l'a purifiée en lui faisant éviter les actes répréhensibles et les habitudes déshonnêtes.
Le cinquième aspect, c'est qu'Il l'a purifiée de la calomnie, de l'accusation et du mensonge des Juifs, à son endroit.
La seconde élection [A partir de l'Annonciation]
Quant à la seconde élection, on entend par là le don que Dieu lui fit de Jésus, sans qu'il procédât d'un père, le fait que Dieu fit parler Jésus dès le moment où il fut séparé (du corps) de sa mère de sorte qu'il put témoigner de faits qui prouvaient que sa mère était innocente des accusations portées contre elle, et enfin le fait que Dieu ait fait d'elle et de son fils un "signe" (âya) pour les Mondes. Tel est le sens que l'on entend donner à ces trois paroles.<
Cinquième question
Al-Razî continue :
« On rapporte que Muhammad a dit : "Qu'il vous suffise, parmi les femmes des Mondes, des quatre (suivantes) : Marie, Asiya, femme de Pharaon, Khadîja et Fâtima".
On a dit que ce hadîth prouvait que ces quatre femmes sont préférables à toutes les autres et que le présent verset prouve que Marie est préférable à toutes. Ceux qui disent que le sens en est qu'elle a été élue (de préférence aux femmes) des Mondes de son temps, abandonnent, de ce fait, le sens littéral du texte. »
Un trait d'union ? [2]
Ce commentaire de Razî met l’accent sur l’intériorité de Marie, elle aurait entendu l’ange Gabriel et elle aurait conçu comme on reçoit une révélation. Razî met l’accent sur la dimension personnelle et relationnelle de l’événement de l’Annonciation. Il met aussi l’accent sur l’excellence de Marie, unique entre toutes les femmes.
Tout cela rapprocherait Razî de la tradition chrétienne, mais il faut le lire jusqu’au bout et voir ce qu'il dit de l'oraison de Marie (cf. l'article sur ce thème). Selon cet auteur, Marie prie à la manière musulmane en se prosternant et « ses pieds en furent enflés et qu’il en sortit du sang et du pus ». Cela n’exprime pas la pureté (le pus). Et le fait que la prière empêche Marie de marcher (les pieds sont enflés et en sang), est à l’opposé de la prière biblique qui met l’homme debout et en marche (cf. la mise en route d’Abraham et l’Exode avec Moïse).
Bref, la façon dont Razî décrit la vie intérieure de Marie montre aussi combien sa vision de l'Annonciation n'est pas enracinée dans une spiritualité de l'Alliance.
Il est donc intéressant de lire ce que dit Razî sur l'oraison de Marie, puis d'approfondir la foi chrétienne en regardant par exemple ce que la Bible dit de la pureté de Marie et de son Oui à l'Annonciation.
[1] Cf. Razî, Commentaire sur la "Salutation angélique" qui fut faite à Marie in Coran 3, 42-43 ; Traduction par M. Borrmans.
[2] F. Breynaert