Al-Razî (854-935) est un musulman connu dans le monde latin sous le nom de Rhazès. Il comment ce verset du Coran :
« Puis Il dit : "O Marie ! sois en oraison devant ton Seigneur ! Prosterne-toi et incline-toi avec ceux qui s'inclinent ! »
(Coran 3,43)
Al-Razî s'interroge sur le sens de la prière de Marie : elle se prosterne et elle s'incline. Il tente de rapprocher ces mots de la prosternation et de l'inclination qui caractérise la prière des hommes dans la mosquée, ce qui implique que la Vierge Marie soit en présence des hommes. Il fait aussi l'hypothèse que ces mouvements correspondent à ceux de la prière juive. Il imagine ensuite que Marie est tellement prosternée que ses pieds sont pleins de sang et de pus ! Ecoutons-le :
Le commentaire de Al-Razi
« La réponse se présente sous des formes diverses.
On peut d'abord dire que le wâw [= "et" dans "Prosterne-toi et incline-toi"] signifie la simple association sans qu'il y entre la nuance de hiérarchie.
On peut dire aussi que le but même de la proximité de Dieu, pour le Serviteur (croyant), c'est d'être en état de prosternation. Muhammad l'a dit : "Le Serviteur (croyant) n'est jamais plus proche de son Seigneur que lorsqu'il se prosterne". [...] C'est comme si Dieu lui ordonnait de persévérer dans la prosternation, la plupart du temps, mais aussi d'accomplir la prière aux heures fixées pour celle-ci. [...] Par prosternation, on veut alors dire la Prière.
Les paroles "incline-toi avec ceux qui s'inclinent" signifient l'ordre de faire la prière avec la Communauté - auquel cas "prosterne-toi" serait l'ordre d'avoir à prier quand elle est seule, et "incline-toi avec ceux qui s'inclinent", l'ordre d'avoir à prier avec la Communauté -
Ou bien, par "inclination", on entend simplement ici l'humilité - auquel cas "prosterne-toi" serait l'ordre explicite d'avoir à Prier et "incline-toi avec ceux qui s'inclinent", l'ordre d'avoir le coeur humble et modeste.
Une cinquième réponse consisterait à dire que la prosternation dans cette religion [juive], précède l'inclination.» [1]
« La réponse, c'est qu'on veut dire par-là : Fais comme ils font. On a dit que le sens en était la Prière avec la Communauté : elle (Marie) avait l'ordre de prier, dans le Temple, avec ceux qui le fréquentaient, même si elle ne se mêlait pas à eux. » [1]
« La réponse, c’est qu’imiter les hommes alors même qu’on se dérobe à leur regard est une chose plus vertueuse que d’imiter les femmes. Sache que les commentateurs ont dit : lorsque les Anges eurent adressé ces paroles à Marie, oralement, celle-ci s'acquitta (si bien) de la Prière que ses pieds en furent enflés et qu'il en sortit du sang et du pus. » [1]
L'oraison de Marie : un trait d'union ?
Un chrétien peut aussi considérer que Marie s'est préparée à haute mission par une intense vie de prière, mais il ne peut pas entrer dans les considérations musulmanes :
La finale « ses pieds en furent enflés et qu'il en sortit du sang et du pus » n’exprime pas la pureté (le pus).
De plus, la prière décrite est une prière qui ne grandit pas l’humanité mais l’empêche de marcher (les pieds sont enflés et en sang), on est à l’opposé de la prière biblique qui depuis le temps du premier Exode avec Moïse, est une prière qui met l’homme debout et en marche.
Enfin, la présence de Marie parmi les hommes dans un lieu réservé aux hommes par la loi juive est un fait tellement étrange qu’il semble invraisemblable, si ce fait était véridique, que les livres antérieurs n’en parlent pas, ni les historiens, ni les polémiques des juifs contre les chrétiens, ni non plus les évangiles chrétiens.
L'Evangile décrit Marie comme la fille de Sion, c'est-à-dire comme le reste saint d'Israël. Elle fait partie des pauvres du Seigneur qui espèrent tout de Dieu. Dans le christianisme, ce qui est important pour connaître la préparation de Marie, ce ne sont donc pas les récits apocryphes sur son enfance, mais c'est tout l'Ancien Testament. L'Ancien Testament a appris à Marie l'Alliance (au Sinaï), la mise en route et la marche avec Dieu (Abraham, l'Exode), et la prière sous toutes ses formes.
[1] Razî, Commentaire sur la "Salutation angélique" qui fut faite à Marie in Coran 3, 42-43 ; Traduction par M. Borrmans.
N.B. Al-Razî (854-935) est connu dans le monde latin sous le nom de Rhazès.
Il est né à Rayy, il profita largement des traductions en arabe des textes médicaux et philosophiques grecs.
Il dirigea l'hôpital de Rayy puis de Bagdag.
Sa vie personnelle fut toute de modération, ses contemporains notèrent sa générosité et sa compassion, les plus pauvres de ses patients étaient convenablement nourris et soignés.
F. Breynaert
Extrait de :
F. Breynaert, Marie et l'islam, dans « Miles Immaculatae », Anno XLIV, fasc I, 2008