S'appuyant sur les pères de l'Eglise, Jean Paul II aborde la théologie de l'Immaculée Conception par "la voie de la beauté" : "Toute l'humanité, dans toute la splendeur de sa noblesse immaculée, reçoit son ancienne beauté" (St André de Crète), et Theoteknos de Livias présente Marie comme " et toute-belle".
Evangile de Luc (Lc 1, 28) : "Rendue pleine de grâces" (Kekharitoméne) : immaculée en vue de la maternité
1. En Marie, "pleine de grâce", l'Église a reconnu "la Toute-, indemne de toute tache de péché", "enrichie dès le premier instant de sa conception d'une sainteté éclatante absolument unique" (LG, 56).
Cette reconnaissance a demandé une longue réflexion doctrinale, qui a abouti finalement à la proclamation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception. L'appellation "Toi qui as été rendue pleine de grâces" que l'Ange adresse à Marie lors de l'Annonciation, montre l'exceptionnelle faveur divine qui a été accordée à la jeune fille de Nazareth en vue de sa maternité annoncée, mais elle indique aussi plus directement l'effet de la grâce divine en Marie. Marie a été intimement et constamment imprégnée de la grâce, et donc sanctifiée. La qualification de "kecharitoméne" a une signification très dense, que l'Esprit Saint a sans cesse fait approfondir par l'Église.
Pères de l'Eglise : Marie pétrie de l'Esprit Saint, création nouvelle
2. J'ai souligné dans mes catéchèses précédentes que, dans la salutation de l'Ange, l'expression "pleine de grâce" a pratiquement valeur de nom : c'est le nom de Marie aux yeux de Dieu. Selon l'usage sémitique, le nom exprime la réalité des personnes et des choses ainsi désignées. Par conséquent, le titre "pleine de grâce" manifeste la dimension la plus profonde de la personnalité de la jeune fille de Nazareth : elle est modelée par la grâce et l'objet de la faveur divine, au point qu'elle peut être définie par cette prédilection toute spéciale.
Le Concile rappelle que les Pères de l'Eglise se référaient à cette vérité quand ils appelaient Marie "la Toute-", affirmant en même temps qu'elle avait été "pétrie par l'Esprit Saint et formée comme une créature nouvelle" (LG, 56). La grâce, entendue dans son sens de "grâce sanctifiante" qui donne la sainteté personnelle, a réalisé en Marie la création nouvelle, la rendant pleinement conforme au projet de Dieu.
Theoteknos de Livias : Marie, née d'une argile pure et immaculée
3. Ainsi la réflexion doctrinale a-t-elle pu attribuer à Marie une perfection de sainteté qui, pour être complète, devait nécessairement affecter sa vie dès son origine. C'est de cette pureté originelle que semble traiter un évêque de Palestine, qui a vécu entre 550 et 650, Theoteknos de Livias.
Présentant Marie comme " et toute-belle", "pure et sans tache", il fait allusion à sa naissance en ces termes : "Elle naît comme les chérubins, celle qui est d'une argile pure et immaculée" (Panégyrique pour la fête de l'Assomption, 5-6). Cette dernière expression, qui rappelle la création du premier homme formé à partir d'une glaise non marquée par le péché, attribue les mêmes caractéristiques à la naissance de Marie : l'origine de Marie a été elle aussi "pure et immaculée", c'est-à-dire sans aucun péché.
Par ailleurs, la comparaison avec les chérubins confirme l'excellence de la sainteté qui a caractérisé la vie de Marie dès le début de son existence. L'affirmation de Theoteknos marque une étape importante de la réflexion théologique sur le mystère de la Mère du Seigneur.
Les Pères grecs et orientaux avaient admis une purification opérée par la grâce en Marie, soit avant l'Incarnation (saint Grégoire de Nazianze, Oratio 38, 16), soit au moment même de l'Incarnation (saint Ephrem, Sévérien de Gabala, Jacques de Saroug). Theoteknos de Livias semble réclamer pour Marie une pureté absolue dès le commencement de sa vie. En effet, celle qui était destinée à devenir la Mère du Sauveur ne pouvait pas ne pas avoir une origine parfaitement , sans aucune tache.
La Conception pure et immaculée de Marie apparaît ainsi comme le commencement de la nouvelle création.
André de Crète : La naissance de Marie, une nouvelle création
4. Au VIIIe siècle, André de Crète est le premier théologien qui voit dans la nativité de Marie une nouvelle création.
Voici son argumentation :
"Toute l'humanité, dans toute la splendeur de sa noblesse immaculée, reçoit son ancienne beauté. La honte du péché avait obscurci la splendeur et le charme de la nature humaine. Mais, quand naît la Mère de Celui qui est la Beauté par excellence, cette nature récupère en sa personne ses anciens privilèges et est formée selon un modèle parfait et vraiment digne de Dieu... Aujourd'hui commence la réforme de notre nature et le monde vieilli, soumis à une transformation toute divine, reçoit les prémices de la seconde création."
(Sermon I sur la Nativité de Marie)
Revenant alors à l'image de la glaise primitive, il affirme :
"Le corps de la Vierge est une terre que Dieu a travaillée, les prémices de la masse adamique divinisée par le Christ, l'image qui ressemble vraiment à la beauté primitive, l'argile pétri par les mains de l'Artiste divin"
(Sermon I sur la Dormition de Marie)
La Conception pure et immaculée de Marie apparaît ainsi comme le commencement de la nouvelle création. Il s'agit d'un privilège personnel accordé à la femme choisie pour être la Mère du Christ, qui inaugure le temps de la grâce abondante, voulu par Dieu pour toute l'humanité.
Le commencement de la Rédemption du monde
Cette doctrine, reprise dans ce même VIII° siècle par saint Germain de Constantinople et par saint Jean Damascène, éclaire la valeur de la sainteté originelle de Marie, présentée comme le commencement de la rédemption du monde. Ainsi, la réflexion ecclésiale reçoit et explicite le sens authentique du titre "pleine de grâce" donné par l'ange à la Vierge. Marie est pleine de grâce sanctifiante, et elle est telle dès le premier moment de son existence.
Cette grâce, selon la Lettre aux Ephésiens (1, 6) est accordée dans le Christ à tous les croyants. La sainteté originelle de Marie constitue le modèle incomparable du don et de la diffusion de la grâce du Christ dans le monde.
Jean Paul II, Audience générale du 15 mai 1996