L'Esprit vous rappellera tout (Jn 14, 26)
« Mais le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » (Jean 14, 26)
Larry W. Hurtado explique ce verset :
« L'Esprit semble une interprétation éclairée de paroles de Jésus, ainsi que l'illustre Jn 2, 19-22 où, après sa résurrection, ses disciples « se rappellent » qu'il a parlé de relever le temple en trois jours. Ce souvenir inclut une interprétation de la parole de Jésus. En Jn 12, 16, nous avons un autre de ces « rappels » d'après la résurrection. » [1]
Larry W. Hurtado souligne l'importance de la méditation collective :
« Il est intéressant de remarquer que chaque fois que l'Esprit doit faire œuvre de révélation, en Jean 14-16, c'est à un « vous » (pluriel) que l'Esprit fait cette révélation de Jésus. » [2]
Ensemble ils ont entendu les paroles que Jésus a prononcées :
« Ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela. » (Jean 2, 22).
Ensemble ils méditent et appliquent des passages de l'Ecriture à Jésus :
« Cela, ses disciples ne le comprirent pas tout d'abord; mais quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit de lui et que c'était ce qu'on lui avait fait. » (Jean 12, 16)
C'est véritablement à un « vous », pluriel, que l'Esprit Saint « enseigne » et « rappelle » (Jn 14, 26)
L'Esprit vous introduira dans la vérité toute entière (Jn 16, 13).
« Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière. » (Jn 16, 13)
Les communautés de Jean ont un goût pour les révélations de l'Esprit. Et il est bien possible que dans les communautés de Jean, on s'attendait à ce que l'Esprit inspire des intuitions nouvelles et guide les croyants dans « la vérité toute entière », au-delà de ce qu'avait dit le Jésus terrestre (Jn 14, 25-26 ; 16, 12-15).[3]
De là le risque de dissidence... Et c'est bien ce qui arriva (1 Jn 2, 19).
Un groupe de dissidents a quitté les communautés de Jean :
Certains indices permettent de cerner qui sont ces dissidents.
Ils ont prétendu à une vérité nouvelle. C'est pourquoi la première lettre de Jean insiste sur l'importance de ce qui vient du Jésus terrestre, de ce qui était au commencement :
« Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux. » (1Jn 1, 1)
Et l'auteur insiste ensuite :
« Pour vous, que ce que vous avez entendu dès le début demeure en vous. Si en vous demeure ce que vous avez entendu dès le début, vous aussi, vous demeurerez dans le Fils et dans le Père. » (1Jn 2, 24)
Mais eux se croient supérieurs, parfaits, c'est pourquoi leur attitude est démasquée :
« Si nous disons que nous sommes en communion avec lui alors que nous marchons dans les ténèbres... » (1Jn 1, 6)
ou
« Si nous disons: "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. » (1Jean 1, 8, cf. 1Jn 1, 10)
L'explication la plus plausible de leur départ est que les autres chrétiens étaient peu disposés à accepter leurs prétentions. Mais eux, convaincus d'avoir raison, sont partis.
« Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. » (1Jean 2, 19)
Peut-on dire préciser la doctrine de ces dissidents ?
L'opinion la plus fréquente pense que les dissidents nient que Jésus soit venu dans la chair, car il est écrit :
« A ceci reconnaissez l'esprit de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu; c'est là l'esprit de l'Antichrist. » (1Jn 4, 2-3)
Les chrétiens pouvaient avoir à l'esprit certaines traditions juives, bibliques, par exemple l'apparition des trois anges à Abraham, où l'apparition de l'ange Raphaël à Tobit : ces anges donnent l'impression qu'ils mangent et boivent, mais ils ne sont pas corporels[4].
Les dissidents des communautés de Jean peuvent avoir pensé que Jésus avait lui aussi donné l'impression de manger, boire et souffrir, mais que ce n'était qu'une apparence ; et, dans leur goût des révélations de l'Esprit Saint qui rappelle les Ecritures, ils avaient pu affirmer que cette façon de voir était une révélation de l'Esprit Saint.[5]
Avec de pareilles conceptions, les dissidents pouvaient ne pas voir que la mort de Jésus était rédemptrice, c'est peut-être ce que la première lettre de Jean voulait dire en parlant de ceux qui niaient que Jésus soit le Christ (1Jn 2, 22).
« Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ? Le voilà l'Antichrist! Il nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils ne possède pas non plus le Père. Qui confesse le Fils possède aussi le Père. » (1Jn 2, 22-23)
En lisant 1Jn 2, 22-23, nous pouvons penser que les dissidents nient que Jésus soit le Christ, c'est-à-dire le rédempteur, celui dont la mort, réelle, est rédemptrice.
Nous pouvons ajouter que les dissidents nient que Jésus soit le Fils, sous-entendu le Fils unique : les dissidents, forts de leurs expériences mystiques, pensent être, eux aussi et au même degré que Jésus, fils de Dieu. (Nous retrouvons cette forme d'hérésie dans l'Evangile de Thomas).
L'auteur de la lettre sait que les chrétiens sont enfants de Dieu, mais dans un sens subordonné à Jésus, et dans un sens non encore pleinement accompli :
« Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est.» (1Jn 3, 2)
L'auteur de la lettre insiste ensuite sur le commandement de l'amour mutuel (1Jn 4, 7-8) : c'est probablement le manque d'amour mutuel qui montre le mieux que les dissidents formulent des revendications sans valeur.[6]
[1] Cf. Larry W. Hurtado, Le Seigneur Jésus Christ, La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme. Cerf, Paris 2009, p. 400-402.
[2] Cf. Larry W. Hurtado, Ibid., p. 415.
[3] Cf. Larry W. Hurtado, Ibid., p. 424
[4] Certains Juifs méditaient sur l'apparence corporelle des anges : Philon, De Abrahamo, 113 ; Flavius Josephe, Antiquité 1, 197).
[5] Cf. Larry W. Hurtado, Ibid., p. 434-435
[6] Cf. Larry W. Hurtado, Ibid., p. 436-437
Synthèse Françoise Breynaert