Le contexte historique de la première lettre de Pierre.
Les chrétiens de ce temps, trop peu nombreux, n'ont pas les moyens des modifier la société où ils sont. Ils vivent dans une société prospère mais très inégalitaire. Pour la plupart, ils se recrutaient dans le petit peuple, libre ou esclave ; leurs communautés étaient très solidaires, fraternellement soudées.
Elles étaient aussi secrètes : leurs réunions et les repas en commun étaient soigneusement fermés aux profanes.
Les chrétiens possédaient donc apparemment toutes les caractéristiques de l'hétairie subversive - les hétairies étaient des associations aux buts divers, religieux ou non, regroupant dans certains cas des agitateurs. Dion exprime bien l'opinion de la classe dirigeante qui déplore l'action des hétairies (Dion, Discours 43, 6-10). Et en l'an 111, Trajan envoit Pline le Jeune dans la province de Pont et Bithynie pour supprimer le droit des associations (Cf. Pline, Lettre X, 33 et 34).
De plus, leur refus de participer aux plaisirs collectifs, liés aux festivités païennes, paraît suspect (1P 4,3-4) ; on leur reproche une misanthropie, une haine du genre humain (Tacite, Annales XV, 44). (1)
L'auteur de la première lettre de Pierre est conscient des dangers de persécutions qu'impliquait cette situation et il insiste sur la soumission, qui a une portée apologétique, rassurante pour le milieu environnant, mais qui n'est pas défaitiste : à l'heure de Dieu, leur belle conduite convertit les persécuteurs :
Très chers, je vous exhorte, comme étrangers et voyageurs, à vous abstenir des désirs charnels, qui font la guerre à l'âme. Ayez au milieu des nations une belle conduite afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, la vue de vos bonnes oeuvres les amène à glorifier Dieu, au jour de sa Visite.
(1Pierre 2, 11-12)
Dans l'Ancien Testament, le verbe « visiter » évoque d'abord une intervention favorable de Dieu :
Je [Le Seigneur] vous ai visités et j'ai vu ce qu'on vous fait en Egypte.
(Ex 3, 16)
Moïse emporta les ossements de Joseph avec lui, car celui-ci avait adjuré les Israélites en disant: "Oui, Dieu vous visitera, et alors vous emporterez d'ici mes ossements avec vous."
(Ex 13, 19 qui correspond aux paroles de Joseph en Gn 50, 24.25)
Dans le texte de Pierre, il s'agit d'une visite qui tournera non seulement en faveur des chrétiens calomniés, mais aussi, semble-t-il, au salut de ceux qui les calomniaient, puisqu'ils ouvriront les yeux et glorifieront Dieu lors de cette visite.
Dans l'attitude même des chrétiens qu'ils calomnient, leur regard découvre quelque chose de nouveau... Ces « malfaiteurs » sont lumineux de grâce !
13 Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute créature* humaine: soit au roi, comme souverain, 14 soit aux gouverneurs, comme envoyés par lui pour punir ceux qui font le mal et féliciter ceux qui font le bien. 15 Car c'est la volonté de Dieu qu'en faisant le bien vous fermiez la bouche à l'ignorance des insensés. 16 Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu. 17 Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez le roi.
(1Pierre 2, 13-17)
Remarquons dans ces versets :
- Il faut honorer tout le monde.
- Le roi est une créature, il est honoré comme tout le monde.
Au verset 13, la Bible de Jérusalem met « *institution » mais il n'y a pas de raison de changer le mot grec, créature. L'auteur voir dans le roi et le gouverneur des créatures humaines. Il demande d'honorer tout le monde (v 17), et pareillement d'honorer le roi (v 17). Le roi n'a pas d'autre forme de déférence que « tous ».
Seul Dieu reçoit la crainte (religieuse).
Seuls les frères ont l'amour (agapè), qui est un lien d'amour entre ceux qui ont été régénérés d'En Haut (1 P 1, 1-3).
- L'attitude de foi. La soumission doit être vécue « à cause du Seigneur », c'est-à-dire dans un regard de foi (Dieu parle par les événements et par le prochain).
- La Liberté chrétienne. Pierre dit aussi qu'il faut agir en « homme libres » (1P 2, 16), ce qui pourra amener la dissidence (2).
Tous les chrétiens éventuellement souffrent parce qu'ils se différencient du milieu ambiant (2).
- Tous les chrétiens peuvent être amenés à souffrir pour leur foi et Pierre les exhorte à mettre à profit cette épreuve pour rendre compte de l'espérance chrétienne, par la parole (3, 15).
- Le Christ, avant nous, a mis à profit le passage pascal pour annoncer le salut aux plus durs de l'humanité, la génération du déluge (3, 18-22).
- La vie communautaire est un signe prophétique, elle anticipe la fin de ce monde de violence et de débauche dont les chrétiens se différencient et souffrent (4, 4).
3.13 Et qui vous ferait du mal, si vous devenez zélés pour le bien? 14 Heureux d'ailleurs quand vous souffririez pour la justice! N'ayez d'eux aucune crainte et ne soyez pas troublés. 15 Au contraire, sanctifiez dans vos cœurs le Seigneur Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous.
16 Mais que ce soit avec douceur et respect, en possession d'une bonne conscience, afin que, sur le point même où l'on vous calomnie, soient confondus ceux qui décrient votre bonne conduite dans le Christ. 17 Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si telle était la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal.
18 Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été vivifié selon l'esprit. 19 C'est en lui qu'il s'en alla même prêcher aux esprits en prison, 20 à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque temporisait la longanimité de Dieu, aux jours où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l'eau.
[...]
4, 4 ils jugent étrange que vous ne couriez pas avec eux vers ce torrent de perdition, et ils se répandent en outrages. 5 Ils en rendront compte à celui qui est prêt à juger vivants et morts. 6 C'est pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit.
(1Pierre 3,13 à 4,6)
Ainsi, évoquant la persécution comme un incendie, Pierre les encourage car le Christ est passé par là :
12 Très chers, ne jugez pas étrange l'incendie qui sévit au milieu de vous pour vous éprouver, comme s'il vous survenait quelque chose d'étrange.
13 Mais, dans la mesure où vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lors de la révélation de sa gloire, vous soyez aussi dans la joie et l'allégresse.
14 Heureux, si vous êtes outragés pour le nom du Christ, car l'Esprit de gloire, l'Esprit de Dieu repose sur vous.
(1Pierre 4, 12-14)
(1) Congrès de l'ACFEB, Etudes sur la première lettre de Pierre, Paris 1979, p. 54-61
(2) Cf. Paul BONY, La première épître de Pierre, Cerf, Paris 2004.
Françoise Breynaert