(Cf S. Luc,2, 40-52)
Quelques pas nous séparent des maisons qui, cachées derrière une haie de cactus, se confondent aux grisailles du rocher comme pour dissimuler leur pauvreté. Si le Village de l'Evangile a disparu, ces quelques maisons, accrochées à la pente raide du Djebel Es-ich, conservent encore la poésie champêtre de la Nazareth que Jésus, Marie et Joseph ont connue.
Les murs à chaux mélangée de terre font corps à la montagne et laissent passer la lumière par une ou deux ouvertures : une porte basse et parfois une petite fenêtre. A l'intérieur, une pénombre épaisse tamise les choses. Le plafond est noirci par la fumée tandis que le pavé en terre battue est devenu lisse sous le pas des habitants.
Planter des clous dans les murs est l'affirmation instinctive du propriétaire, mais ici les clous sont remplacés par des trous creusés à l'aventure pour y fixer une casserole ou une image pieuse. Dans un coin, trône sur un banc de terre l'indispensable jarre d'eau, avec la réserve de lait, d'huile et de miel. Quelques escabeaux voisinent un vieux canapé.
Le soir, les femmes déroulent les nattes qui servent de lit pour la nuit, ce qui complète le mobilier. Au fond de la maison s'ouvre une large grotte creusée dans la montagne. La lumière parcimonieuse d'un lumignon fumeux laisse deviner des instruments aratoires, de maigres pyramides d'oignons, de pommes de terre, de glands et de figues, une petite provision de bois, quelques outres et, dans le pavé, l'ouverture du silo où se conserve le blé.
Dans un angle, la grotte s'élargit vers une ouverture masquée par une palissade: c'est l'étable qui abrite un âne et une chèvre. L'habitation est complète. Parfois, une marquise faite de branches de palmier et enjolivée de plantes grimpantes, complète l'installation.
Sous cette toiture légère si favorable à la brise quand le soleil est de feu, la famille se délasse ou travaille: un vieillard y passe ses jours, une femme y file ou tisse une tente, un artisan y accomplit sa besogne quotidienne. Ainsi devait être la maison du charpentier Joseph dans ce pauvre village de la Galilée.
De la maison de Joseph....
Le récit de l'Evangile fait une distinction marquée entre la maison de Marie, lieu de l'Annonciation et de l'Incarnation, et la maison de Joseph avant leur mariage...
Quand Marie reçut l'annonce de l'ange elle était fiancée! Chez les Juifs, les fiançailles comportaient les droits et les devoirs du contrat de mariage plus strict que chez les Romains ou que chez nous encore aujourd'hui ; elles constituaient le début légal de la communauté, si bien que l'infidélité de la fiancée était considérée comme un adultère.
La mort du fiancé amenait le veuvage de la promise tandis que la rupture des fiançailles équivalait à un acte formel de divorce.
Cependant l'usage des gens pieux interposait souvent entre les fiançailles et le mariage un certain laps de temps - un an au plus, pour les vierges et un mois pour les veuves - où les fiancés habitaient chez leurs parents respectifs et préparaient leur installation commune. Ce délai d'un an était attaché à la reprise des terres par le couple qui aurait désormais son autonomie financière qui ne pouvait être préparée que du jour de la signature du contrat.
Les noces ne survenaient donc que comme l'expression de la solennité extérieure du contrat déjà conclu et ce jour-là la fiancée était conduite dans la maison commune, celle de son époux si elle venait chez lui, celle de la mariée si l'époux venait "en gendre".
... à celle de Marie, après le mariage
Or Joseph vit dans la maison de famille à Nazareth auprès de son frère cadet Alphée et doit avoir un atelier de menuiserie (son métier, alors que son frère cultive les terres de la famille).
Il est clair que, selon la tradition, Joseph doit s'établir pour la vie commune hors de cette ferme puisqu'il ne continue pas la culture.
Comme Marie est orpheline, elle a une maison et cette maison peut devenir leur maison commune à condition d'y inclure un atelier pour le métier de Joseph. Ces ateliers à Nazareth sont souvent construits sous forme de pièces annexes creusées dans le roc. C'est ce qu'on observe dans la maison de l'Annonciation où il y a des grottes antiques bien utiles pour le stockage des planches en attente de séchage complet.
Il ne fait pas de doute, dans les coutumes orientales, que les choses ont dû se passer ainsi et donc que la maison de l'Annonciation est aussi celle de Jésus enfant et de l'enfance de sa mère avant qu'elle aille au Temple.
Les évènements rapportés dans les textes évangéliques correspondent aux coutumes du temps
Le problème de la répudiation par Joseph et de la formulation des textes devient ainsi plus clair : il suffit à Joseph de rompre le contrat pour laisser Marie libre et chez elle sans avoir à la dénoncer. Pour cela il lui suffit de partir exercer son métier ailleurs, et de ne pas revenir ; il prend sur lui tout l'opprobre dans un comble de dévouement. Sa décision prise, l'ange lui apparaît et le rassure : "ne crains pas d'être un mari avec elle (selon la forme hébraïque) toi qui l'a acquise (par ta vertu !) (Mt 18, 1 et 20).
L'Evangile peint un tableau très fidèle de cette coutume: «Avant qu'ils eussent habité ensemble», Joseph s'aperçut que sa «fiancée» allait devenir mère. Perplexe, il se demandait s'il devait aller dans la maison commune ou s'en séparer légalement, quand un ange le rassura sur la conception surnaturelle.
Et Joseph fut celui qui "prend avec lui", c'est-à-dire qui est le mari auprès de son épouse : il va chez elle.
Alors Joseph quitta sa propre maison pour habiter celle de Marie qui devint le foyer habituel de la Famille à son retour d'Egypte.
Cependant les Occidentaux ignorant ces coutumes (pourtant courantes dans les villages traditionnels français) mélangèrent les deux maisons ou plutôt les trois : avec l'atelier de Joseph distinct de la ferme d'Alphée père de José, Simon, Jacques et Jude, les cousins germains (frèresen araméen) de Jésus.
L'histoire et la tradition ancienne confirment la distinction des deux maisons attestée par l'Evangile
Vers la fin du VIIe siècle, Arculfe (évêque franc et premier voyageur en terre ) visita Nazareth et fit déjà la confusion (incohérente pourtant avec la décision précédent le songe de Joseph). Il vit
« deux grandes églises: l'une au centre de la ville s'élevait sur l'emplacement de la maison dans laquelle Notre-Seigneur fut élevé; la seconde est construite au lieu de la maison où l'archange Gabriel est apparu à Marie et lui a parlé ».
L'allusion à une grande église distincte de celle de l'Annonciation est restée sans écho parce qu'aucun chroniqueur n'en rappelle le souvenir après le Vllè siècle. D'autre part saint Willibald (723-726) parle de la seule église de l'Annonciation (et pour cause).
Cependant son expression pourrait fournir une explication de la « grande église » disparue avec le Vllè siècle, quand il affirme que le sanctuaire de l'Annonciation
« dut être racheté plusieurs fois par les chrétiens pour empêcher qu'il ne soit livré à une démolition certaine ».
D'aucuns ont pu soutenir sur le témoignage du diacre Pierre, bibliothécaire du Mont Cassin qui, en 1137, écrivit une monographie des Lieux Saints en se fondant sur les itinéraires et récits des pèlerins, que la seconde « grande église » de Nazareth existait encore au Xllè siècle. Il a semblé aussi que le moine grec Phocas (1177) favorisait cette opinion en allant jusqu'à supposer une reconstruction par les croisés.
Cependant aucune de ces hypothèses n'a survécu aux recherches concluantes faites par le P. Donato Baldi. Quoiqu'il en soit, le sanctuaire dont l'existence est attestée par Arculfe, a dû être démoli vers la fin du Vllè siècle et aucune tradition ne confirme sa reconstruction.
Il semble plutôt que la tradition en sa faveur n'ait pas survécu à sa destruction. Elle s'estompa et perdit même sa précision locale car les croisés, sous l'influence évidente du Pseudo-Matthieu qui plaçait en un même lieu tous les souvenirs de l'Evangile ont abandonné la distinction des deux maisons pour concentrer leur piété sur le sanctuaire de l'Annonciation.
La faiblesse de la tradition laisse place à des doutes sérieux sur la localisation de notre sanctuaire de la -Famille. Cependant l'archéologie intervient efficacement pour reconstituer les données laissées par Arculfe qui affirme l'existence de l'église au centre de la ville.
Cette église s'élevait sur deux pilastres réunis par une arcade au-dessus de la fontaine publique de sorte que l'on pouvait tirer l'eau de l'intérieur même.
Les recherches entreprises pour localiser l'église byzantine partent de ces affirmations. Résumons les trois opinions qu'elles ont mises au jour:
1°) l'opinion imaginative :
celle qui a entraîné plus de partisans et ne manque pas d'agressivité se trouve dans une monographie anonyme où l'hypothèse s'efforce de rejoindre les bases de l'archéologie. Selon cette opinion, l'antique église dite de la «Nutrition» serait localisée là même où s'élève aujourd'hui le couvent des religieuses Dames de Nazareth. La découverte de deux tombeaux juifs en cet endroit indique clairement aux experts palestinologue qu'au temps du Christ cette zone, affectée à la sépulture, était située en dehors de la ville.
Or, un intérêt passionné continue à y considérer une preuve de l'existence de l'église décrite par Arculfe. Pour entraîner l'adhésion, on traduit le mot tumulus que le pèlerin Arculfe emploie dans le sens de pilastre, comme le prouve la littérature contemporaine, par le mot tombeau, ce qui ouvre la voie à toutes les possibilités. D'ailleurs, l'emploi de la traduction fautive va à l'encontre de la description d'Arculfe qui affirme nettement que le sanctuaire s'élève au centre de la ville tandis que la zone des sépulcres est située au sud-ouest.
Il convient de noter que cette opinion eut des partisans illustres mais dans le domaine archéologique le nom ne saurait suppléer à la carence des documents.
2°) autour d'une fontaine :
L'allusion à la fontaine publique amena Dressaire à supposer que le sanctuaire décrit par Arculfe s'élevait sur l'emplacement de l'église Saint Gabriel d'autant plus que des ruines byzantines semblaient lui en fournir la preuve.
Cependant la solution facile au premier abord ne supporte pas la critique parce que le sanctuaire s'élevait au centre de la ville tandis que la fontaine publique de Nazareth, au témoignage des pèlerins, était sise au nord et en dehors de la zone habitée. Les ruines byzantines retrouvées sur place ne sont que des matériaux réemployés qui provienne d'autres édifices.
Il semble que le point de départ de la discussion soit erroné: la fontaine publique reconnue par Arculfe n'a pas de relation avec les fontaines de Nazareth qui ne correspondent aucunement à la description.
En effet, le fait étrange d'une fontaine publique dans l'église permet de supposer que l'abbé Adamannus qui rédigea les notes du pèlerin Arculfe ait confondu la fontaine traditionnelle dont il ne parle point avec une citerne ou une vasque en usage dans les églises byzantines pour fins religieuses.
Au reste, cette solution correspond au récit anonyme rapporté par le diacre Pierre. S'il faut convenir que les informations recueillies par ce bibliothécaire bénédictin ne sont pas toujours précises, on ne peut pas tout de même rejeter les descriptions qu'il a simplement transcrites.
D'autre part, l'anonyme mentionne non pas une fontaine mais une citerne ou vasque creusée pour l'usage de la famille et plus tard incluse dans l'église parce que le Christ y avait puisé de l'eau ; puis il décrit ensuite la fontaine traditionnelle qui apparaît bien distincte de la vasque ecclésiale.
3°) L'église de la "Nutrition" serait la maison de Joseph, avant son mariage. Ce que confirment les données de la tradition
Si la tradition écrite du premier millénaire est très pauvre elle s'enrichit ensuite graduellement et fait revivre le souvenir de l'église byzantine.
Boniface de Raguse affirme en effet que, de son temps, on pouvait voir «les fontaines de la maison de Joseph dans laquelle le Christ fut élevé et nourri».
Il distingue imparfaitement les ruines de l'église Saint-Gabriel de celles de la maison de saint Joseph mais son contemporain Cootwick (1558) écrit que celle-ci se trouve à un jet de pierre du sanctuaire de l'Annonciation; tout doute est ainsi levé parce que l'église Saint-Gabriel était distante d'un kilomètre environ.
D'ailleurs, la même tradition locale est affirmée de nouveau un peu plus tard par Quaresmius qui réussit à la situer avec précision sur le site reconnu. Avec autorité, il remarque que les ruines s'accumulent à l'endroit que les habitants de Nazareth ont toujours appelé «maison ou atelier de saint Joseph».
Il reprend ainsi pour la fixer la tradition byzantine de «l'église de la Nutrition» que les Croisés avaient tenu en veilleuse à côté du sanctuaire de l'Annonciation mais dont les Nazaréens conservaient jalousement le souvenir.On voit bien ainsi que la Tradition des Nazaréens conserve là le souvenir de l'atelier de saint Joseph à côté de l'église sur la maison de l'Annonciation.
Puis, la tradition s'affirme sans interruption avec les Franciscains qui, en 1754, obtinrent des autorités turques de pouvoir y ériger une chapelle. Le champ de ruines byzantines ne fut entièrement acquis que peu à peu et au prix de difficultés inouïes. Des fouilles furent alors entreprises et le résultat de ces recherches scientifiques constitue le fondement de la troisième hypothèse et justifie devant l'archéologie la construction de l'actuelle «église de la Nutrition».
En effet, les travaux du P. Prosper Viaud ont démontré qu'au-dessous des édifices successifs il existe une grotte qui servait d'annexe à une habitation juive. En remontant le cours des âges au moyen des transformations du local en église, on rejoint une construction qui appartient sans nul doute au Vè ou au VIè siècle. Il devient évident que cette église fut construite en relation étroite avec la grotte parce que l'escalier qui y conduit débouche sur la nef centrale. Serait-ce l'église visitée par Arculfe?
La description qu'il en a laissée correspond parfaitement aux découvertes du P. Viaud. L'église s'élève au centre de la Nazareth byzantine; la crypte conserve la trace des pilastres qui soutenaient l'édifice tandis qu'entre eux fut trouvée une vasque ornée de mosaïque et de marbre; celle-ci correspond à la description fournie par le diacre Pierre.
«L'église que nous vénérons aujourd'hui à Nazareth, écrit le docte archéologue P. Viaud, est sans nul doute possible celle qu' Arculfe a visitée au VIIè siècle. Par suite, nous croyons que cela suffit pour accepter l'authenticité de ce sanctuaire».
Le sanctuaire de la Maison ou de l'Atelier de saint Joseph est l'un des plus chers parce qu'il conserve la mémoire du père adoptif de Jésus et du songe où l'ange expliqua tout à Joseph le "Juste".