Issues des travaux des orientalistes du 19ème siècle, l’islamologie et la recherche historique sur les origines de l’islam questionnent de plus en plus la véracité des traditions musulmanes
L’historiographie classique issue de ces dernières (qui professe la naissance de l’islam entre La Mecque et Médine, par la seule prédication de Mahomet) est mise en cause frontalement par l’application des méthodes hypercritiques expérimentées et éprouvées par les recherches sur les origines du christianisme et sur ses manuscrits. Les découvertes de témoignages historiques non conformes à l’historiographie musulmane classique se sont multipliées, ainsi que l'étude des manuscrits coraniques les plus anciens, avec l'appui d'autres analyses nouvelles qui convergent pour ébranler les certitudes des islamologues.
Les premières avancées datent du milieu du XXème siècle. On citera en particulier Alphonse Mingana, Henri Lammens, Hanna Zakarias et Maxime Rodinson
- Alphonse Mingana (+1937) fut un pionnier de la détection des soubassements araméens du texte coranique, ayant rassemblé une importante collection de manuscrits coraniques anciens (dont celui dit « de Birmingham », qui a défrayé la chronique lors de l’été 2016 à la suite de sa datation au carbone 14).
- Henri Lammens (+1937) a été parmi les premiers à appliquer la démarche historico-critique à l’islam et au Coran (Qui était Mahomet ? - 1910, réédition 2014).
- Gabriel Théry, alias Hanna Zakarias (+1957) a démontré ensuite les influences du judaïsme (qualifié à tort par lui de « rabbinique ») dans la fondation de l’islam et la formation de Mahomet (De Moïse à Mohammed (1955), Vrai Mohammed et Faux Coran - 1960).
- Maxime Rodinson en 1961 proposait une première biographie de référence de Mahomet en français à partir de sources non uniquement musulmanes, en démontrant la pauvreté des sources islamiques qui fondent la biographie officielle de Mahomet et les aspects « légendaires » de cette dernière (Mahomet - 1961).
Depuis les années 1980, l’existence même de La Mecque aux temps de Mahomet a été questionnée par Patricia Crone, dont les travaux placent les origines réelle de l’islam en Syrie.
- Patricia Crone a travaillé avec Michael Cook et publié Meccan trade and the Rise of islam en 1987. Ses études ont démontré l’impossibilité physique de l’existence d'une ville importante à La Mecque à l’époque de Mahomet selon ce qu’en décrivent les traditions musulmanes. Les travaux et excavations réalisés depuis à La Mecque l’ont confirmé par l’absence totale de vestiges archéologiques antiques ou datant de l’époque de Mahomet. Elle a mis aussi en avant également le contexte syrien (méditerranéen) de la prédication du Coran selon son texte lui-même.
- En 2013, Robert Kerr (The Language of the Koran « La Langue du Coran » - 2013) confirmera que le Coran a été écrit en Arabie pétréenne (Syrie), et non en Arabie déserte (La Mecque ou Médine).
Depuis les années 2000, des témoignages oubliés des tout premiers temps de l’islam ont été retrouvés, recensés et publiés, en particulier par Robert Hoyland et Alfred-Louis de Prémare.
- Robert Hoyland a publié en 1997 Seeing islam as Others Saw It: A Survey and Evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian Writings on Early islam (« L’islam comme il a été perçu par les autres : étude des témoignages chrétiens, juifs et zoroastriens sur les débuts de l’islam ») : c’est une recension critique des témoignages non-musulmans contemporains des premiers moments de l’islam dont ils rendent compte.
- Beaucoup contredisent l’orthodoxie islamique, sachant que cette dernière se fonde sur des textes dont les premiers exemplaires datent au moins de 200 à 250 ans après les faits.
- Alfred-Louis de Prémare publiera en 2002 Les Fondations de l’islam sur les mêmes thèmes.
A partir de 2004, Christoph Luxenberg met en évidence les liens d’une partie du texte coranique avec le substrat culturel hébréo-araméen, ce que d’autres études sont venues confirmer et préciser.
- Christoph Luxenberg, à la suite de Günter Lüling, a publié en 2004 Die Syro-Aramäische Lesart des Koran (« La Lecture Syro-araméenne du Coran ») qui a démontré que le Coran présente un soubassement araméen (syriaque). On y trouve des expressions typiquement araméennes rendant compte du contexte culturel d’origine hébréo-araméen qui était celui de sa composition, et la présence de mots et expressions araméennes translitérées directement en langue arabe, auxquelles leur interprétation dans un contexte arabo-arabe a fait perdre leur sens premier … Sens premier qu’il redécouvre avec l’araméen, restituant ainsi à certains passages obscurs du Coran leur clarté originelle (sans pour autant parvenir à convaincre que le texte coranique proviendrait de traductions directes de textes araméens).
- En 2009, Manfred Kropp confirmera le contexte syriaque (araméen) de l’écriture du Coran et montrera qu’elle fut réalisée au fil d’une entreprise d’écritures et de réécritures aux 8ème et 9ème siècles (Vom Koran zum islam: Schriften zur frühen islamgeschichte und zum Koran « Du Coran à l’islam : témoignages épigraphiques de la primo-histoire de l’islam et du Coran »).
- En 2014, Leila Qadr et Arrun Amine Saad Edine publient Les 3 Visages du Coran, un travail de recension des travaux de chercheurs dévoilant les diverses sources auxquelles ont emprunté les auteurs du Coran (comme par exemple Guillaume Dye dans Figures Bibliques en islam en 2012,et Partage du Sacré, en 2013) : midrash, traditions juives, Torah et livres sacrés juifs, évangiles chrétiens et textes apocryphes, homélies, contes et légendes, traités de médecine, récits historiques ...
En 2005, Edouard-Marie Gallez a proposé une synthèse du vaste dossier rassemblé par la recherche islamologique dans un cadre conceptuel global qui en explique tous les éléments, et replace l’apparition de l’islam dans le temps long de l’Histoire.
- Ayant travaillé sur les manuscrits de la Mer Morte et les courants politico-religieux du 1er siècle en Judée, Edouard-Marie Gallez a été frappé de leurs similitudes avec l’islam. Il mènera alors des recherches montrant que certains de ces courants (judéonazaréens) avaient pu perdurer au fil de l’Antiquité, jusqu’à transmettre leurs idées et espérances messianistes à des Arabes christianisés. Il y voit les origines historiques réelles de l’islam, origines que la rupture d’alliance entre Arabes et judéonazaréens survenue au 7ème siècle a occultées, mais dont les textes et traditions de l’islam conservent malgré eux la preuve et le souvenir. Il y a ainsi eu plusieurs périodes qui se sont succédées dans la formation de l’islam :
- un « pré-islam », c’est-à-dire le mouvement politico-religieux des judéonazaréens
- un « proto-islam », celui de l’alliance entre judéonazaréens et Arabes
- un « primo-islam » qui lui fait suite et qui voit la formation progressive de l’islam comme corpus religieux autonome sous l’autorité des califes. Il a emprunté principalement aux espérances messianistes judéonazaréennes, mais d’autres influences ont pu aussi s'exercer : culture persane, juive, nécessités nouvelles imposées par l’administration de empire califal, aux composantes religieuses hétérogènes.
La fixation définitive de l’islam est intervenue aux 9ème, 10ème et même 11ème siècles (premiers textes de la tradition, premiers manuscrits coraniques complets, imposition du dogme du Coran incréé en 847, fixation du texte coranique par les vizirs Ibn Muqla et Ibn Isa en 933, fermeture des portes de l’ijtihad en 1029…).
- Cette synthèse fit l’objet d’une thèse de doctorat en 2004, et de la publication en 2005 de deux volumes de 1000 pages, très documentés, sous le titre Le Messie et son prophète.
- En 2014, Odon Lafontaine (Olaf) publie Le grand secret de l’islam qui synthétise, vulgarise et développe la thèse du Père Edouard-Marie Gallez avec l’apport des dernières recherches en islamologie, celles-ci venant en effet s’inscrire et préciser le cadre qu’il a proposé.
Depuis 2005, les publications de découvertes et études nouvelles sur les origines de l’islam se succèdent et leurs conclusions convergent.
- Tom Holland publie en 2013 In the Shadow of the Sword: The Battle for Global Empire and the End of the Ancient World (2013) (« A l’Ombre de l’Epée : la Bataille pour l’Empire Universel et la Fin du Monde ancien ») qui décrit l’invention du prophétisme de Mahomet dans le contexte de la guerre civile arabe d’après 650 (ouvrage de vulgarisation), puis sa formation guidée par la logique impériale des califes.
- En 2013 toujours, Mehdi Azaiez, membre du Corpus Coranicum (initiative interuniversitaire d’étude des manuscrits coraniques anciens pour la publication – toujours à venir - d’une première édition critique du Coran) dirige la publication de l’ouvrage Le Coran, Nouvelles Approches : y est détaillée l’existence des milieux politico-religieux appelés « Antiquité tardive », travaillés par les courants juifs rabbiniques, messianistes-apocalyptiques, chrétiens et chrétiens hérétiques. Ils ont précédé l’islam, et le Coran est à considérer comme un de leurs fruits.
- Deux ans plus tard, en 2015, Guillaume Dye publie The Qur'an and its Hypertextuality in Light of Redaction Criticism, (« Le Coran et son hypertexte à la lumière de la critique sur sa rédaction ») qui met en évidence la construction progressive du Coran (y compris en milieu califal) par des emprunts multiples aux influences politico-religieuses des milieux où il a été écrit.
- En 2013, Robert Kerr publiait son étude (The Language of the Quran, citée ci-dessus) pointant les origines du Coran en Syrie et non dans la région de Médine et La Mecque.
- En 2014, Jean-Jacques Walter a appliqué la théorie des codes au texte coranique, une méthode complexe d’analyse mathématique, pour en produire une analyse systémique. Il a ainsi démontré la pluralité de ses auteurs, son écriture sur plusieurs siècles par empilement (et correction-réécritures) de couches successives.
- En 2011, Dan Gibson avec son livre Quranic Geography (Géographie du Coran), puis son film de 2016, The Sacred City (la ville sacrée) confirmait les analyses de Patricia Crone sur la question mecquoise, l’inexistence de la ville au temps de Mahomet et sa fondation tardive par les califes.
- Toutes recherches, et bien d’autres encore, venant s’inscrire dans le cadre proposé par Edouard-Marie Gallez et le préciser – en l’occurrence en attribuant à la ville de Pétra, vers laquelle pointent toujours les qibla (direction de la prière) d’une écrasante majorité des mosquées anciennes, jusqu’en 822.