Il faut associer la Rédemption
- à la souffrance de la croix,
mais aussi:
- à la joie,
- à toute l’existence,
- et à la Résurrection.
C'est ce qu'explique le concile dans la Constitution dogmatique sur l'Eglise (LG) dont le poids dogmatique est considérable (LG 52, 53[1] et 56-59) et dans le Décret sur l'apostolat des laïcs[2].
Le mystère de la « Rédemption » atteint un sommet au calvaire, mais il inclut toute la vie du Christ. C'est pourquoi, le concile décrit les actes qui, depuis l'incarnation jusqu'à la mort sur la croix, montrent la Mère unie étroitement à l'œuvre rédemptrice du Fils (cf. LG 61).
Dès l'Incarnation
Par l'Incarnation, Dieu se révèle. L'homme a de nouveau accès à Dieu, il peut le connaître, l'aimer, vivre dans la lumière. C'est « la clé de la Rédemption » : si Jésus n'est pas Dieu, rien des mystères lumineux, douloureux et glorieux ne révèle Dieu, rien n'est Rédempteur.
Dès l'Annonciation, Marie est la servante du Seigneur « pour servir, dans sa dépendance et avec lui, par la grâce du Dieu tout-puissant au mystère de la Rédemption » (LG 56). Les anges annoncent aux bergers la naissance du Sauveur, c'est l'annonce d'une « grande joie » (Lc 1-2).
Le concile, outre le moment de l'Incarnation, indique quatre autres moments où Marie est associé au Rédempteur : la visitation, la nativité, la présentation au temple, le recouvrement de Jésus au temple (LG 57). Ailleurs, Jean Paul II précise encore : « Grâce à son atelier où il exerçait son métier en même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption. »[3]
Durant le ministère public de Jésus
Le ministère public de Jésus est une « œuvre de rédemption »
Jésus révèle Dieu, il apporte le pardon de Dieu comme une nouvelle création, il enseigne quelle est la volonté de Dieu et comment chacun de nous doit agir pour collaborer à sa propre rédemption.
Le ministère public de Jésus commence quasiment avec les Béatitudes « Heureux... » (Mt 5), et dans l'évangile de Jean, le premier signe de Jésus consiste à donner en surabondance le vin de la fête à Cana (Jn 2). La rédemption est joie. Dieu est joie, joie en lui-même par sa perfection divine, et joie dans sa relation aux hommes chaque fois qu'un pécheur se convertit. Marie a agi comme mère de la joie aux noces de Cana, et il en est aujourd'hui de même. Même en butte à des oppositions, dès le début de son ministère (Mc 3), Jésus n'est pas sans une secrète allégresse, à cause de son amour et de l'union à Dieu son Père. Jésus avait prononcé la Béatitude « Heureux êtes vous si l'on vous persécute... » (Mt 5, 10) : ne l'aurait-il pas vécu ? Bonheur et martyre ne sont pas séparés.
Vatican II indique explicitement trois manifestations de l'association de Marie à la vie publique de son Fils Rédempteur :
- « Dès le début, quand aux noces de Cana en Galilée, touchée de pitié, elle obtint par son intercession que Jésus le Messie inaugurât ses miracles (cf. Jn 2,1-11). »
- « Au cours de la prédication de Jésus... ». Le concile met en valeur la foi de Marie, son écoute docile de la parole de Jésus, son obéissance.
- « ... jusqu'à la croix où, non sans un dessein divin, elle était debout (cf. Jn 19,25), souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour, pour être enfin, par le même Christ Jésus mourant sur la croix, donnée comme sa Mère au disciple par ces mots: "Femme, voici ton Fils" (cf. Jn 19,26-27) » (Vatican II, LG 58).
A la croix
« … jusqu’à la croix où, non sans un dessein divin, elle était debout (cf. Jn 19,25), souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d’un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour, pour être enfin, par le même Christ Jésus mourant sur la croix, donnée comme sa Mère au disciple par ces mots: "Femme, voici ton Fils" (cf. Jn 19,26-27) ». (LG 58)
Le concile donne un grand éclairage à la question de la « corédemption », et donc aussi aux questions devant la souffrance. La souffrance peut écraser l’homme, le détruire. Or Marie est restée debout, elle a retourné la souffrance en une offrande, en un acte d’amour :
Marie « était debout » non seulement physiquement mais dans sa foi au Fils de Dieu qui mourait. Telle est l’interprétation de la tradition latine depuis saint Ambroise.
« souffrant cruellement avec son Fils unique » Bien qu’elle soit déchirante, le concile ne parle pas de la douleur de Marie, mais plutôt de sa participation à la douleur de son Fils, physique, morale et spirituelle. (Le texte latin dit : « Cum Unigenito suo condoluit »).
« associée d’un cœur maternel à son sacrifice » : Marie participe aussi à l’intention de son Fils, à son intention oblative. La mort en elle-même n’est pas un sacrifice, pour qu’elle devienne un sacrifice il faut au moins deux choses : la volonté du Père qui veut cette mort comme un sacrifice et la volonté humaine qui la consomme en obéissance au Père. C’est ici que Marie touche le sommet de sa participation à l’œuvre rédemptrice : par la foi elle s’unit à l’intention de son Fils, elle vit son crucifiement comme un le sacrifice qui nous sauve. Et elle lui est « associée d’un cœur maternel » : avec la force et la fidélité qui lui vient de son état de Mère de Dieu.
« donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour ». Le terme immolation rappelle le sacrifice d’Isaac et l’immolation de l’agneau pascal. Bien que cette immolation advienne dans des atrocités barbares, Marie consent. Marie consent même avec amour, ce qui est stupéfiant. Ce que Marie aime, c’est notre salut. C’est la foi qui coopère au salut, et la foi agit par la charité.
« pour être enfin, par le même Christ Jésus mourant sur la croix, donnée comme sa Mère au disciple par ces mots: "Femme, voici ton Fils" (cf. Jn 19,26-27) ». Le concile ne donne pas de commentaire parce que l’exégèse n’avait pas encore atteint un consensus suffisamment unanime. Il n’a donc pas gardé l’incise concernant le disciple « figure des fidèles ». Cela n’enlève rien à l’autorité des papes qui jusqu’à Jean Paul II l’ont interprété ainsi.
Il faut noter enfin que rien d’advient sans une obéissance au dessein divin. Aucune coopération au salut ne peut être offerte sans que le Père ne le veuille et le demande.
Les saints disent parfois aimer la souffrance, parce que la souffrance manifeste combien ils aiment le royaume. En fait, ils aiment le royaume de Dieu et la vie et immaculée, ils aiment la vérité, le bien, la justice, la création de Dieu, mais ils rencontrent l'opposition à l'Amour...
La souffrance est l'occasion de prouver son amour, et, en ce sens, elle est désirable, en tant que possibilité d'une manifestation de l'amour.[4]
Mais l'amour chrétien se définit par son orientation vers la vie incorruptible[5].
Or, la souffrance, même si elle est le lieu de la glorification, demeure liée au monde créé : passagère, elle n'est pas éternelle, elle n'est pas le but ultime du désir chrétien.
Souvenons-nous du récit de la Passion selon saint Jean, il est tout orienté vers la gloire : la gloire biblique est lumineuse, lourde de présence et de vie.
La rédemption triomphe dans la résurrection de Jésus. Le monde est aimé au-delà de son péché, la lumière continue de lui être offerte. La résurrection du Christ est une joie ineffable qui réchauffe les cœurs et les rend tout brûlants, une joie communicative et missionnaire (Lc 24, 32).
La liturgie[6] a voulu associer Marie au samedi, en tant que la médiatrice entre le vendredi (jour de la triste souffrance), et le dimanche (jour joyeux de la résurrection). Autrement dit, Marie est celle qui oriente le désir vers la vie, celle qui donne le sens juste de la Rédemption.
[1] Par l'expression « Mère de Dieu et du Rédempteur » (LG 53), le concile affirme que Marie est la mère de Jésus (le Verbe) en vue du salut, dans la perspective de la rédemption.
[2] « La Bienheureuse Vierge Marie, Reine des Apôtres, est l'exemple parfait de cette vie semblable à celle de tous, remplie par les soins et les labeurs familiaux, Marie demeurait toujours intimement unie à son Fils et coopérait à l'œuvre du Sauveur à un titre absolument unique. » Vatican II, Décret sur l'apostolat des laïc, Apostolicam Actuositatem, § 4
[3] Jean Paul II, Exhortation apostolique Redemptoris Custos §22
[4] Ainsi Jean Paul II : « Les paroles de la prière du Christ à Gethsémani prouvent la vérité de l'amour par la vérité de la souffrance. Les paroles du Christ confirment en toute simplicité cette vérité humaine de la souffrance, jusqu'au fond: la souffrance, c'est subir le mal, devant lequel l'homme frémit. Il dit: « Qu'elle passe loin de moi! », précisément comme le Christ l'a dit à Gethsémani. » (Lettre apostolique Salvifici Doloris §18)
[5] Cf. Origene, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, dans SC 375, tomes I et II, par L. Bresard et H. Crouzel, Le Cerf, Paris 1991, Livre I, 4,29 ; Tome I, p.239 ; Livre III, 5, 20 ; Tome II, p.537 ; Livre I, 4,26 ; Tome I, p.237.
[6] Alcuin, Supplément d'Alcuin : PL 101, 455-456 ; Humbertus de Romanis, In Quare b.Virgini sabbatum dicatur. De vita regulari, II, pp. 73-75
Extraits de F. Breynaert, A l'écoute de Marie, tome II, préface Mgr Rey,
Brive 2007, (diffusion Mediaspaul), p. 91-94