Kyrios, Seigneur.
L'Ancien Testament appelle Dieu « YHWH Sabaot », en hébreu « Adonaï », en grec « Seigneur [Kyrios] ». Par exemple :
« Et le peuple suppliait le Seigneur [Kyrios] Très-Haut. » (Si 50, 19)
« Toute sagesse vient du Seigneur [Kyrios]. » (Sg 1,1)
« YHWH mon Seigneur [Kyrios], force de mon salut. » (Ps 140, 8)
Paul écrit en grec, et quand il cite l'Ancien Testament ou précise une citation, il utilise pour Dieu le mot « Kyrios ». Prenons un exemple :
On lit en Isaïe « Oui, c'est par des lèvres bégayantes et dans une langue étrangère qu'il parlera à ce peuple. » (Isaïe 28, 11)
Paul cite ce passage et écrit : « Il est écrit dans la Loi: C'est par des hommes d'une autre langue et par des lèvres d'étrangers que je parlerai à ce peuple, et même ainsi ils ne m'écouteront pas, dit le Seigneur [en grec : Kyrios] » (1Co 14, 21).
Parfois Paul applique à Jésus d'autres citations de l'Ancien Testament qui originellement évoquaient Dieu, et il utilise pour Jésus le titre de Seigneur, en grec Kyrios : Rm 10, 13 (Jl 3, 5) ; 1Co 1, 31 (Jr 9, 22-23), etc. L'exemple le plus frappant se trouve dans l'hymne aux Philippiens : Ph 2, 10-11 s'approprie Is 45, 23-25 :
« Oui, devant moi tout genou fléchira, par moi jurera toute langue en disant: En YHWH seul sont la justice et la force. » (Isaïe 45, 23-24)
« Que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 10-11)
Or saint Paul n'éprouve pas le besoin de justifier et d'expliquer l'étonnant contenu de l'hymne aux Philippiens, il utilise l'hymne pour stimuler le comportement chrétien. Le fait de ne pas s'expliquer témoigne que la dévotion à Jésus était déjà familière : Paul ne l'a pas inventé, il l'a reçue.[1]
Marana tha !
En 1Co 16, 22, saint Paul utilise la formule liturgique araméenne « Maranatha » (Notre Seigneur, viens !) C'est une invocation adressée à Jésus glorifiée, pour qu'il vienne dans la liturgie, ou qu'il hâte sa venue eschatologique.
Le fait que Paul utilise cette formule sans l'expliquer signifie que la formule était déjà ancrée chez les chrétiens de langue araméenne pour avoir un certain air de tradition et servir à réunir les croyants.
Cette formule rapproche les nouveaux convertis de Paul (des Grecs) aux chrétiens anciens, issus du judaïsme et de langue araméenne.[2]
Paul connaît la chrétienté juive de Judée, il oriente ses convertis vers elle.
Plusieurs passages montrent que Paul oriente ses convertis vers la chrétienté de Judée :
- En 1 Thess 2, 14, il est intéressant de voir que Paul prend comme exemple les Eglises de Judée car il aurait pu désigner des Eglises bien plus proches :
« Vous vous êtes mis, frères, à imiter les Eglises de Dieu dans le Christ Jésus qui sont en Judée » (1Thess 2, 14)
- En 1Co 9, 3-6 Paul parle de Pierre et des apôtres sans expliquer davantage, ce qui suppose que les Corinthiens savaient qui ils étaient et quel était leur statut.
- Paul encourage une généreuse offrande pour l'Eglise de Judée (2Co 8-9).
Il est utile de remarquer que Paul oriente ses convertis vers l'Eglise de Jérusalem, et non pas vers l'Eglise d'Antioche ou de Syrie[3]. Galates 2, 1-10 témoigne d'une tension avec certains judaïsant sur la manière d'accueillir les païens, c'est-à-dire sur ce que signifiait la foi au Christ dans le contexte du judaïsme, mais rien dans le Nouveau Testament n'indique une tension entre Paul et les autres sur la dévotion au Seigneur Jésus[4].
Conclusion :
Puisque Paul oriente ses convertis vers l'Eglise de Jérusalem, il est vraisemblable que les expressions liturgiques araméennes - l'appel à Jésus « Marana tha » (1Co 16, 22) - l'appel « Abba » (Ga 4, 6 et Rm 8, 15) - viennent des milieux judéens, de Jérusalem[5], là où se trouvent les premiers disciples et les apôtres (Ac 1-8).
Saint Paul n'a rien inventé.
Le culte envers Jésus, considéré comme Dieu, a précédé saint Paul.
Ce culte envers Jésus vient des premiers disciples et des apôtres.
[1] Cf. Larry W. Hurtado, Le Seigneur Jésus Christ, La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme. Cerf, Paris 2009, p. 124-125
[2] Cf. Ibid., p. 122-123
[3] Cf. Ibid., p. 167-170
[4] Cf. Ibid., p. 175
[5] Cf. Ibid., p. 184
Synthèse Françoise Breynaert