Charles le Chauve (823-877) est un des petit-fils de Charlemagne qui procèdent au partage de l'Empire en 843. Il devient empereur d'Occident en 875.
Sa dévotion toute particulière pour la Vierge se traduisit dans la fondation du monastère -Marie de Compiègne, le 5 mai 877.
Un monastère offert à la Vierge Marie, pour le royaume.
Dans le préambule de l'acte de fondation, il dit ceci (en employant le « nous » de majesté) :
« Nous nous décidons... à construire dans le palais de Compiègne, en l'honneur de la glorieuse mère de Dieu et perpétuellement Vierge Marie, un monastère auquel nous donnons le titre de royal ; avec l'aide du Seigneur, nous le dotons de nombreuses offrandes ; nous décrétons que, dans ce monastère, des clercs au nombre de cent n'auront de cesse d'implorer la miséricorde du Seigneur pour la fermeté de la Eglise de Dieu, pour nos parents et nos ancêtres, pour nous, notre épouse, notre descendance ainsi que pour la stabilité de tout le royaume »[1].
Cet acte de fondation parle de la Vierge Marie avec profondeur. [2]
L'extrait du préambule de l'acte de fondation que nous venons de citer suppose une réflexion sur les fondements du pouvoir, en lien avec la maternité royale de la Vierge Marie.
Ce texte évoque aussi la continuité de la lignée de Charles le Chauve, depuis ses ancêtres jusqu'à ses descendants : la figure de Marie, mère de Dieu fait homme a stimulé la réflexion généalogique.
Marie n'est pas simplement un modèle de conduite sur le chemin étroit des fins dernières, elle a d'abord une dimension cosmique dans l'ordre du monde : la prière a pour but la stabilité de tout le royaume.
Pourquoi cent clercs ?
Cent est un chiffre parfait, qui fonde les dimensions idéales du temple d'Ezéchiel (Ez 40,19), comme l'a noté Y. Christe[3].
A la même époque, l'archevêque de Reims, Hincmar, compose un poème de cent vers en l'honneur de la Vierge et termine en disant :
« J'ai composé ce petit opuscule en cent vers car le nombre cent est produit par la multiplication par lui-même de dix, chiffre du décalogue. Et de même que le Décalogue s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain, de même on parvient assurément, par cette double dilection, à la vie éternelle signifiée par le chiffre cent. »[4]
Une rotonde mariale.
Le sanctuaire de ce monastère -Marie de Compiègne, comme à Aix la Chapelle ou à Saint Pierre de Flavigny et ailleurs, est doté d'une rotonde. Certains historiens de l'art ont rapproché ce choix du modèle de rotonde offert par le tombeau de la Vierge à Jérusalem. il semble qu'il faiille surtout associer de telles rotondes mariales à la multiplication des autels lié au développement des messes votives et des messes privées : le culte de Marie est à la fois magnifié et individualisé[5].
Les monastères royaux et la décadence monastique.
L'époque carolingienne prendra la mesure du risque pris à faire dépendre les monastères du pouvoir laïc (que ce soit en dépendance des rois ou des seigneurs).
Certes, le démantèlement de l'empire carolingien laissera les monastères aux prises avec les envahisseurs et les moines auront besoin de la protection des princes laïcs.
Mais les princes abuseront :
- ils nommeront les abbés qui n'auront souvent que les ordres mineurs (ce qui ne les engage pas à grand chose) ;
- ils exigeront le droit à l'hospitalité, venant loger dans le monastère avec leur famille, leur suite, leurs chevaux, jusqu'à priver les moines du nécessaire ;
- les moines étant leur vassaux, ils seront aussi appelés à participer aux expéditions militaires.
Bref, la vie monastique perdra son identité, jusqu'à la réforme de Cluny et au X° et XI° siècle, quand les princes rendront les abbayes aux moines ![6].
[1] Recueil des chartes de Charles II le Chauve, roi de France, 3 vol, éd. G. Tessier, Paris 1943-1955., II, p. 451
[2] cf. Dominique Iogna-Prat, « Le culte de la Vierge sous le règne de Charles le Chauve », dans Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale, Beauchêne, Paris 1996, p. 65-70
[3] Y. Christe, Marie de Compiègne et le temple d'Ezéchiel, dans Jean Scot Erigène et l'histoire de la philosophie, éditions Roques, Paris 1977, p. 477-481.
[4] Hincmar, Carmen de Beata Maria, MGHn PAC, Berlin 1896, p. 412. cité par Iogna-Prat, op. cit
[5] cf. Christian Sapin, « L'origine des rotondes mariales », dans Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale, Beauchêne, Paris 1996, p. 295-312.
[5] E. AMMAN, A DUMAS, Histoire de l'Eglise tome VII, sous la direction de A. FLICHE et V MARTIN, L'Eglise au pouvoir des laïques, Bloud&Gay, Paris 1942, p. 291-316
F. Breynaert