Syméon fait d’abord à Marie et Joseph une révélation concernant Jésus et se référant aux prophéties d’Isaïe : il sera la lumière pour éclairer les nations, la gloire d’Israël son peuple. Son père et sa mère s’émerveillent. Et Syméon clarifie la révélation, la lumière pour les nations passe d’abord par Israël, elle sera acceptée ou refusée :
« Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère: "Vois! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël; il doit être un signe en butte à la contradiction, - et toi-même, une épée te transpercera l'âme ! -- afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs." » (Luc 2,34-35)
Quel est le sens de cette épée?
L’épée est d'abord la parole de Dieu. Le serviteur souffrant dit : le Seigneur « a fait de ma bouche une épée tranchante » (Is 49,2).
Plus tard, quand la communauté hébraïque est menacée de destruction par l’hellénisme, elle résiste en demeurant fidèle à la Parole de Dieu qui est sa véritable arme, sa véritable épée : Judas Maccabées a la vision de Jérémie, le prophète, l’homme de la parole qui lui donne une « épée d'or » en disant « "Prends ce glaive saint, il est un don de Dieu, avec lui tu briseras les ennemis." » (2Macc 15,15-16).
Le Targum Ct 3,8 : le verset du Cantique dit que « chacun porte son épée à son côté » . Le targum paraphrase : « les prêtres, les lévites et toutes les tribus d’Israël ont au poing les préceptes de la loi qui sont comme une épée… et ils portent le signe de la circoncision… ».
De nombreux midrash expliquent que les consonnes du mot épée sont les mêmes consonnes du mot Horeb (le mont Sinaï) où fut donnée la Torah. Le midrash explique de cette épée qu’elle a deux tranchants de multiples façons, par exemple parce que la Torah est écrite et orale.
Chez saint Luc, au seuil de la passion, Jésus invite à vendre son manteau et à prendre chacun un glaive (Lc 22,36), mais Jésus n’entend pas l’épée au sens matériel (Lc 22,50); il invite à prendre l’épée de la Parole de Dieu pour avoir le discernement spirituel et ne pas tomber en tentation.
L'épée de la Parole de Dieu
Nous lisons encore dans le Nouveau Testament :
« Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. » (He 4,12) ; et parmi les armes du combat spirituel, « le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu. » (Ep 6,17).
Dans l’Apocalypse, le Christ apparaît comme un cavalier avec une épée, sa parole (Ap 1,16 ; 2,16 ; 19,15.21).
Dans la tradition chrétienne, le texte de l’Evangile (Luc 2,35) signifie que Marie est traversée par la parole de Dieu dans toute sa vie, parole qui produit la louange, l’exultation, l’intelligence, la sérénité, la foi mais aussi la douleur ; le glaive signifie la parole de Dieu, le dessein de Dieu, qui englobe toute la mission de Marie, y compris sa douleur, de même qu’Isaïe contient aussi les prophéties du serviteur souffrant ; cette interprétation est la plus vaste et la plus ancienne.
La tradition chrétienne reprend souvent ce symbolisme :
- pour saint Ambroise, l’épée symbolise toute la parole de Jésus, tout le dessein de Dieu, et le Fiat de Marie dure toute sa vie;
- de même, Rupert de Deutz, Adam Scot s’appuient sur He 4,12. Origène s’appuie sur He 4,12 et le rapproche du scandale de la Passion;
- un tableau de Giovanni di Paolo, « Madonna del Manto »[1] représente Marie, très grande, beaucoup plus grande que les autres personnages, parce que le Seigneur fit en elle de grandes choses. Elle est debout et sur sa tunique est dessinée une grande épée portant les évangélistes.
Cette parole de Jésus suscite l'opposition et Jésus va mourir martyr...
La prophétie de Syméon annonce cette contradiction, et voit Marie associée au destin du Fils. Comme mère du Messie, elle partage l'hostilité qu'il reçoit.
La tradition chrétienne a surtout accentué cet aspect et l'a mis en relation avec le récit de la Passion de Jean : l’épée est la douleur de Marie quand Jésus est transpercé sur la croix. (Augustin, Bède le vénérable, les médiévaux en général et chez de nombreux orientaux tels que Cyrille d’Alexandrie, Jean Damascène, Nicolas Cabasilas…)
[1] Giovani di Paolo, Madonna del Manto (1431), Siena. San Clemente ai Servi.
Bibliographie :
Nuovo Dizionario di Mariologia, a cura di Stefano de Fiores e Salvatore Meo, ed. Paoline, Milano 1985, quarta stampa 1996, pp.237-240
A.SERRA, La profezia di Simeone (Lc 2,34-35) nella tradizione greco-latina dei secoli II-XIV Contenuti e proposte, in Marianum 60 (1998) cf pp. 309-311 ; 377-381 ;
A.SERRA, La Spada : simbolo della Parola di Dio, nell’Antico Testamento biblico-giudaico e nel Nuovo Testamento, in Marianum 63 (2001), pp. 17-89
A.VALENTINI, Il secondo annuncio a Maria, in Marianum 50 (1988), pp.290-322
G. ROSSE, Approcci esegetici al testo della presentazione, in Theotokos 6 (1998), pp 17-30)
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A. Serra