La mort de Jésus pour la multitude et son joyeux message vont ensemble.
Les paroles de la Cène comportent une annonce de la mort expiatrice de Jésus, ce qu'une bonne partie des théologiens modernes rejettent comme étant en contradiction avec la première annonce par Jésus du Royaume de Dieu.[1]
Benoît XVI apporte une réponse nuancée :
Des exégètes éminents supposent que, « dans un premier temps, Jésus a proposé généreusement le message du royaume de Dieu et du pardon donné sans conditions, et que, devant prendre acte de l'échec de cette proposition, il a ensuite identifié sa mission à celle du Serviteur de Dieu. Il aurait reconnu que, après le refus de son offre, il ne restait que le chemin de l'expiation vicaire. » [2]
Benoît XVI commente : « En soi, un tel développement, c'est-à-dire l'entrée dans une nouvelle voie de l'amour après l'échec d'une première offre, selon toute la structure de l'image biblique de Dieu et de l'histoire du salut, est certainement possible. Elle fait partie des chemins de l'histoire de Dieu avec les hommes. » [3]
Il précise qu'il n'est pas possible « d'établir une chronologie de l'annonce de Jésus. » [4] et affirme : « Il n'y a pas de contradiction entre le joyeux message de Jésus et son acceptation de la croix comme mort pour la multitude. » [5], ce que nous allons expliquer maintenant.
Les récits de la Cène selon Marc, Matthieu, Paul et Luc.
Chez Marc et Matthieu, le sang est sujet « ceci est mon sang », alors que Paul et Luc disent : ceci est « la nouvelle alliance en mon sang ».
En, outre, Marc et Matthieu parlent du sang répandu « pour une multitude », faisant allusion par-là à Isaïe 53, 12, alors que Paul et Luc disent « pour vous », laissant ainsi penser immédiatement à la communauté des disciples. » [6]
Il y a donc de légères différences qu'il faut expliquer :
« Marc et Matthieu parlent simplement du sang de l'alliance, faisant allusion par-là à Exode 24, 8, c'est-à-dire à la conclusion de l'Alliance au Sinaï, Paul et Luc parlent de la « Nouvelle Alliance », se référant ainsi à Jérémie 31, 31.
L'Alliance a été rompue par le péché. « L'injustice, le mal comme réalité, ne peut pas être simplement ignoré, ne peut être laissé là. Il doit être éliminé, vaincu. C'est là seulement la vraie miséricorde. Et puisque les hommes n'en sont pas capables, Dieu s'en charge maintenant.» [7]
Et c'est alors que nous comprenons la référence à la mission de Jésus comme Serviteur Souffrant (Isaïe 53, 12) dans l'institution de l'Eucharistie selon Marc et Matthieu :
Et c'est dans la même perspective que Luc et Paul font à la « nouvelle Alliance », irrévocable (Jérémie 31, 31-33).
La nouvelle Alliance est une Alliance irrévocable, stable car comme dit aussi saint Paul : « si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tm 2, 13). [8]
De la Cène à l'Eucharistie du dimanche matin
« Avec les parles et les gestes de Jésus, l'élément essentiel du nouveau culte avait bien été donné, mais une forme liturgique définitive n'avait pas encore été établie. » [9]
Une chose est sûre, le culte que Jésus a instauré ne se réduit pas à ses paroles de consécration : « les paroles de consécration apparaissent comme une partie de sa berakha, de sa prière d'action de grâce et de bénédiction [...] Jésus a rendu grâce pour le don de la Résurrection, et, sur la base de celle-ci, déjà à ce moment, dans le pain et le vin, il pouvait donner son corps et son sang comme gage de la Résurrection et de la vie éternelle (cf. Jn 6, 53-58). [...] Puisque le don de Jésus est essentiellement un don enraciné dans la Résurrection, la célébration du sacrement devait nécessairement être reliée à la mémoire de la Résurrection. »
Or, la première rencontre avec le Ressuscité avait eu lieu le premier jour de la semaine, le dimanche matin, premier jour de la semaine... et c'est sans surprise que nous lisons dans le livre des Actes : « Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain... » (Ac 20, 7).
Benoît XVI conclut : « Un archaïsme qui voudrait retourner avant la Résurrection et à sa dynamique pour imiter seulement la dernière Cène, ne correspondrait pas du tout à la nature du don que le Seigneur a laissé à ses disciples » [10].
[1] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l'entrée à Jérusalem à la Résurrection. Parole et Silence, Paris 2011, p. 143
[2] Ibid., p. 144
[3] Ibid., p. 144-145
[4] Ibid., p. 147
[5] Ibid., p. 149
[6] Ibid., p. 151
[7] Ibid., p. 157
[8] Cf. Ibid., p. 158-162
[9] Ibid., p. 163
[10] Ibid., p. 168
Synthèse Françoise Breynaert