Un lecteur m'écrit :« Si la Vierge Marie a été conçue sans péché, elle est la seule créature pour qui le sacrifice de la Croix était superflu. Pourtant, dans le Magnificat, elle invoque Dieu, mon Sauveur. » Notre correspondant continue : "Cette question est une "colle" qui m'a été posée par un ami protestant; je me suis bien gardé de lui répondre, connaissant les limites de ma compétence".
Que fallait-il donc répondre ? Le grand principe, dans les questions les plus délicates, et surtout dans un dialogue avec des amis non catholiques, c’est qu’il faut toujours s’appuyer sur la Parole de Dieu.
Marie fait bel et bien partie du peuple des sauvés :
Or, dans le Magnificat, Marie reconnaît que Dieu est son Sauveur : elle fait bel et bien partie du Peuple des sauvés. Heureusement, d’ailleurs ! Sinon serait-elle vraiment notre sœur en humanité, serait-elle du même monde que nous ? Au fond, ferait-elle partie de l’Église ?
L’Église est , comme nous l’affirmons dans le Credo, mais d’une sainteté qu’elle reçoit comme une grâce, et non qu’elle possède comme un mérite. Nous sommes un Peuple saint, parce que nous sommes le Peuple des sanctifiés. Sur ce point l’enseignement de l’Apôtre Paul est formel (1). C’est par la foi au Christ que nous sommes sauvés. Lui seul nous met en paix avec Dieu et nous donne accès au monde de la grâce. En lui tout est recréé. Le monde ancien s’efface, un monde nouveau surgit. En lui, c’est Dieu qui réconcilie le monde avec lui (2).
Lorsque Pie IX a défini le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, il a pris soin de préciser que la grâce de Marie, comme toute grâce, venait du Christ:
Marie est sanctifiée d’avance et pleinement, cela est son privilège...
...mais elle est sauvée par la Croix, comme tout le monde. Intuitu, dit le décret pontifical, c’est-à-dire dans la perspective, dans la vision divine de la Rédemption.
Cette précision est importante dans le dialogue œcuménique. Marie, dans sa maternité divine, donne au monde le Salut. Mais en même temps elle reçoit le Salut. Elle est la toute première des rachetés ; comme tous les élus dont parle l’Apocalypse, quoique de façon suréminente, elle a lavé son vêtement dans le sang de l’Agneau. Elle est à la fois fille de la grâce et mère de la grâce.
Une analogie peut éclairer en profondeur ce privilège de l’Immaculée. Thérèse de Lisieux se sentait très proche de Marie-Madeleine. Quel rapport entre cette jeune fille limpide, à qui son confesseur a affirmé qu’elle n’avait jamais fait un péché mortel, et la pécheresse délivrée de sept démons ? L’une et l’autre sont un témoignage vivant de la miséricorde. Aux yeux de Thérèse, la grâce secourante qui relève de sa chute l’enfant tombé est moins merveilleuse que la grâce prévenante qui enlève du chemin la pierre qui pourrait faire tomber l’enfant. L’une et l’autre sont sauvées.
C’est pourquoi les affirmations de Paul sur l’universalité de la faute et du pardon ne doivent pas nous troubler. Un pasteur baptiste un peu agressif me les avait opposées dès notre première rencontre. « Vous dites que Marie est sans péché, alors que l’Apôtre dit le contraire : « Tous ont péché et sont privés de la Gloire de Dieu ; par la désobéissance d’un seul la multitude a été constituée pécheresse. »
En fait, Paul lui-même n’est pas si absolu qu’il en a l’air, puisqu’il évoque ceux qui n’ont pas péché à la manière d’Adam (3). On comprend que c’est l’humanité en tant que telle qu’il voit hors de la grâce, tant qu’elle n’a pas été touchée par le Christ Sauveur.
Marie n’échappe pas à cette loi du salut nécessaire, même si elle échappe à la loi du péché. À ce double titre elle a vocation d’être le refuge des pécheurs.
(extrait de l'hebdomadaire "Famille chrétienne")
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(1) C’est un des points sur lesquels le dialogue œcuménique a beaucoup progressé. Voir le document de la commission mixte luthérienne-catholique sur la justification, et le dernier document du Groupe des Dombes, précisément sur la Vierge Marie.
(2) Lettre aux Romains 5,1-2 ; 2° lettre aux Corinthiens 5,17-19.
(3) Lettre aux Romains 3,23 ; 5,14.
Père Alain Bandelier