Dans la pensée juive, il y a une Torah [1] et un Temple céleste [2], pré-existants à la création du monde. Il est donc d'une grande importance que Jésus s'identifie à la Torah et au Temple.
Benoît XVI (Jésus de Nazareth II), dit de manière condensée :
« Dans la foi des chrétiens, Jésus est la Torah en personne et ainsi la sanctification se réalise-t-elle dans la communion du vouloir et de l'être avec lui. »[2]
« Jésus lui-même a pris la place du Temple. Il est, lui, le nouveau Temple » [3].
Pour comprendre cela, nous ne devons pas nous limiter aux définitions que Jésus donne de lui-même, mais il faut considérer la signification des discours, des actes et des miracles de Jésus, dans le langage culturel juif de son temps.
Jésus est la Torah - au risque d'en mourir
Le verset « Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.» (Marc 1, 22 // Mt 7, 29) reflète l'ampleur du questionnement concernant Jésus. En effet, que veut dire cette « autorité » ?
Marc ne précise pas le contenu de cet enseignement (nous sommes au chapitre 1), Matthieu a déjà longuement décrit cet enseignement dans le « sermon sur la montagne » (Mt 5-7) où Jésus dévoile la Torah céleste, pré-existante à la création du monde [2].
Nous avons vu que les Béatitudes, l'enseignement sur la monogamie ou sur l'amour des ennemis impliquent une prétention divine, car dans la Bible,
- Dieu seul peut déclarer que les pauvres sont heureux,
- Dieu seul peut déclarer que les ennemis (qui sont les ennemis de Dieu) peuvent être aimés,
- Dieu seul peut décider que sont arrivés les temps eschatologiques où serait accomplit le dessein créateur où le couple, monogame, forme une seule chair.
Ce faisant, Jésus se situe bel et bien au niveau de Dieu créateur.
Et cela est tellement incroyable, ou insupportable que Jésus est aussitôt menacé de mort (Mt 9, 34 ; cf. Marc 3, 22).
Jésus et le Temple ... Au risque d'en mourir
De la même manière, et presqu'en même temps, Jésus se présente comme le Temple céleste. Marc a mémorisé la parole de Jésus « tes péchés te sont remis » (Mc 2, 5); ce qui ne peut venir que de Dieu et au Temple. Matthieu a mémorisé cette parole de Jésus : « Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple. » (Mt 12, 6).
Aussitôt après, Jésus donne un signe miraculeux pour confirmer ce qu'il a dit, mais les opposants ne croient pas et Jésus est accusé de possession diabolique, et donc, condamné à mort : « Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent: "Celui-là n'expulse les démons que par Béelzéboul, le prince des démons."» (Mt 12, 24).
Ce n'est pas cette dernière accusation qui cause la mort mais ce qui était revendiqué et qui a attiré cette réplique.
Il est, lui, Jésus, le temple céleste[4] qui descend d'auprès de Dieu (en langage juif, par respect pour Dieu, ou dirait qu'il descend d'auprès « du trône divin ») ce mouvement de descente correspond évidemment à l'Incarnation.
Jésus : Dieu incarné
Pourtant, la prétention de Jésus est une prétention recevable dans la perspective de certains sages juifs.
La Torah céleste était voilée, et Jésus prétend la dévoiler, donc aussi « descendue » du ciel, puisque le péché avait fait « remonter » Dieu au septième ciel, avec le Torah et le Temple qui sont les expressions de sa présence.[5]
Sur cet arrière fond, il était possible de comprendre Jésus non seulement comme le prophète d'une nouvelle Torah et du Temple pré-existants, non faits de main d'homme, mais comme une Incarnation de la présence divine.
Et ce n'est pas un hasard si les hérésies de l'adoptianisme ou de l'arianisme ont pris naissance quand les chrétiens ont oubliés le langage juif sous-jacent aux évangiles.
Un langage à rapprocher des autres langages de Jésus.
Les donnent de nombreux titres qui disent directement la divinité de Jésus "le Fils", le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance", "Je Suis"... Par ces titres, que l'Eglise primitive en condensé dans l'appellation "Fils de Dieu", Jésus a dit sa divinité. Cependant, ces titres disent très peu le mouvement de l'Incarnation, et on pourrait encore penser que Jésus est un homme qui se fait Dieu (adoptianisme).
D'où l'utilité de comprendre aussi que Jésus est la Torah en personne, "dévoilée", et le Temple céleste "descendu" du ciel.
Cependant, il ne faut pas non plus rester dans l'idée que Jésus annonce la Torah et le Temple céleste sans voir clairement qu'il s'identifie à eux, les dépasse, et s'identifie à Dieu même.
Un langage à dépasser.
En outre, Il est important de dire, avec Benoît XVI[6], que Jésus a dépassé les catégories habituelles d'un peuple particulier. De la sorte, Jésus peut tout aussi bien se faire connaître par tous[7]
[1] Sur la Torah céleste, pré-existante à la création du monde, lire dans la Bible le chapitre 24 du livre du Siracide ; et lire dans la tradition juive Pirké Avot (Maximes des Pères), traité de la Michna, 3, 18
[2] Sur le Temple céleste, pré-existant à la création du monde : Mekhilta §4, édition Horowitz, pp. 148-150
[3] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l'entrée à Jérusalem à la Résurrection. Parole et Silence, Paris 2011, p. 113
[4] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, Ibid., p. 55
[5] Tanhuma naso 16, éditions Eshkol Jer. 1972, pp. 687-688
[6] J. RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 332
[7] La mission a confirmé que Jésus sait se faire connaître par tous.
En parlant de Jésus nouvel Adam (Rm 5), saint Paul a prolongé le titre « Fils de l'homme », que Jésus se donnait lui-même. Fils de l'homme et Nouvel Adam disent que Jésus peut se faire connaître de tout homme.
Depuis le jour où l'humanité (juifs et païens) a crucifié le Fils de Dieu, la rupture dont parle Genèse 3, 1-6 apparaît comme le péché originel marquant toute l'humanité, une rupture entre l'humanité et son Créateur. Jésus, « le fils de l'homme » est aussi le nouvel Adam, la descendance qui écrase l'antique serpent (Gn 3, 15).
Françoise Breynaert