Légendes, miracles et mariales (littérature médiévale)


 

La littérature mariale médiévale est riche, et se compose de plusieurs genres : littérature hymnique, poésies, chansons, théâtre, etc. Parmi ces genres, on trouve les miracles et mariales, qui constituent un fonds très riche, se développent surtout au XIIIe siècle, et dont on se servait parfois dans la liturgie.

 

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Pèlerinages et littérature mariale

Longtemps les pèlerinages se faisaient au tombeau de saint Pierre, et c'était les saints (dont on possédait des reliques bien réconfortantes) qui soutenaient l'intercession.

Mais à partir du Xe siècle, les pèlerinages marials débutèrent, et c'est à la Vierge Marie que l'on s'adressait.

La société du Moyen âge était une société qui priait et bâtissait avec ferveur des églises, des cathédrales et des abbayes, et il ne faut pas s'étonner qu'une telle ferveur obtînt des miracles. De là, toute une littérature...

On se rendait en pèlerinage, par exemple à Chartres, ou encore à Rocamadour qui attirait les soldats de cette région très féodale, à Arras également, qui attirait les paysans malades de l'ergot du seigle sur les nouvelles terres cultivées... Et les miracles étaient enregistrés dans les archives du sanctuaire.

Les recueils de miracles étaient commandités par des évêques, et très prisés par les chanoines (ceux qui officient dans les cathédrales et les basiliques). Par exemple, Geoffroy, évêque de l'église de Coutances,

« ordonna de confectionner un livre d'or serti de pierres précieuses venues de loin pour l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie. »[1].

Le clergé utilisait les récits de miracles dans sa pédagogie[2]. Les « Mariales » étaient à la fois instructifs et riches en récits de miracles.

C'est ainsi qu'autour des cathédrales et des basiliques, toute une littérature est née...

Légendes, recueils de miracles, mariales

Comme l’explique Solange Corbin[3] :

« Si les « miracles de la Vierge par personnages » sont célèbres sous leur forme française, on connaît moins bien leurs originaux latins, dont la source remonte soit aux récits apocryphes, soit à la littérature pieuse de basse époque, où l’on distingue mal entre histoire et embellissements ».

Quoiqu’il en soit, la littérature de « miracles » de la Vierge Marie, rapportée dès le XIe siècle dans des textes latins, se développe à partir du XIIe siècle et fleurit au XIIIe siècle, avec les Miracles de Notre-Dame (1218) de Gautier de Coincy, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais (v. 1244), le Miracle de Théophile de Rutebeuf (v. 1260).

Au Pays-Bas, le recueil de Jacques de Maerlant (XIIIe), écrivain flamand d'expression moyen-néerlandaise, traduit en grande partie le recueil de Vincent de Beauvais.

En Espagne, on connaît par exemple les Milagros de Nuestra Señora de Gonzalo de Berceo, homme d’Église et poète castillan du XIIIe siècle, et les magnifiques Cantigas de Santa María du roi Alphonse X de Castille, dit  le Sage (1221-1284) écrites en galicien, dont la majeure partie relatent un miracle.

Bernard Sesé[4]explique:

« Beaucoup de comedias, qui racontent comment des bandits se sont repentis et ont été sauvés par l'intervention de la Vierge Marie, s'inspirent de ces légendes : El Prodigio de Etiopía de Lope de Vega, La Devocíon de la Cruz de Calderón, Osar morir de la vida de Zabaleta, La Devoción de la misa de Vélez de Guevara, Lo que puede el oir misa de Mira de Amescua... »

Il y a donc partout dans l'Europe de la fin du Moyen Age, des recueils de légendes et de miracles. Il y en a de bien naïfs ; il y en a de tendres ; il y en a aussi de fort mauvais goût et de tout à fait invraisemblables. Mais en général il s'en dégage un charme d'une foi simple et confiante auquel même les lecteurs modernes ne résistent point.

Certains « miracles » eurent une destinée exceptionnelle : tel celui du moine à qui la Vierge concède la grâce d'une extase et qui, à son réveil, ne reconnaît personne, car  l'extase a duré trois cents ans[5];  celui qui raconte l'histoire d’une religieuse qui, avant de s'enfuir du couvent avec son galant, laisse les clefs du monastère sur l'autel de Marie à qui elle se confie ; la Vierge prend son visage et sa forme ; ainsi nul ne s'est aperçu de l'escapade avant le retour de la repentie[6]. »

Mais le miracle le plus populaire est le Miracle de Théophile, qui raconte l'histoire d'un clerc ayant pactisé avec le Diable, sauvé de la damnation par la Vierge Marie.

Il y a donc partout dans l'Europe de la fin du Moyen Age, des recueils de légendes et de miracles. Il y en a de bien naïfs ; il y en a de tendres ; il y en a aussi de fort mauvais goût et de tout à fait invraisemblables. Mais en général il s'en dégage un charme d'une foi simple et confiante auquel même les lecteurs modernes ne résistent point.

Certains miracles sont des guérisons physiques, d'autres sont des miracles de la grâce, le repentir et le salut de quelqu'un, par exemple la légende de Beatrijs ou le miracle de Théophile[7].

L’utilisation des miracula en liturgie

Comme l’explique Solange Corbin[8], les miracula étaient également utilisés pour l’office de la Conception de Marie, le 8 décembre, dont on trouve trace par exemple dans les missels anglais du XIe siècle. Le saint évêque de Chartres, Fulbert, au XIe siècle, a évoqué le Miracle de Théophile dans son sixième sermon sur la Nativité de Marie.

Quelques dérives de cette littérature

En général, cette littérature est conforme à l'enseignement chrétien, mais on lit parfois des récits faits par des clercs peu formés et encore proches du paganisme de sorte que l'évangélisation est encore superficielle, confuse.

Parfois, la Vierge Marie est montrée en colère d'une manière très frustre, et il faut l'apaiser[9].

Parfois, sa miséricorde est amorale[10], c'est-à-dire sans référence ni au décalogue, ni à la nécessité de réparer, et totalement déconnectée de la miséricorde de Dieu le Père (que le Moyen Age avait sans doute de la difficulté à se représenter).

Parfois, les protagonistes expriment une sentimentalité quelque peu ambiguë (tout en restant contenue) : par exemple l'apparition invite le dévot à rêver d'épouser Marie (après la mort tout de même...)[11] ou encore, l'apparition découvre son sein et invite le malade à boire de son lait[12].

Certes, Marie nous aime d'un amour tendre, mais c'est la tendresse forte de celle qui est l'épouse (de Dieu), la mère (du Christ, vrai Dieu, vrai homme), la mère des hommes que Jésus sauve moyennant la foi (et les œuvres de la foi...), c'est une tendresse virginale, invitant aux béatitudes, un amour béatifiant pour l'esprit !

Source :

-Guy Philippart, « Le récit miraculaire marial dans l'Occident médiéval », In : Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale. Paris : Beauchêne, 1996, p. 578.

-Solange Corbin. Miracula beatae Mariae semper virginis,  In: Cahiers de civilisation médiévale, 10e année (n°39-40), Juillet-décembre 1967. pp. 409-433.

-Bernard Sesé, Légendes mariales, littérature, in : Encyclopaedia Universalis.

 

[1] Jean de Coutance, Miracula Sanctae Mariae Constantiae, éd. E.-A. Pideon, dans Histoire de la cathédrale de Coutance, Coutances, 1876, pp. 367-383

[2] Gabriela Signori, « La bienheureuse polysémie », In : Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale. Paris :  Beauchêne, 1996, p. 612.

[3] Solange Corbin. Miracula beatae Mariae semper virginis,  In: Cahiers de civilisation médiévale, 10e année (n°39-40), Juillet-décembre 1967. pp. 409-433.

[4] Bernard Sesé, Légendes mariales, littérature, in : Encyclopaedia Universalis.

[5] Le poète américain H. W. Longfellow s'en est inspiré, au XIXès.

[6] Miracle repris par le poète espagnol Lope de Vega, par Charles Nodier et Maeterlinck.

[7] Hubert du Manoir, Maria, tome 2, Beauchêne, Paris 1952, p. 204.

[8] Solange Corbin, op. cit.

[9]  G. Duby, L'Europe au Moyen Age, Paris 1984, p.32.

[10]  Miracle 36 de la collection de Bernard Pez, Liber miraculis Sanctae Mariae Dei genitix, 1731, réédité aux éditions Crâne, Ithaca 1925, pp. 51-55.

[11] Miracle 27 de la collection de Jean Herolt (1468) intitulée « Promptuarium demiraculis Beatae Mariae Virginis ».

[12] Miracle 6 de la collection de Jean Herolt (1468) Ibid.

 

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Pour en savoir plus

 

-sur les miracles de Jésus, dans l’Encyclopédie mariale

-sur Jésus guérit et sauve (Mt 8-9), dans l’Encyclopédie mariale

-sur Marie délivre Théophile d'un pacte avec le démon (st Fulbert), dans l’Encyclopédie mariale

-sur Miracles et pèlerinages marials aux Xe-XIIe siècle, dans l’Encyclopédie mariale

-sur le théâtre médiéval, dans l’Encyclopédie mariale

-sur déformations médiévales de la miséricorde de Marie, dans l’Encyclopédie mariale

-Pour entendre les Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X le Sage, en ligne

 

 

 

Françoise Breynaert et Isabelle Rolland.