« Témoin et Maître » en spiritualité mariale, Frank Duff le fut et le demeure, comme fondateur d’un mouvement apostolique, aujourd’hui répandu sur les cinq continents : la « Légion de Marie ». Témoin et maître, non pas tant par ses écrits doctrinaux, peu nombreux à la vérité, que par la manière, forte et originale, dont il a saisi et mis en valeur le dynamisme apostolique d’une authentique dévotion à Marie.Témoin et maître dans la continuité missionnaire de Saint Louis-Marie de Montfort, c’est dans le Traité de la Vraie Dévotion, d’abord récusé, qu’il a trouvé la vérité et l’inspiration d’une action qui devait faire de lui une des grandes figures mariales de l’Eglise de ce siècle.
La vie de Frank Duff
Frank Duff naît en 1889 en Irlande, premier enfant d’une famille qui en comptera sept. Ses parents sont tous deux fonctionnaires dans les services de l’Etat. Des chrétiens de bonne condition, fidèles aux pratiques religieuses, sans rien qui les distingue. La famille a participé, et participe encore à l’époque, au mouvement indépendantiste, à cause de l’oppression de l’Angleterre, dirigé à la fois contre la sécession et contre la foi catholique. Frank sera même pendant quelques temps secrétaire du commandant en chef des forces indépendantistes.Dès son enfance, le jeune garçon a reçu une éducation chrétienne solide. Il est intelligent, aime la lecture, le sport, (vélo, foot)… et cumule les réussites scolaires. A l’âge des concours nationaux, une première place lui ouvre la porte de l’administration : au ministère de l’Agriculture d’abord, puis au ministère des Finances. Entre-temps, il a acquis une vaste culture générale. Au moment d'entrer dans la vie de plein vent, Frank est déjà un homme aux fortes convictions religieuses. En témoigne une brochure, rédigée à cette époque : Un saint moi? Pourquoi pas ?
Brillant, pieux, modeste et éfficace !
Il s'est imposé la messe quotidienne, puis à vingt-quatre ans, le «bréviaire », qui est la prière officielle de l'Église. En 1917, il entre dans la Société Saint-Vincent-de-Paul, organisation caritative fondée en France par Ozanam, et fortement implantée à Dublin. Il en sera un membre très zélé et entreprenant. C'est là qu'en 1921 il fonde une association pour les dames désireuses de participer à des œuvres de charité à l'instar de la Société Saint Vincent-de-Paul, réservée aux hommes. Cette association, d'abord dénommée« Notre-Dame de la Miséricorde », est la première cellule de ce qui sera « La Légion de Marie » qui, devenue autonome et mixte, va rapidement se développer en Irlande, puis en Grande-Bretagne, et enfin dans le monde entier.
En 1933, ne pouvant plus tout mener de front, Frank se voit contraint de résilier son poste au ministère des Finances, pour se consacrer entièrement à la grande famille de la « Légion », dont il est le père spirituel et le directeur responsable. Il veillera scrupuleusement à sa croissance, dans la fidélité à l'esprit des origines en même temps qu'aux besoins de l'Eglise selon les régions. Travailleur acharné, il est toujours disponible. Il a le sens inné de l'organisation, de l'administration. Pragmatique, il ne soulève jamais un problème sans proposer une solution. Il entreprend de nombreux voyages à travers le monde, reçoit beaucoup de visiteurs, répond à un abondant courrier.
Une stature et une renommée de dimension mondiale
Tout en sachant qu'il a reçu mission de fondateur, il reste modeste, s'efface pour qu'il soit manifeste que la Légion n'est pas son œuvre, mais celle de Dieu. Ce qui ne l'empêchera pas de se montrer combatif quand les intérêts de la foi ou de la Légion sont en jeu. Il vit pauvrement, jusque dans son habillement ou dans l'économie du papier ; mais sait se montrer généreux en présence de réels besoins. Apôtre dans l'âme, il a le don d'éveiller au sens de l'apostolat toutes sortes de gens, même très simples. Homme de prière autant que d'action, il se méfie des manifestations extraordinaires de haute mystique.
C'est ainsi que, par son action dans la Légion et à travers elle, il acquiert une stature et une renommée qui font de lui peu à peu un personnage de dimension mondiale. Il est invité comme auditeur au Concile Vatican II... et il est applaudi par les évêques. Lorsqu'il meurt en 1980, ses funérailles sont un triomphe national, comme pour un grand Irlandais, mais qui va au-delà : un témoignage unanime de respect, de reconnaissance. Outre les autorités de l'Eglise et de l'Etat, y sont présents de nombreux ambassadeurs et de hautes personnalités. Beaucoup le considèrent déjà comme un saint laïc...
Un livre, d'abord récusé, puis reçu comme source d'inspiration apostolique
Ce livre, c'est le Traité de la Vraie Dévotion à la Vierge, du Père de Montfort. Un des premiers biographes de Frank, le Père D'Flynn, lazariste, a pu écrire (Frank Duff, tel que je l'ai connu, p. 33) : « L'enseignement de Montfort a été la source et l'origine de la spiritualité de M. Duff. Avec Montfort, il n'a pas seulement trouvé Marie. Il s'est trouvé lui-même et a trouvé la Légion ». Cela n'a cependant pas été tout seul ! Frank a lui-même raconté comment la chose s'est passée, œ que furent les premiers contacts avec ce livre. Résumons. M. Duff était depuis à peine un an à la Société Saint-Vincent-de-Paul. Un soir, se trouvant à Myra House, siège de l'association, il passe devant un groupe où l'on discute fort, à propos d'un livre que l'un des membres tient en main : celui de Montfort. Nom et titre sont inconnus de Frank, et le sujet le laisse indifférent.
Quelque temps plus tard, passant chez un libraire d'occasion, il voit le titre, et par curiosité achète l'ouvrage. Il se met en devoir de le lire, mais le trouvant « excessif et absurde » par rapport à ce qu'il sait de Marie, il le range dans sa bibliothèque, bien décidé à l'y laisser dormir. Peu de temps après, il est interpellé par un de ses amis de la Société, qui lui demande s'il a lu le livre. Il lui répond que oui, mais exprime également son insatisfaction. Sur l'insistance de son ami, il le reprend, mais avec le même résultat décevant. Par acquis de conscience, il refait l'essai cinq ou six fois... lorsqu'un jour quelque chose se passe : « Quelque chose que je considère comme une grâce divine me fut accordé.
C'était la soudaine réalisation que le livre était vrai... J'avais l'entière conviction que ce que j'avais considéré comme exagéré était pleinement justifié. ». Frank en tire la conclusion qu'il doit revoir et approfondir la connaissance qu'il a du rôle de Marie dans le mystère du salut. Ce qu'il fait.
Grâce à Grignion de Montfort, un nouveau sens de l'apostolat, à vivre avec Marie
Cette nouvelle connaissance doctrinale lui permet d'entrer dans le contenu du livre, qui lui apparaît dès lors fondamental... Lu et relu, le Traité va éclairer et susciter en lui un nouveau sens de l'apostolat, à vivre avec Marie. En même temps il se fait un devoir de l'expliquer lors de réunions qu'il organise à Myra House. Plus tard il écrira, rappelant son rôle à l'Incarnation :
« A ce moment, tous les hommes étaient globalement présents à la pensée de Marie, leur représentante, à tel point qu'elle parlait pour eux, et Dieu les contemplait en Elle. Or, la vie chrétienne est-elle autre chose que la formation de Jésus-Christ en chaque membre de son Corps mystique ? Précisément cette formation ne se fait pas sans Marie. C'est là comme un prolongement de l'Incarnation. La Vierge remplit donc jusqu'au bout son rôle d'éducatrice des chrétiens (cf. Vatican II, LG 53,63).
Après son consentement, ses soins maternels sont aussi nécessaires à la croissance journalière du Christ en chaque âme, qu'ils le furent à la formation et au développement humain de son divin Fils. Il s'ensuit que nous devons reconnaître que Marie a été notre représentante à l'offrande du sacrifice, cause méritoire de notre rachat, commencé à l'Incarnation et achevé sur la Croix.
Nous devons ratifier tout ce qu'Elle fit alors en notre nom et en notre faveur, afin de jouir sans honte et en leur plénitude des biens immenses que Jésus nous a mérités. Nous devons tout lui donner » (Manuel de la Légion, p. 258).
Promoteur d'un nouveau mouvement apostolique, la "Légion de Marie"
C'est dans ce contexte d'activités, de rencontres, que se situe, un jour de 1921-c'était, le 7 septembre au soir, après les premières vêpres de la Nativité de la Vierge -la réunion évoquée plus haut : une quinzaine de jeunes femmes et jeunes filles se retrouvent avec M. Duff pour créer une association féminine qui prendrait en charge la visite aux femmes malades des hôpitaux. La réunion se déroule autour d'une statue de Marie Médiatrice, selon un schéma qui est encore celui de toutes les réunions de la Légion : invocation du Saint-Esprit, chapelet, lecture spirituelle, répartition des tâches, selon des visites à accomplir toujours à deux.
Il est entendu que l'on se retrouvera ainsi chaque semaine, avec charge à chacun de rendre compte de la mission reçue. Un détail important : il est convenu à l'unanimité d'un titre marial pour le groupe - « Notre-Dame de la Miséricorde » - et d'un sens de l'apostolat envisagé comme une mise en œuvre de la doctrine du Traité de Montfort : une action avec Marie, dans la docilité à l'Esprit Saint. Sans que les membres en aient encore conscience, un nouveau mouvement apostolique venait de naître dans l'Eglise. Très vite d'autres personnes viennent s'adjoindre au groupe qui doit se démultiplier. D'autres besoins appellent le travail et l'initiative des membres, et les activités au fil du temps se diversifient: prostituées, clochards, filles-mères, mal-logés, alcooliques, prisonniers... : l'éventail ne cessera de s'élargir.
La Légion de Marie considère le monde entier comme son champ d'apostolat : un champ à gagner au Christ par Marie
Entre-temps, l'association a dû se structurer : en 1925, lors d'une assemblée générale, elle précise ses statuts, adopte un nouveau vocable - proposé par le fondateur:« Légion de Marie », et se donne un étendard (représentant l'Esprit Saint et Marie au-dessus du globe terrestre). En 1928 paraît le Manuel de la Légion, dont le principal rédacteur a encore été Frank Duff : un vrai traité de spiritualité apostolique. C'est ainsi que la Légion se consolide et se développe, étendant son action d'abord en Irlande, puis en Grande-Bretagne 1928), en Amérique et en Asie (1931), en Afrique (1933).
Tandis qu'elle s'étend rapidement sur ces continents, elle prend pied sur le sol de France en 1940 - où l'on compte actuellement quelque 220 groupes (praesidia), puis en d'autres pays d'Europe. Depuis la chute du communisme, l'avancée se poursuit dans les pays de l'Est. Présente à ce jour dans plus de 2 000 diocèses, la Légion de Marie considère le monde entier comme son champ d'apostolat : un champ à gagner au Christ par Marie.
Dès les années 30, un pionnier de l'apostolat marial des laïcs
Il n'est pas inutile de le souligner : bien avant l'émergence des « mouvements d'action catholique », qui joueront un puissant rôle à partir des années 30, Frank Duff a saisi avec une lumineuse acuité (son charisme) la dimension apostolique de toute vie de baptisé, qu'il a voulu mettre en œuvre dans la nouvelle association. À ce titre on doit le considérer comme un « pionnier de l'apostolat des laïcs » en notre siècle. Chaque mouvement apostolique a son esprit - toujours inspiré de l'unique amour du Christ -, ses activités, ses méthodes.
Chez le fondateur Frank Duff, l'esprit, qui inspire tout le reste, est celui qu'il a puisé dans les écrits de Montfort, comme il en témoignera à de nombreuses reprises. Nous lisons par exemple : « Le Manuel est pétri de son esprit (de Montfort) ; les prières empruntent ses propres paroles. Il est vraiment le précepteur de la Légion » (Manuel, p. 47). Ou encore, toujours sous la plume de M. Duff : « La doctrine et le feu du Traité de la Vraie Dévotion sont fusionnés dans le Manuel de la Légion ».
Deux notes caractérisent cet esprit de feu qui anime la Légion. C'est d'abord l'attention particulière à l'action de l'Esprit Saint, source, lumière et force de tout apostolat. C'est par lui que le Christ s'est incarné en Marie, c'est par lui qu'il grandit dans l'humanité, c'est par lui que « l'amour du Christ est répandu dans les cœurs » (Rm 5,5). La « Promesse légionnaire » - par laquelle on s'engage dans le mouvement -, est une prière qui s'adresse à l'Esprit Saint, pour se livrer à lui et se laisser conduire par lui. Chaque réunion commence par une invocation au Saint-Esprit.
Avec Montfort, Frank Duff a reconnu le lien nécessaire entre l'Esprit Saint et Marie dans la formation des membres du Corps mystique du Christ
Un deuxième trait spécifie l'esprit apostolique de la Légion, selon l'inspiration des origines : c'est l'union voulue à Marie, par qui l'Esprit Saint a commencé et continue l'incarnation de Jésus dans l'humanité (cf. VD 29-36). Avec Montfort, Frank Duff a reconnu le lien nécessaire entre l'Esprit Saint et Marie dans la formation des membres du Corps mystique du Christ, c'est-à-dire dans l'oeuvre du salut. Avec lui il en a tiré la conclusion, à savoir que l'action apostolique se doit de tenir compte de cette présence maternelle et première de Marie et prendre appui sur elle, pour travailler avec elle (cf. par exemple VD 214, dont s'inspire une prière quotidienne des légionnaires, la « tessera »).
Lui-même écrit, à propos du travail apostolique des légionnaires : " Qu'en toutes circonstances, Marie soit constamment présente à votre esprit ! Unissez vos intentions et vos volontés aux siennes, de façon que vos actions et vos prières de la journée soient faites avec elle...Ainsi elle sera non seulement à vos côtés, mais pour ainsi dire en vous. Votre vie consistera à donner ensemble à Dieu ce que vous possédez conjointement. Cette force de dévotion à Marie, s'étendant à tous vos actes, est une reconnaissance exquise du rôle que Marie notre Mère a joué autrefois et ne cesse de jouer encore dans l'œuvre du salut "(Manuel, p.258).
A un prêtre désireux de fonder une association mariale d'étudiants, Frank témoignait qu'on ne peut comprendre la dévotion à Marie que comme une coopération avec elle au service du Christ. Le Concile ne parlera pas autrement (Const. sur l'Église, 65). Fondateur de la Légion de Marie, Frank Duff en demeure l'âme par l'esprit qu'il lui a donné du plus profond de lui-même. Un « témoin et maître » qui nous interpelle tous.