Ce jour-là Jésus s'indigna : on voulait barrer la route à des enfants ! Les disciples entendaient sans doute rester entre adultes, et estimaient que Jésus allait perdre son temps avec tous ces enfants, bien incapables de comprendre le moindre discours. Or Jésus, au contraire, ne se lassait pas d'accueillir les enfants ; et à ses yeux ils étaient une parabole vivante de l'accueil du Royaume.
Ce que nous envions souvent à l'enfant, c'est son innocence. Même s'il est parfois rempli d'agressivité, de jalousie ou d'impatience, jamais il ne met dans ses actions cette volonté consciente de faire mal ou de mal faire qui est la racine du péché.
En plus de cette innocence, ce qui fait la véritable richesse de l'enfant, c'est un ensemble de qualités innées que l'adulte essaie vainement de retrouver, tout au long de sa vie, à coups d'ascèse et de conversions.
D'abord l'enfant accepte d'avoir besoin des autres. Pour vivre, il lui faut tout recevoir : nourriture, chaleur, sécurité, affection. Il ne se révolte pas d'être ainsi dépendant, et il est heureux de faire confiance. Dès qu'on porte un enfant sur les bras durant quelques minutes, on dit : "Oh qu'il est lourd !". C'est parfois pour faire plaisir à la maman, mais de fait un enfant ne cherche pas à se faire léger : il s'abandonne de tout son poids dans les bras qui l'accueillent.
Et puis l'enfant trouve normal d'être aimé, compris, attendu, pardonné. Il ne s'interroge pas sur ce qu'il vaut, et ne se demande pas s'il est propre ou barbouillé, parce qu'il est sûr d'avance d'être aimé comme il est, d'être grondé quand il le mérite, et d'être lavé aussi souvent qu'il le faudra.
Enfin l'enfant est tout en promesse, et sans s'occuper de l'avenir il a tout l'avenir devant lui. Sa chance, c'est son inachèvement, sa souplesse, son ouverture.
"Laissez les enfants venir à moi, disait Jésus ; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent".
Le Royaume n'est pas pour les orgueilleux murés dans leur autonomie, jaloux de leurs certitudes et de leurs options, mais pour ceux qui acceptent d'avoir besoin du salut et du pardon, d'avoir besoin de Dieu ; pour ceux qui consentent à faire fond sur Dieu et à s'appuyer sur Lui de tout le poids de leur humanité.
Le Royaume est pour ceux qui se laissent aimer, qui laissent Dieu les aimer autant qu'Il veut et comme Il veut ; pour tous ceux qui prennent conscience de la tendresse de Dieu à l'œuvre dans leur vie, et qui aiment suffisamment le Père pour trouver cela normal.
Le Royaume de Dieu est pour ceux qui restent en marche vers la promesse et qui n'attendent plus le repos avant le repos que le Christ donnera dans l'aujourd'hui éternel. En ceux-là le Règne de Dieu peut grandir, parce qu'ils ignorent toutes les limites et toutes les timidités. Viennent les épreuves, viennent le grand vent de la vie et les longues patiences, les vrais enfants de Dieu se savent précédés et attendus par le Christ, et sans impatience ils se hâtent vers la Rencontre.
"En vérité, je vous le déclare, disait Jésus, celui qui n'accueille pas le Royaume comme un enfant n'y entrera pas".
Et nous voilà, chaque matin, devant l'entrée, embarrassés du poids de nos savoirs, de nos pouvoirs, de notre faire-valoir, alourdis de toutes nos peurs d'adultes, vieillis trop tôt par nos refus de l'aventure ; et nous appelons, du plus profond de nous-mêmes, l'enfant que nous étions, afin qu'il vienne nous réapprendre la foi aux grands yeux, la charité aux vraies audaces, et l'espérance à tout petits pas.
(…) et il se penche pour caresser des enfants qui, tout doucement, quittant leurs parents, se sont approchés de lui. Quelques mères les imitent pour lui amener des enfants dont la marche n’est pas sûre, ou qui sont encore au sein.
« Bénis nos enfants, toi qui es béni, pour qu’ils soient des amis de la Lumière ! » demandent les mères.
Jésus leur impose les mains. Cela produit un remous dans la foule. Tous ceux qui ont des enfants veulent la même bénédiction. Ils poussent et crient pour qu’on leur fasse place.
Les apôtres, en partie parce qu’ils sont énervés par les méchancetés habituelles des scribes et des pharisiens, en partie par pitié pour Lazare qui risque d’être renversé par les flots de parents qui apportent les enfants à cette divine bénédiction, se fâchent et crient, en réprimandant ou en repoussant l’un ou l’autre, surtout les enfants venus seuls. Mais Jésus, doux, affectueux, les reprend :
« Non, non ! Ne faites pas cela ! N’empêchez jamais les enfants de venir à moi, ni leurs parents de me les amener. C’est justement à ces innocents qu’appartient le Royaume. Eux seront innocents du grand Crime, et ils grandiront dans ma foi. Laissez-les donc pour que je les consacre à elle. Ce sont leurs anges qui me les conduisent. »
Jésus se trouve maintenant au centre d’une couronne d’enfants qui le regardent d’un air extasié ; tant de petits visages levés, tant d’yeux innocents, tant de bouches souriantes…
Les femmes voilées ont profité de la confusion pour contourner la foule par l’arrière et venir derrière Jésus, comme si la curiosité les y poussait.