On appelle souvent cette parabole la parabole du fils prodigue, ou du fils perdu, ou encore la parabole des deux fils ; mais c'est avant tout la parabole de l'amour paternel, et dans la pensée de Jésus, c'est le père qui se trouve au cœur de l'action : "un père avait deux fils"... d'emblée Jésus veut centrer nos regards sur Celui qui est le foyer incandescent de son message et qui est à la source de notre bonheur : Dieu le Père qui crée, et qui nous rachète en son propre Fils parce qu'il nous prend dans sa miséricorde.
Déjà la création est un projet d'amour, mais nous avons toujours peine à imaginer qu'il n'y ait place en Dieu que pour l'amour. L'auteur du livre de la Sagesse l'avait bien saisi, lui, quelques décennies seulement avant l'Incarnation, lorsqu'il disait à Dieu dans sa prière : " Tu aimes tous les êtres, et tu n'éprouves de répulsion pour aucune de tes œuvres"
Dieu n'a rien créé à contrecœur, et c'est de bon cœur qu'Il nous maintient tous dans l'existence : "Comment un être quelconque aurait-il subsisté si Toi, tu ne l'avais voulu, ou aurait-il été conservé sans avoir été appelé par Toi à l'existence ?"
Le Dieu unique qui a créé le monde par pure bonté n'agit que pour le bien et pour communiquer la vie ; et chacun de nous, même aux heures les plus sombres, même aux jours de plus grande solitude, peut retrouver en soi cette certitude libérante : Dieu m'a voulu, Dieu m'a appelé à vivre.
Même nos misères, même nos erreurs, même nos faux pas ne peuvent faire durablement obstacle à ce projet de vie, pour peu que nous gardions la nostalgie de la maison de Dieu, pour peu que nous acceptions d'être aimés sans en être dignes et que nous nous laissions rejoindre par le regard de Dieu quand son amour se fait miséricorde ; car Dieu aime le pécheur avant même qu'il revienne, et c'est toujours l'amour de Dieu qui rend possible la repentance.
Même la puissance de Dieu est au service de son amour, comme l'a deviné encore l'auteur de la Sagesse : "Tu as pitié de tous, parce que tu peux tout" : l'immense pouvoir de Dieu ne fait qu'étendre à l'univers des hommes la pitié forte et douce dont chacun est l'objet : "Tu les épargnes tous car ils sont à Toi, Maître qui aimes la vie".
Dieu aime tant la vie, il la veut tellement pour les hommes, qu'Il nous a sauvés en son propre Fils : alors que nous étions morts par nos fautes, il nous a avec Lui vivifiés, avec Lui ressuscités, avec Lui fait asseoir dans les cieux.
Et pourquoi nous a-t-Il offert ce partage inouï du destin de son Fils, pourquoi veut-Il nous voir désormais tous et chacun en son Unique, pourquoi cette entrée dans l'échange trinitaire ? Parce que Dieu est Dieu, parce qu'il est riche en miséricorde, parce qu'il nous a aimés d'un amour sans mesure et qu'il a voulu montrer dans les siècles à venir l'incomparable richesse de sa grâce. Saint Paul résumait cela en quelques mots tout ruisselants d'Évangile : "c'est sa bonté pour nous en Jésus-Christ".
Ecoutez : voici une belle parabole qui vous guidera par sa lumière en bien des occasions.
Un homme avait deux fils. L’aîné était sérieux, travailleur, affectueux, obéissant. Le second était plus intelligent que son aîné – qui, en vérité, était un peu borné et se laissait guider pour ne pas avoir à se donner la peine de décider par lui-même – ; en revanche, il était aussi rebelle, distrait, dépensier et paresseux, et il aimait le luxe et le plaisir. L’intelligence est un grand don de Dieu, mais c’est un don dont il faut user sagement. Sinon, il en va comme de certains remèdes qui, employés indûment, tuent au lieu de guérir. Le père suivait son droit et son devoir en le rappelant à une vie plus sage, mais c’était sans résultat, sauf d’essuyer des réponses méchantes et de voir son fils s’endurcir dans ses idées mauvaises.
Enfin, un jour, après une dispute plus envenimée, le cadet dit : “ Donne-moi ma part des biens. Ainsi, je n’entendrai plus tes reproches ni les plaintes de mon frère. A chacun son lot et que tout soit fini.
– Prends garde, répondit le père, tu seras bientôt ruiné. Que feras-tu, alors ? Réfléchis : je ne serai pas injuste en ta faveur et je ne reprendrai pas la plus petite somme à ton frère pour te la donner.
– Je ne te demanderai rien. Sois tranquille. Donne-moi ma part. ”
Le père fit estimer ses terres et les objets précieux. Après avoir constaté que l’argent et les bijoux avaient autant de valeur que les terres, il donna à l’aîné les champs et les vignes, les troupeaux et les oliviers, et au cadet l’argent et les bijoux, que ce dernier vendit aussitôt pour avoir tout en argent. Cela fait, en peu de jours, il partit pour un pays lointain où il vécut en grand seigneur, dissipant ses biens en bombances de toutes sortes, se faisant passer pour un fils de roi car il avait honte de dire : “ Je suis un campagnard ”, et reniant ainsi son père. Festins, amis et amies, vêtements, vins, jeux… vie dissolue… Il vit bien vite s’épuiser ses réserves et arriver la misère. Et pour alourdir cette misère, il survint dans le pays une grande disette qui fit fondre le reste de ses ressources (…)