Cela s'est passé brusquement : Jésus se préparait à partir, et voilà un homme qui arrive en trombe et se met à genoux devant lui. Que vient-il demander ? Une guérison pour lui pour un de ses proches ? Non, cet homme arrive, tout essoufflé, pour poser une question bizarre : "Que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle ?"
Et cette question nous gêne, parce que c'est justement celle que nous n'avons plus le courage de poser. Bien sûr, nous ne sommes pas à court de moyens pour éliminer ce témoin gênant. On dira : "C'est un anxieux ! ; nous qui sommes équilibrés, nous n'avons pas besoin de penser à une vie éternelle !". "C'est un nanti ! ayant tout ce qu'il lui faut pour vivre, il peut se payer le luxe de rêver à une autre vie !".
Mais nous sentons bien que toutes nos bonnes raisons seraient de l'enfantillage. Il faut entendre la question de cet homme, parce que c'est tout simplement un réaliste : il veut dès aujourd'hui une vie qui puisse traverser la mort ; il veut, avec les choses qui passent, construire dès aujourd'hui du définitif. C'est lui qui a raison, et nous qui sommes des rêveurs.
"Bon maître, dit l'homme, que dois-je faire pour avoir en partage la vie définitive ?"
Le Christ répond : "Tu as les commandements", c'est-à-dire : ce qui plaît à Dieu, ce qui est bon, ce qui est parfait. Pour chacun de nous ce serait déjà un programme ambitieux ; mais cet homme, à genoux devant le Christ, est d'une autre trempe : " Maître, tout cela, je l'ai gardé depuis ma jeunesse". Et c'est vrai ! Le Christ qui le regarde sait qu'il dit vrai ; il sait ce qu'il en a coûté à cet homme, et il le prend en affection, non pas tellement pour le bilan positif de sa vie morale, mais parce que cet homme, ce fidèle, ce juste, a compris que le Christ lui demandait autre chose, une sagesse nouvelle, une sagesse chrétienne qu'il faut aimer plus que la santé, plus que la beauté et l'élégance, plus que le pouvoir et la volonté de puissance.
"Une seule chose te manque : va vendre ce que tu as, réalise tout cela au compte des pauvres. Puis viens, suis-moi !". Voilà bien, pour cet homme, et pour chacun(e) de nous, une de ces paroles de Jésus porteuse de vie, et qui pénètre au cœur de notre existence, pour trier nos sentiments et juger nos pensées. Une seule chose nous manque, c'est d'avoir brûlé nos vaisseaux et d'être devenus pour le Christ des inconditionnels.
Quelque part peut-être dans notre vie, il y a un oui qui n'a pas encore été dit à Dieu, et c'est cela qui nous rend tristes ; il y a un avoir qui nous empêche d'être, et c'est cela qui nous gêne pour suivre vraiment le Christ.
Je veux bien te suivre, Seigneur, mais laisse-moi me faire une place au soleil ; Je veux bien te servir, mais laisse-moi garder ce style que je tiens de mon passé. Je veux bien t'écouter, mais laisse-moi prendre ma distance vis-à-vis de ton Église. Je consens à recevoir ta parole, mais surtout, qu'elle ne vienne pas entamer mes évidences ni mon système !
Tant que nous en restons au "oui, mais", nous avons gardé quelque part "de grands biens". Alors Jésus regarde autour de lui, et il dit à ses disciples, à nous tous : "Comme il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le règne de Dieu !".
Nous sommes nous-mêmes souvent trop encombrés pour cheminer selon les Béatitudes, et Dieu n'a que faire de notre fil trop voyant, quand il veut broder au fond de notre cœur.
Les disciples ont si bien compris qu'ils en ont été catastrophés : "Mais alors, qui peut être sauvé ?"
Tous nous réagissons comme cet homme qui "avait de grands biens"
Tous nous restons crispés sur un trésor, que ce soient l'aisance, le confort, la culture et le pouvoir qu'elle donne, que ce soient l'indépendance intellectuelle, un schéma spirituel, l'influence sur les autres, les projets qui nous valorisent, que ce soient enfin un amour trop possessif ou des visées d'ambition poursuivies à travers les êtres aimés.
Frères et sœurs, peut-être allons-nous dire : "Dieu ne demande pas l'impossible !". C'est vrai en un sens, mais Jésus le disait autrement : "Tout est possible pour Dieu". Sommes-nous prêts, aujourd'hui, à le laisser faire ? Aujourd'hui encore, le Christ nous offre sa parole, sa sagesse de vie. Aujourd'hui, après avoir communié tous ensemble à la vie qu'il nous apporte, faudra-t-il, malgré lui, que nous repartions tout tristes ?
Croire vraiment en Dieu qui peut tout, voilà pour nous la route de la paix.
(…) Il s’y trouve depuis peu quand une caravane passe. C’est une riche caravane, qui certainement vient de loin. Les femmes sont montées sur des chameaux, enfermées dans des palanquins qui oscillent, attachés sur les échines bossues. Les hommes sont montés sur des chevaux fougueux ou d’autres chameaux. Un jeune homme s’en détache, fait agenouiller son chameau et glisse en bas de la selle pour aller vers Jésus. Un serviteur accourt pour tenir l’animal par la bride.
Le jeune homme se prosterne devant Jésus et lui dit après une profonde salutation :
« Je suis Philippe de Canata, fils de vrais israélites et resté tel. Je suis disciple de Gamaliel depuis que la mort de mon père m’a mis à la tête de son commerce. Je t’ai entendu plus d’une fois. Je connais tes actes, j’aspire à mener une vie meilleure pour obtenir cette vie éternelle dont tu assures la possession à celui qui crée ton Royaume en lui-même. Dis-moi donc, bon Maître : que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?
– Pourquoi m’appelles-tu bon ? Dieu seul est bon.
– Tu es le Fils de Dieu, bon comme ton Père. Ah ! dis-moi, que dois-je faire ?
– Pour entrer dans la vie éternelle, observe les commandements.
– Lesquels, mon Seigneur ? Les anciens ou les tiens ?
– Les miens se trouvent déjà dans les anciens. Ils ne les modifient pas. Il s’agit toujours d’adorer d’un amour sincère l’unique vrai Dieu et de respecter les lois du culte, de ne pas tuer, de ne pas voler, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas porter de faux témoignage, d’honorer son père et sa mère, de ne pas nuire à son prochain, mais au contraire de l’aimer comme soi-même. En agissant ainsi, tu obtiendras la vie éternelle.
– Maître, j’ai observé tout cela depuis mon enfance. »
Jésus le regarde avec amour et, doucement, il lui demande :
« Et cela ne te paraît pas suffisant ?
– Non, Maître. Il est tellement grand, le Royaume de Dieu en nous et dans l’autre vie ! Dieu se donne à nous, or ce don est infini. Je sens qu’il nous est demandé bien peu, par rapport au Tout, à l’Infini parfait qui se donne. Je pense qu’on doit l’obtenir par de plus grands mérites que ce qui est requis pour lui être agréable et ne pas être damné.
– Tu as raison. Pour être parfait, il te manque encore quelque chose. Si tu désires être parfait comme le veut notre Père des Cieux, va, vends ce que tu as et offre-le aux pauvres, et tu auras dans le Ciel un trésor qui te fera aimer du Père, lui qui a donné son Trésor pour les pauvres de la terre. Puis viens, et suis-moi. »
Le jeune homme s’attriste et devient songeur, puis il se relève en disant :
« Je me souviendrai de ton conseil… »
Et il s’éloigne, tout affligé.