2019-03-06

"Quand tu fais l'aumône", dit Jésus, puis, plus loin : "quand vous priez ", "quand vous jeûnez "… Au centre du sermon sur la montagne, lorsqu'il aborde les exigences supérieures du royaume, Jésus énumère ainsi trois attitudes fondamentales : l'aumône, la prière et le jeûne, qui, dans la tradition d'Israël, traduisent une vie de juste, c'est-à-dire une vie pleinement ajustée au projet de Dieu. Et les consignes que Jésus nous laisse pourraient tenir en trois mots : gratuité, intériorité, légèreté.

Gratuité dans nos réflexes de partage, dans tous les dons que nous sommes amenés à faire, dons d'argent, dons de temps, dons de présence ou d'écoute fraternelle. Notre main gauche doit ignorer ce que donne la main droite. Nous n’avons donc ni à mesurer notre générosité, ni à en tirer gloire auprès des autres, ni à guetter en nous-mêmes les signes de la réussite spirituelle. Il suffit que notre main droite, la main spontanée, ne cesse pas de semer largement. Sans aucun retour sur nous-mêmes. Sans un regard à gauche ou à droite sur ce que les autres donnent ou retiennent, il nous faut donner "comme nous l'avons résolu dans notre cœur", quand nous avons promis à Dieu de vivre, à l'image de son Fils, pauvres, soumis et chastes. À nous donc, la gratuité ; car c'est Dieu même qui pour nous se charge du nécessaire et du superflu : il fournit la semence et fait croître nos fruits, lui qui aime à combler celle qui donne avec joie.

Intériorité : c'est, selon Jésus, le maître mot de la prière, personnelle ou communautaire. Certes la fidélité à la prière se concrétise dans des choix bien visibles : on réserve du temps pour Dieu et pour l'écoute de sa Parole, on entre dans la chambre la plus retirée du cœur, loin des images et du tapage des médias, et on verrouille la porte pour laisser dehors les fantasmes ; mais l'essentiel du labour spirituel et du retournement du cœur se fera "dans le secret", que pénètre seul le regard de Dieu.

Légèreté, enfin, de toute ascèse chrétienne. L'Évangile vient à nous avec son message de légèreté, car il s'agit de retrouver la sveltesse de l'âme, et les kilos à perdre sont les kilos du cœur, qui ont pour noms amour-propre, vaine gloire, paroles négatives, aigreurs et tristesses… Le jeûne, ou la maîtrise du désir, doit assouplir la marche et rajeunir tout l'être. L'ascèse, selon Jésus, est fraîche et parfumée, parce qu'elle prépare la rencontre et anticipe la joie. "Toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête"... Ce sera autant de fait pour l'ambiance fraternelle ; "et lave-toi le visage", pour présenter aux autres le meilleur de toi-même.

Une brise de fraîcheur sur le monde, la bonne odeur du Christ dans la communauté : quel programme pour l'ascèse chrétienne !

Une entrée dans le secret de Dieu : quelle chance à saisir pour réentendre chaque jour le premier appel !


(…) pour ne pas diminuer le fruit de votre charité, veillez donc à être charitables par esprit surnaturel. Ce que je vous ai dit de la prière et du jeûne vaut aussi pour la bienfaisance et pour toutes les bonnes œuvres que vous pouvez faire.
Gardez le bien que vous faites à l’abri des violations de la sensualité du monde. Gardez-le vierge des éloges humains. Ne profanez pas la rose parfumée de votre charité et de vos bonnes actions – ce véritable encensoir de parfums agréables au Seigneur –. Ce qui profane le bien, ce sont l’esprit d’orgueil, le désir d’être remarqué quand on fait le bien et la recherche de louanges. La rose de la charité est alors souillée et corrompue par les limaçons visqueux de l’orgueil satisfait, et l’encensoir se remplit des pailles puantes de la litière sur laquelle l’orgueilleux se complaît comme un animal repu.
Ah ! Ces actes de bienfaisance accomplis pour qu’on parle de vous ! Il vaut bien mieux ne pas en faire ! Celui qui n’en fait pas pèche par dureté. Celui qui les accomplit en révélant la somme donnée et le nom du bénéficiaire, en mendiant les éloges, pèche par orgueil. C’est comme s’il disait : “ Vous voyez ce que je peux ? ” Il pèche par manque de charité car il humilie le bénéficiaire en révélant son nom, il pèche par avarice spirituelle en voulant accumuler les éloges humains… C’est de la paille, de la paille, rien de plus. Agissez en sorte que ce soit Dieu et ses anges qui vous louent.
Vous, quand vous faites l’aumône, ne sonnez pas de la trompette pour attirer l’attention des passants et être honorés comme les hypocrites qui cherchent les applaudissements des hommes et pour cela ne donnent leur argent que là où ils peuvent être vus d’un grand nombre. Eux aussi ont déjà reçu leur récompense et n’en recevront pas d’autre de Dieu. Vous, ne tombez pas dans cette même faute et dans cette présomption. Mais quand vous faites l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la main droite, tant est cachée et pudique votre obole, puis oubliez-la. Ne restez pas à applaudir votre acte en vous gonflant comme le crapaud qui s’admire de ses yeux voilés dans l’étang et qui, apercevant dans l’eau paisible le reflet des nuages, des arbres, du char arrêté près de la rive et se voyant si petit par rapport à eux, se gonfle d’air jusqu’à en éclater. Votre charité elle-même n’est rien, comparée à l’infini de la charité de Dieu, et si vous voulez devenir semblables à lui et rendre votre petite charité grande au point d’égaler la sienne, vous vous remplirez du vent de l’orgueil et finirez par périr.
Oubliez l’acte lui-même. Il vous en restera toujours la présence d’une lumière, d’une parole douce comme le miel, et cela vous rendra le jour lumineux, doux, bienheureux. Car cette lumière sera le sourire de Dieu, ce miel la paix spirituelle qui est encore Dieu, cette voix la voix du Dieu Père qui vous dira : “ Merci. ” Lui, il voit le mal caché et le bien qui se cache et il vous en récompensera. 


Jeudi
Cornes d'Hattin